L’ancien archevêque australien n’est pas le premier cardinal innocenté. Ces histoires montrent que la foi empêche de juger a priori crédible toute accusation, car elle donne de croire aux exigences de la justice et de la vérité.La Haute Cour australienne a finalement reconnu que la condamnation pour actes de pédophilie du cardinal George Pell, confirmée en appel, n’avait pas reposé sur des preuves suffisantes pour établir sa culpabilité sans doutes sérieux. Après ce verdict final et irréversible, l’ancien archevêque de Melbourne puis de Sydney, qui avait eu toute la confiance des papes saint Jean-Paul II, Benoît XVI et François, a été libéré. N’y a-t-il plus qu’à tourner la page avec un soupir de soulagement et ne plus penser qu’au coronavirus ?
Il est d’abord clair que George Pell ne sera plus ce qu’il était. Ce fut pour lui une épreuve probablement encore plus rude que pour Philippe Barbarin, lui aussi d’abord condamné, mais pour des motifs bien moins graves, et relaxé sans avoir été jeté en prison. Les deux odyssées judiciaires présentent quelques ressemblances, et dans chaque cas, un homme — et plus précisément un serviteur de Dieu et de ses frères — a été “cassé” pour des raisons jugées au bout du compte trop légères par les tribunaux statuant en dernier ressort.
Pour ceux qui ont simplement examiné sans parti-pris les charges pesant contre George Pell, ses dénégations et les témoignages au procès, il est clair que justice a été rendue. Il était invraisemblable qu’il ait pu, sitôt après une grande célébration eucharistique, entouré du clergé et de tous les assistants dans la sacristie, et sans retirer tous ses ornements sacerdotaux, s’isoler sans que personne s’en aperçoive avec deux enfants de chœur qu’il aurait surpris à goûter du vin de messe et ainsi tenu à sa merci.
L’influence du climat actuel
Ceci pose la question de l’acharnement mis à poursuivre ces “princes de l’Église”. Il n’est pas douteux que les affaires de pédophilie impliquant des prêtres et même un cardinal (l’Américain Theodore McCarrick) ont créé un climat de suspicion portant à présumer crédible toute dénonciation. Il est permis de supposer que les premiers juges, aussi bien en Australie qu’à Lyon, ont été influencés par l’idée reçue que l’institution ecclésiale, trop tolérante de ces crimes, pouvait et même devait être sanctionnée. Les membres de sa hiérarchie qu’il était donné l’occasion de mettre personnellement en cause étaient des cibles tentantes — à quoi s’ajoutait peut-être un peu de vieil anticléricalisme ou la croyance plus moderne que la religion est la source principale de tous les maux.
L’Eglise n’a certainement pas l’exclusivité de ces faiblesses. Elle n’oublie pas non plus que ni le péché ni l’hostilité, ni les mœurs des Borgia ni aucune cruauté répressive n’ont pu éradiquer ce dont elle est dépositaire. C’est au contraire dans les épreuves qu’elle s’est revigorée.
Il ne s’agit pas ici de faire de l’Église la victime d’un harcèlement. Elle-même n’est pas sans reproche et elle ne le cache pas. Elle est désormais consciente de n’avoir pas jusqu’à tout récemment mesuré la gravité des agressions sexuelles en son sein. Et elle sait fort bien que, dans un passé plus lointain, il est arrivé que certains des siens s’associent aux persécutions de boucs émissaires dans des sociétés qui étaient en crise ou se sentaient menacées. Mais elle n’a certainement pas l’exclusivité de ces faiblesses. Elle n’oublie pas non plus que ni le péché ni l’hostilité, ni les mœurs des Borgia ni aucune cruauté répressive n’ont pu éradiquer ce dont elle est dépositaire. C’est au contraire dans les épreuves qu’elle s’est revigorée. On l’a encore vu il n’y a pas si longtemps derrière le Rideau de fer. Et François Borgia, petit-fils d’un pape (!), a été un grand saint.
Un précédent
La mémoire peut donc être utile. Au chapitre des cardinaux injustement poursuivis, on trouve ainsi Joseph Bernardin (1928-1996), archevêque de Cincinnati puis de Chicago aux États-Unis. Un ancien séminariste nommé Stephen Cook prétendit publiquement avoir été abusé par lui et témoigna même sous serment avoir reçu une assez belle somme d’argent pour se taire. Le cardinal put rencontrer cet homme face à face. Celui-ci, qui avait beaucoup dérivé entretemps, finit par avouer qu’il avait cru qu’était vrai ce qu’on lui avait dit qu’il avait raconté alors qu’il était sous hypnose et que des “amis” l’avaient poussé et aidé à porter plainte. L’affaire fut classée. La presse qui s’en était emparée avec gourmandise fut déçue. Le pauvre fabulateur mourut bientôt du sida et Bernardin fut peu après emporté par un cancer.
Les histoires de Joseph Bernardin et de George Pell ne sont bien sûr pas identiques. Rien n’autorise à faire de l’accusateur du second, dont personne n’a contesté la sincérité, un clone du malheureux Stephen Cook. Mais les deux cardinaux ne manquaient pas d’ennemis, bien que ceux-ci ne fussent pas du même bord. L’Américain était réputé progressiste, avait nié la moralité de la dissuasion nucléaire et encourait les foudres de traditionalistes qui l’ont diffamé pour agressions de fillettes et même satanisme. L’Australien était considéré conservateur et s’est valu de solides inimitiés en luttant contre la corruption aussi bien dans son pays qu’au Vatican. Il avait aussi été déjà poursuivi pour attouchements sur des garçons et dûment innocenté.
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La foi, remède à la crédulité
Le procès qui demeure ouvert est celui de l’opinion publique, ou plus exactement du conformisme à des modes dans les jugements portés implicitement ou non dans les médias en répercutant l’information et même par des magistrats qui ne sont pas toujours imperméables aux idées reçues de l’heure. Ce n’est pas parce qu’on répète indéfiniment le même soupçon ni parce qu’il fait scandale qu’il est fondé. Si la foi catholique incite à quelque chose en ce domaine, c’est bien à l’indépendance d’esprit, à l’honnêteté intellectuelle, voire au recul critique. Dans l’Évangile, Jésus ne cesse de répéter en substance : « Ne croyez pas tout ce qu’on raconte » (Mt 5, 17 ; 10, 34 ; etc.). Croire n’est pas devenir crédule, mais avoir confiance que la justice et la vérité finiront par l’emporter.
C’est ce qui s’est manifesté dès ici-bas pour Joseph Bernardin puis Philippe Barbarin et maintenant George Pell. Leur foi, leur espérance et leur charité ont été mises à l’épreuve non pas bien qu’ils fussent cardinaux, mais parce le premier l’a été jusqu’au bout (lui qui, souffrant sur son lit de mort, a tenu à réprouver l’euthanasie), tandis que les deux autres le sont et le restent.