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Paris, décembre 1244. Pour la dixième si ce n’est la cinquantième fois, Marguerite se retourne dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Cela fait dix jours maintenant que Louis est malade. Il a beau garder le sourire et ne jamais se plaindre, le savoir tordu de douleur à chaque instant est insupportable. Aujourd’hui encore, les médecins ont murmuré à l’oreille de Marguerite et de sa belle-mère que le roi ne survivrait sans doute pas. Une angoisse soudaine se saisit de la jeune reine. Et s’il devait mourir cette nuit, seul avec ses souffrances ?
D’un bond, elle se lève, enfile un manteau et des chaussons, et part rejoindre son époux. Tant pis pour la bonne étiquette. Mais à peine a-t-elle pénétré dans le couloir des appartements du roi qu’elle s’arrête net. La porte de sa chambre est grande ouverte. Quel inconscient ! Il tient à peine debout et il déambule seul dans le palais ? Mais Marguerite n’a pas de doute sur l’endroit où se trouve Louis, et elle se hâte de se rendre à la chapelle royale, sous les regards ébahis des quelques serviteurs qu’elle croise.
Comme elle l’avait prédit, Louis est bien là, à genoux devant les reliques sacrées. Marguerite se fige, craignant d’interrompre un échange important entre le roi et le Très-Haut. Mais après un long moment sans mouvement, elle se décide à approcher.
- Louis, appelle-t-elle, le faisant sursauter, vous êtes fou ! Vous ne devriez pas être debout…
Elle s'interrompt, étonnée de le voir si droit et si calme, alors que quelques heures plutôt, la douleur le faisait se plier en deux et il tremblait de fièvre au fond de son lit. Doucement, elle pose une main sur son front. Il ne sue pas et son visage a repris des couleurs. Ce pourrait-il que...
Devinant les pensées de son épouse, le roi lui sourit et se relève sans vaciller.
- Le Seigneur a répondu à mon vœu, ma chère Marguerite. Ma mission dans ce monde n’est pas terminée.
Des larmes de joie et de soulagement piquent les yeux de la jeune reine. Dieu soit loué, Louis vivra ! Mais bien vite, l’angoisse revient au galop.
- Quel était votre vœu ? demande-t-elle.
- J’ai juré d’aller en Terre sainte, délivré le tombeau du Christ afin d’expier mes fautes et celles du peuple de France, s’Il m’accordait la guérison.
La joie de la reine s’évanouit bien vite et Marguerite baisse les yeux, incapable de cacher son inquiétude. Dieu a donc épargné son époux afin de l’envoyer en croisade. Les barbares infidèles, la chaleur torride du soleil d’orient, la guerre, le sang et la mort… Elle ne peut s’empêcher de penser à tout cela.
D’un geste chaste, Louis prend la main de son épouse en lui confiant ces paroles.
- J’ai vu en rêve notre Seigneur porter sur ses épaules le poids des péchés de mon peuple. Si je puis, par cette croisade, lui retirer ne serait-ce qu’une épine de la tête, je serai digne d’être son serviteur.
Un étrange sentiment mêlant douceur et amertume envahit le cœur de Marguerite. Bien sûr, son Louis ne manquerait jamais à une promesse faite au Très-Haut. Elle peut voir dans ses yeux la lueur d’une flamme aussi pieuse et pure que son désir ardent de faire la volonté de Dieu. C’est ce qu’elle aime et admire tant chez lui.
Beaucoup essaieront de l’en dissuader. Elle aussi souhaite qu’il renonce, mais comment pourrait-elle se mettre en travers du chemin sur lequel le Seigneur l’envoie ? Comment songer un seul instant que Louis se détourne de Dieu de quelconque manière?
- Puisque c’est la volonté de Dieu, je ne vous ferai jamais obstacle, lui dit-elle. Et pour cette mission, je vous accompagnerai.
Les époux se sourient et tous deux passent le reste de la nuit dans le silence de la prière.
Louis meurt le 25 août 1270 aux portes de Tunis lors de sa deuxième croisade, ne s’étant jamais détourné de Dieu. Il est canonisé par Boniface VIII en 1297. Sa piété et son sens de la justice ont séduit non-seulement son entourage, mais aussi la France entière qui le considérait comme saint même de son vivant. La popularité du nom “Saint Louis” dans le monde montre l’impact de cette sublime piété qui n’a de cesse d’inspirer même de nos jours.