Le choc des extrêmes dans les territoires perdus de la République entre le laïcisme brutal et l’islamisme radical, ne peut pas être une solution.Quand les esprits sont inquiets, un rien les embrase : nul doute que les propos alarmistes du professeur Lemaire, prononcés en d’autres temps, n’auraient pas fait tant de bruit. La querelle, jusqu’ici verbale, qui agite le monde médiatique au sujet de la présence islamiste à Trappes dans les Yvelines, est envenimée par le tour malencontreux pris depuis deux semaines par le débat sur la loi « séparatisme » et sans doute aussi par l’approche des élections régionales.
Des propos graves
Il convient donc de regarder les faits paisiblement. Au commencement, il y a les sorties médiatiques répétées d’un professeur de philosophie du lycée de Trappes, Didier Lemaire, qui affirme se sentir menacé par les islamistes. À en croire Didier Lemaire, les islamistes radicaux, qui ont pris le pouvoir dans son quartier, le menacent physiquement. Mais Didier Lemaire va plus loin : il présente une description apocalyptique de la ville, dont il affirme que, du fait des « atteintes à la laïcité », elle est d’ores et déjà « complètement perdue ». Selon Lemaire, la laïcité a perdu la bataille contre l’islam, et la France est en train de le payer. Quoi qu’on pense de l’argument laïciste brandi contre les musulmans, ce sont des propos graves qui, venant d’un homme du terrain, méritent d’être entendus.
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Cependant le préfet des Yvelines, dont on peut penser qu’il connaît son département au moins aussi bien que le professeur de Trappes, a nuancé les propos de cet enseignant volubile propulsé sur la scène médiatique. Le préfet n’a pas seulement relativisé le diagnostic de Didier Lemaire, il l’a aussi invité à ne pas jeter de l’huile sur le feu en stigmatisant une ville tout entière dans laquelle un travail patient de réconciliation conduit par l’État permettait, peu à peu et au jour le jour, de recoudre le tissu social et d’empêcher une explosion. « Nous faisons un travail de dentelle, ne saccagez pas tout », a exprimé en substance le représentant de l’État.
Laïcisme ou espérance ?
Que n’avait pas dit le préfet ! La foudre médiatique lui est immédiatement tombé dessus : il y a le feu à Trappes, l’État est dans le déni, le préfet capitulard a cédé aux terroristes. Tout le monde s’y est mis : la droite, la gauche, les populistes et les identitaires. Pour un peu, dans la bouche de nombreux politiques, le préfet des Yvelines est déjà coupable de l’assassinat programmé de Didier Lemaire. Le point commun dans la meute qui accable le fonctionnaire d’autorité tient à ceci que tous les propos tenus aboutissent à la même conclusion, qui est que la France est une cause perdue. Cette idée offense la vertu d’espérance. Mais pas seulement. À jouer au pompier pyromane, les polémistes offensent aussi le bon sens : imaginer que la solution à l’extrémisme réside dans le seul rapport de force entre un laïcisme brutal et un islam apeuré ne peut conduire qu’à la guerre civile. Bientôt, les mêmes qui accusent le préfet de laxisme dénonceront une situation plus tendue qu’auparavant : « On vous l’avait bien dit ! » Ils foncent dans une impasse.
Le signe de Tibhirine
Prétendre défendre la civilisation chrétienne sans manifester ni foi, ni espérance, ni charité, est un contresens théologique. Ce que nous enseigne le père Christian de Chergé, martyr de Tibhirine, est un signe pour notre temps : « La paix est un don de Dieu, dit-il. Ne disons pas qu’elle n’existe pas, elle est là : il faut la faire émerger. » Et encore ceci, qui figure dans son dernier écrit, rédigé la veille de son assassinat : « Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ. »
Comme nous voilà loin du christianisme identitaire ! Et pourtant, en donnant leur vie, les moines de Tibhirine ont exprimé la véritable identité chrétienne de la France. Notre identité, si elle existe, est récapitulée dans ce témoignage. Il n’y a pas eu plus Français que ces sept moines capables de ne rien préférer à l’amour. Il faut se réjouir qu’un préfet de la République ait, semble-t-il, éprouvé quelque chose de cet ordre en défendant l’action de l’État.
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