Dans l’agitation de nos cités, la détresse des hommes passe de plus en plus inaperçue. La charité du Christ nous presse à aller au-devant des attentes de nos frères en danger.Il me faut d’abord faire cette confidence : j’ai beaucoup de chances. Chance, par exemple, d’habiter au cœur de Paris du fait des missions que depuis quelques années j’ai reçues dans mon diocèse. Et c’est depuis ce bureau qu’en débutant cette chronique, je prends conscience d’une musique qui depuis plusieurs mois déjà occupe comme l’arrière-fond de ma vie quotidienne. Non qu’elle le rythme mais bien qu’elle l’occupe : incessante, permanente, lancinante et sans doute, inconsciemment, fatigante. Cette musique est composée de deux ou trois notes selon les cas et les types de véhicules d’urgence qui l’émettent. Les sirènes d’ambulance, de police, de pompiers ne s’interrompent plus jamais, volant au secours et signalant l’urgence impérieuse d’une vie en danger.
Ces sirènes inaperçues
Elles sont, ces sirènes, une partie intégrante d’un “paysage sonore” que l’on croyait il y a encore quelques temps, réservé à New York par exemple. Elles y disent l’angoisse des hommes et quelque part aussi leurs solitudes. Elles y révèlent bien sûr l’attention au prochain et l’ingéniosité incroyable que celle-ci déploie et organise d’année en année. Au risque de passer inaperçues : lorsque j’étais enfant je me souviens de ma grand-mère me disant, lorsqu’au feu passait en trombe une ambulance, qu’il fallait prier pour le malade qu’elle secourait. Et ainsi devant les camions rouges de pompiers allant lutter contre le feu ou les voitures bleues des policiers…
En entendant depuis des mois, les responsables de tous poils nous prédire la catastrophe économique imminente, à force d’être bombardés de chiffres et de statistiques, nous risquons de ne plus entendre le cri de nos frères, ni voir leurs mains tendues.
Mais aujourd’hui, ce ballet ininterrompu, pollué dans sa dignité par des véhicules “officiels” qui vous relèguent sans ménagement à coups de pieds dans vos portières de la part des motards qu’ils escortent, oui, aujourd’hui, ce ballet est si permanent qu’il ne surprend plus et pour ainsi dire ne provoque plus d’émotion particulière sinon une forme de fatigue devant un bruit stressant.
Dans l’abrutissement général
Et cela dit bien le danger que nous courons : en entendant depuis des mois, les responsables de tous poils nous prédire la catastrophe économique imminente, à force d’être bombardés de chiffres et de statistiques, nous risquons de ne plus entendre le cri de nos frères, ni voir leurs mains tendues. Comment le pourrions-nous d’ailleurs puisque ce cri, ces mains, sont remplacés par les sirènes d’alarmes de nos “prédictologues” et de nos statisticiens. “On aura des foules de chômeurs”, “des secteurs entiers de l’économie vont sombrer”, “une récession sans précédent va s’abattre sur nous”… autant de mots qui ne disent rien mais qui participent de l’abrutissement général. Autant de mots qui sèment le trouble dans les cœurs qui les entendent et y tiennent du coup la place des visages de ceux qui ont vraiment besoin de nous.
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Aller au-devant de ses frères
Il me semble que le baptisé n’est pas celui qui doit faire hurler l’alarme plus haut que les autres, mais qu’il doit être plutôt celui qui se rend au-devant de ses frères en leur posant la question que le Christ ne cesse de nous poser et dont il nous rend responsables dans le monde : “Que veux-tu que je fasse pour toi ?”
Aux sirènes morbides de nos villes, substituons l’action humble et discrète d’une Charité qui ne s’impose pas mais qui cherche à rencontrer les attentes des hommes.
Certains répondront “que je mange”, d’autres “que je travaille”, d’autres encore “que je sois libéré des liens qui m’oppressent” ou aussi “que je voie”. En d’autres termes, ils déclinent la demande essentielle “que je vive”. Alors nous pourrons tout mettre en œuvre pour répondre, au nom du Christ, à leurs attentes : nourriture, soutien à la recherche d’emploi, construction d’un monde plus juste, tourner leurs regards vers Celui qui est la vraie Lumière. Alors nous pourrons être pour eux porteurs d’une vie qui nous dépasse car nous ne l’avons que reçue, mais dont nous connaissons l’origine et dont nous espérons l’accomplissement. Aux sirènes morbides de nos villes, substituons l’action humble et discrète d’une Charité qui ne s’impose pas mais qui cherche à rencontrer les attentes des hommes, leur révélant ainsi de quel Amour ils sont aimables.