Grande pianiste, Elizabeth Sombart publie à l’occasion du 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven, le 15 décembre 1770, une intégrale de ses Concertos pour piano. Rencontre avec celle pour qui la musique est vécue comme un acte de foi.
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Elizabeth Sombart, pianiste de renommée internationale pour qui la musique est le lieu de la transcendance et une “porte du paradis”, publie une intégrale des Concertos pour piano de Beethoven accompagnée par le Royal Philharmonic Orchestra sous la direction de Pierre Vallet. À cette occasion, elle se confie à Aleteia sur la musique de Beethoven, “porteuse d’une vérité qui rend libre” mais aussi sur sa Fondation Résonnance dont la mission est d’offrir la musique dans les lieux où elle n’est pas jouée : les hôpitaux, les maisons de retraite, les prisons… Une rencontre rare avec la grâce et la beauté, où la musique est vécue comme un acte de foi, un lien entre le visible et l’Invisible :
Aleteia : Pourquoi avoir enregistré l’intégrale des Concertos pour piano de Beethoven ?
Elizabeth Sombart : C’était devenu presque vital pour moi de faire ce chemin que propose Beethoven du 1er au 5e Concerto, parce que c’est un chemin spirituel très profond. Le premier Concerto contient des mouvements lents qui expriment des profondeurs typiques chez Beethoven. Il nous fait entrer tout de suite dans son monde intérieur d’où est partie sa musique : un espace de générosité, de gratuité, de réelle compassion. Ce que l’on ressent quand on entre à son tour dans cet espace, c’est qu’il est au-dessus de toute dualité. Il entre dans une unité lumineuse, celle qui l’amène jusqu’au 5ème Concerto qui touche à l’expérience de la mort dans un des plus longs pianissimos de Beethoven.
Quand on le joue et qu’on arrive au bout de ce diminuendo il n’y a plus rien, on est comme mort. Il reste juste le corps, juste un fond qui tient comme ça… Je ne sais pas où on trouve la force intérieure pour sortir de ce silence, pour aller vers la lumière entrouverte par une note du cor dans le lointain… Petit à petit, dans les dernières mesures de ce mouvement lent, on remonte vers la lumière pour aboutir à la résurrection, l’extraordinaire joie, au jaillissement, à une renaissance quasi-miraculeuse.
Ce n’est pas pour rien que les nazis avaient interdit aux juifs d’interpréter Beethoven. Certes, ils leur avaient interdit toutes les interprétations, mais plus particulièrement celles de Beethoven…
Vous les avez enregistrés juste avant le début du premier confinement…
J’ai vu cela comme un signe. Bien-sûr, tous les concerts ont été annulés, mais j’ai pu laisser une trace de ce chemin qui montre qu’on doit écouter cette musique, porteuse d’une vérité qui rend libre. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les nazis avaient interdit aux juifs d’interpréter Beethoven. Certes, ils leur avaient interdit toutes les interprétations, mais plus particulièrement celles de Beethoven. C’est justement pour cela que j’ai voulu aller jouer Beethoven au camp d’Auschwitz.
Vous avez joué à la Judenramp, le lieu de la réception des juifs où on sélectionnait les personnes aptes au travail et celles qui allaient mourir directement dans les chambres à gaz…
Même quand on nous empêche de quelque chose, il y a toujours un moyen de poser des actes, et notre résistance peut impliquer le martyre. Dans ce camp, il y avait 280 enfants qui, grâce à un chef de chœur tchèque, ont chanté l’Ode à la Joie dans les latrines. Alors que nous sommes dans l’année de la commémoration du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven, il y a quand-même eu moyen de le célébrer malgré le confinement. Lui, qui a été choisi pour être chanté comme hymne de l’Europe ! Dans son ciel, Beethoven a vu une Allemagne qui n’était pas la sienne, qui empêchait les musiciens de le jouer, cela a dû le tuer une deuxième fois. C’est pourquoi j’ai ressenti le besoin de le jouer à Auschwitz, pour lui et pour toutes ces âmes qui sont mortes dans tant de violence.
Je crois beaucoup que sa musique est un chemin mystérieux qui peut relier le visible à l’Invisible, apporter la consolation éternelle et le courage, car il y en a beaucoup dans sa musique, lui qui a dû transcender l’organe essentiel pour un compositeur, l’écoute. Avec une force et une détermination incroyables, il a dû aller puiser ailleurs, dans son intériorité.
Le visible touche l’Invisible… c’est la mission de la musique ?
La musique n’est pas une fin en soi. Mais, comme le disait Haydn, elle est la porte du paradis. Quand on ouvre la porte du paradis, on entend d’abord de la musique, ce qui est déjà pas mal ! Il ne faut pas idolâtrer la musique. Toutefois, elle porte en elle une réponse à cette brisure de symétrie qu’est la chute où nous vivons, où l’être humain est dans cette malheureuse dualité dont parlait saint Paul : Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas (Rm 7,19). La musique classique, parce qu’elle est basée sur les deux modes majeur et mineur, permet à l’homme de retrouver le paradis perdu, l’unité primordiale qui lui manque tant.
Y-a-t-il un lien entre votre inspiration artistique et votre foi ?
La foi ne se choisit pas, le talent et la vocation non plus. Cela s’empare de vous à un moment donné, c’est de l’ordre de l’expérience. La musique est un chemin vers l’expérience qu’il y a un autre temps que juste le temps chronologique. Le temps musical est un temps où la fin est contenue dans le début, où le présent donne accès à la présence. À un moment donné, la question n’est plus de savoir s’il y a plus grand en moi que moi-même, ou de savoir si l’homme dépasse l’homme, s’il y a autre chose que juste ce que l’on voit ?
Ceux qui me disent que Dieu n’existe pas, je prie beaucoup pour eux, et en même temps je me réjouis, je sais qu’ils auront une bonne surprise un jour.
Quand je joue Beethoven, il n’y a plus de morts d’un côté, de vivants de l’autre. Il y a une relation, une communication au-delà de ce que nous connaissons dans la dimension physique dans laquelle nous vivons. Peu importe la manière dont on accède à cette présence intérieure. Ce qui est sûr, c’est que si on la touche, en jouant, en expérimentant cela, alors on sait Dieu. C’est de l’ordre de l’expérience. Ceux qui me disent que Dieu n’existe pas, qu’il n’y a pas d’âme, je prie beaucoup pour eux, et en même temps je me réjouis, je sais qu’ils auront une bonne surprise un jour.
Vous avez créé il y a vingt ans la Fondation Résonnance, dont la mission est notamment de jouer de la musique dans des lieux où elle n’est pas jouée : les hôpitaux, les maisons de retraite, les prisons… Qu’est-ce qui vous frappe le plus quand vous donnez des concerts dans ces lieux inattendus ?
Il n’y a pas de vérité sans partage. La première chose c’est que le mensonge institutionnalisé qui veut faire croire que la musique n’appartient qu’à des gens riches, c’est faux. Je crois que toute ma vie, ça a été de tout faire pour rendre la musique au plus grand nombre. J’ai souvent pleuré de joie de mes yeux ou à travers mes doigts, quand j’ai constaté que cette musique appartient à tous, parce qu’elle parle du cœur au cœur, d’une âme à une autre âme. Bien-sûr, je dois savoir beaucoup de choses pour jouer, mais pas celui qui m’écoute. La seule chose qu’il entendra, c’est si je suis vraiment sincère, que je joue non dans la séduction mais dans le vrai partage.
Ludwig van Beethoven : intégrale des Concertos pour piano. Elizabeth Sombart, piano ; Royal Philharmonic Orchestra, Pierre Vallet. 1 coffret Signum Records.