« Oui, je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Is 65, 17). La parole de Dieu résonne comme une incongruité, comme une litanie connue à laquelle on peine à adhérer. Comment entendre ces paroles à l’heure de la pandémie ?Comment croire que Dieu fait toute chose nouvelle alors que nous sommes dans l’attente, dans l’incertitude, que nous recevons chaque jour des nouvelles des ravages de la maladie et des décès ? Comment croire, alors que l’économie est durement impactée, que le chômage nous touche et que nos projets sont empêchés ? Comment croire, quand le confinement nous renvoie à notre impuissance, que nous tournons en rond dans nos foyers, suspendus aux nouvelles, désespérés de connaître une issue. Comment croire à des cieux nouveaux quand le confinement nous prive de marcher librement à l’air doux d’un printemps précoce ?
« Oui, je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à l’esprit. Soyez plutôt dans la joie, exultez sans fin pour ce que je crée » (Is 65, 17-18). Tout au long du carême la parole de Dieu résonne comme une promesse, celle d’une joie débordante, d’une exultation sans fin, celle d’une renaissance, de la restauration de tout notre être. Nous savons aussi pourtant que la semaine sainte nous fait marcher à la suite du Christ sur le chemin du Calvaire. Nous savons que nous assisterons impuissants, maladroits et déconcertés au pied de la Croix, au spectacle déchirant de l’amour souffrant, de l’amour offert, de l’amour sacrifié, de la mort Celui-là même en qui tout était vie.
L’espérance chrétienne n’est pas l’espoir
La parole de Dieu nous parle d’espérance. Elle nous redit que Dieu agit dans l’invisible, « que tout concourt au bien de ceux qui l’aiment » (Rm 8,28) pourvu que nous nous confions en Lui, qu’Il fait toute chose nouvelle. Mais l’espérance chrétienne n’est pas l’espoir. Vivre l’espérance passe par un chemin de dépouillement exigeant. « Je découvre que l’espérance nous est donnée comme une expérience de non-violence radicale à l’égard du temps », écrivait le frère Christophe, l’un des martyrs de Tibhirine.
L’espérance dans l’attente nous défait de notre tentation de maîtriser le temps.
L’espérance a cela de déroutant qu’elle nous demande de changer notre rapport au temps. Et ce n’est jamais évident, d’autant plus lorsque nous voyons les semaines et les mois passer. « L’avenir n’appartient qu’à Dieu. La patience, c’est la vertu de l’espérance, et il ne peut y avoir de l’espérance que si l’on accepte de ne pas voir. Vouloir voir ou imaginer l’avenir, c’est faire de l’espérance-fiction, et il me semble que c’est d’une certaine façon la violer » (Christian de Chergé). Avant qu’un grand bien nous soit donné, nous sommes souvent invités à un grand renoncement. Comme s’il fallait faire le vide – de tout ce qui est trop teinté de notre volonté – afin de recevoir le Bien que Dieu veut nous donner.
Dans mon dernier essai Comme des colonnes sculptées – le célibat, un chemin d’espérance (Editions Emmanuel), j’évoque cette longue attente que vivent les célibataires qui se sentent appelés de tout leur être au mariage. Une longue attente peuplée de désillusions, d’impatiences, de déchirures, de cœurs brisés mais aussi d’enracinement dans la foi, dans l’amour et dans l’espérance. Car le chemin vers l’alliance « n’a rien d’une évidence, il commande de se laisser pétrir dans les mains du potier divin, telle une glaise d’espérance mouillée dans les larmes de l’attente ». Cet essai parle avant tout d’attente et d’espérance. Il aurait pu parler de l’espérance d’un enfant dans l’épreuve de la stérilité, de l’attente d’un travail dans l’épreuve angoissante d’un chômage prolongé, de l’attente de la guérison dans la traversée d’une longue maladie… Notre vie nous semble parfois, un long pèlerinage inexorable vers plus de paix et plus de joie. Au désert, nous sommes épurés, purifiés, passés au creuset. « Il m’éprouve » dit Job, « je sortirai comme l’or » (Jb 23, 10).
Au désert, Dieu parle à notre cœur
Au désert du confinement, nous rencontrons tous nos démons, tout ce grouillement intérieur de nos ambiguïtés et de nos désirs contraires. En chacun de nous résident le pire et le meilleur de l’humanité. Confinés, nous ne pouvons plus y échapper, fuir notre bruit intérieur en plongeant dans le vacarme mondain. C’est là que la Croix prend tout son sens. Le Christ descend dans nos ténèbres intérieures pour y mettre Sa lumière. Mais il ne le fait pas sans nous : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Lc 18, 41). Si nous ne nous arrêtons pas pour regarder en nous-mêmes, comment savoir ce que nous voulons lui demander ?
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« Le seul miracle qui compte », disait Maurice Zundel, (Je parlerai à ton cœur) « c’est ce miracle qui nous transforme nous-mêmes qui surmonte en nous les ténèbres et l’égoïsme ». Il ajoutait « il faut nous ouvrir à l’amour qui ordonne toute chose, qui unifie qui pacifie ». Au désert, Dieu enracine notre attachement à lui, il nous rend disponible pour accueillir son amour et son don, comme dans le livre d’Osée, il nous séduit, nous conduit au désert pour parler à notre cœur.
Se laisser faire
« L’action de Dieu dans l’âme, c’est quelque chose d’insaisissable, de profond, de fort, que l’on ne comprend bien que lorsque l’œuvre divine est achevée », éclairait Elisabeth Leseur (Journal et pensées spirituelles). L’espérance est une lampe pour la route. Dieu travaille l’invisible. Au désert du confinement, il ne s’agit pas tant de faire que de nous laisser faire. « Notre radicale dépendance envers la bonté de Dieu devient alors la force dont il nous revêt pour affronter l’avenir ».
Que la Résurrection du Christ renouvelle nos cieux intérieurs avec une foi, une joie et une espérance toujours plus grandes ! Exultons sans fin pour ce qu’Il va créer.
Comme des colonnes sculptées – le célibat, un chemin d’espérance, Claire de Saint Lager, Editions Emmanuel, mars 2020, 17 euros.
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