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Réponse voulue par Emmanuel Macron à l’islamisme radical et aux questions de laïcité, le projet de loi confortant les principes républicains, communément appelé "projet de loi séparatisme", arrive au Sénat ce mardi 30 mars. Après avoir été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, c’est au tour des sénateurs de l’examiner pendant une dizaine de jours. Un texte qui inquiète les cultes et qui a même valu aux représentants des trois églises du christianisme une tribune inédite dans laquelle ils s’inquiètent pour leur liberté. "Ce projet de loi rompt avec la logique de la séparation entre les croyances et la loi civile", dénonce auprès de Aleteia l’archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun. "Il veut placer la loi au-dessus des convictions religieuses."
Aleteia : Ce projet de loi vous inquiète-t-il ?
Mgr Dominique Lebrun : Ce projet de loi inquiète l’ensemble des confessions religieuses pour plusieurs raisons. D’une manière générale, il rompt avec la logique de la séparation entre les croyances et la loi civile. Il veut placer la loi au-dessus des convictions religieuses. Il y aurait un contrôle des religions puisque chaque association cultuelle serait soumise tous les cinq ans à l’autorisation du préfet. Sur des critères flous et évolutifs, les "principes républicains", un local religieux pourrait être fermé. Or, l’évolution des lois montre qu’il y a de moins en moins de "principes" républicains, seulement des lois qui varient au gré des majorités. Par exemple, le mariage est aujourd’hui le fait de deux personnes. Hier, la loi disait un homme et une femme… Qu’en sera-t-il demain ? Pour respecter la séparation, il faudrait s’en tenir au seul critère du respect de l’ordre public.
Un professeur de l’enseignement catholique pourra-t-il encore dire qu’il croit en Dieu ? Aller à la messe et communier devant ses élèves ?
Bien sûr, certains disent que ce que la loi permet en matière éthique ne s’impose pas aux personnes. Certes, mais la loi s’associe au pouvoir de l’argent. Les subventions aux associations confessionnelles, comme le Secours catholique, seraient dépendantes de ces critères. Autre exemple, les personnes ou entités ayant une délégation de service public devront s’abstenir de manifester leur croyance. Un professeur de l’enseignement catholique pourra-t-il encore dire qu’il croit en Dieu ? Aller à la messe et communier devant ses élèves ? Un chauffeur de car faisant du ramassage scolaire pourra-t-il se signer en commençant son service ou mettre une image de saint Christophe devant lui ?
Vous étiez déjà archevêque de Rouen lorsqu’il y a eu l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray et la mort du père Hamel en juillet 2016. Ce projet de loi censé lutter contre les séparatismes pourrait-il empêcher qu’un tel événement ne se reproduise ?
Étant partie civile au procès d’éventuels complices des assassins du père Jacques Hamel, j’ai accès au dossier d’instruction particulièrement fouillé. Je crois pouvoir dire qu’aucune des mesures envisagées n’aurait empêché les auteurs de commettre leur crime. Les vraies questions sont celles de l’éducation, de l’accompagnement des jeunes mais aussi de notre politique étrangère et justement de ce que nous donnons à voir comme idéal pour l’homme et la femme et pour les relations sociales. On comprend que le volet le plus important est du côté de la prévention. La répression demeure utile et nécessaire, je l’admets volontiers, mais notre droit prévoit déjà que l’État peut intervenir en cas de menace à l’ordre public.
Qu’est-ce que ce texte dit de notre société ?
Notre société n’a plus comme arme que la loi. Elle a baissé les bras devant des revendications libérales. Cela interroge aussi notre communauté croyante. Comment donne-t-elle envie d’autre chose ?
Comment interroge-t-il notre rapport à la laïcité ?
On peut dire que nous sommes pris en étau entre une dérive sécuritaire et une dérive laïque. Sans Dieu, l’humanité se détruit. Heureusement, chaque personne a, au fond d’elle, un réflexe de vie, un désir authentique d’amour. Ce qui est dommageable, c’est que notre société aujourd’hui ne cherche qu’à limiter les dégâts d’un libéralisme effréné avec des mesures sécuritaires sans proposer un projet commun rejoignant nos aspirations les plus profondes. Limiter les dégâts n’empêche pas le délitement social. Je crains qu’en soumettant les communautés croyantes à l’État, on frustre les fidèles qui deviendront plus radicaux. J’espère que nous résisterons à cette tentation. Un seul radicalisme est possible, la sainteté.
Les chrétiens saisissent-ils selon vous la gravité d’un tel texte ?
Pas encore. En un certain sens, c’est heureux. En ce temps de carême, les chrétiens sont rappelés à « l’ordre » : le premier combat n’est pas celui de la loi, il est celui de l’amour. Nous sommes invités encore et toujours à la conversion du cœur. Aucune loi ne peut nous détacher de l’amour de Dieu, de l’Évangile. Le commandement de l’amour n’exclut personne. Nous aimons nos parlementaires et nos gouvernants. C’est pourquoi nous ne nous taisons pas. Mais, le plus important est l’amour en acte. Notre engagement fraternel envers tous, à commencer par les plus rejetés, doit grandir.
Ce projet de loi est un épiphénomène grave mais un épiphénomène. Il y a urgence à témoigner que l’Évangile est la source de la non-violence et de la fraternité.
Que leur dire pour qu’ils réalisent ce qui se joue sous leurs yeux ?
Les familles chrétiennes savent mieux que moi qu’il y a une persécution latente. Ce projet de loi est un épiphénomène grave mais un épiphénomène. Il y a urgence à témoigner que l’Évangile est la source de la non-violence et de la fraternité. Peut-être devons-nous passer davantage par la croix. Je prie le Seigneur de nous accorder son secours si tel est le cas.
Les religions ont-elles encore une place dans la sphère publique ?Paradoxalement, je vois dans ces débats des signes qui disent que nous sommes attendus. Visiblement, il y a une peur du religieux. N’est-ce pas une forme de reconnaissance ?