Alors que le Burkina Faso se trouve dans une situation politique et sécuritaire instable, les attaques perpétrées par des mouvements djihadistes se multiplient. En un mois, quatre d’entre elles ont délibérément ciblé des chrétiens. « On constate une prolifération des mouvements djihadistes dans l’ensemble de la bande sahélienne », confie à Aleteia Marc Fontrier, africaniste et conférencier à l’Institut catholique de Paris. « Au Burkina Faso, ils ont le terrain libre ».C’est une triste litanie. Dimanche 26 mai, quatre catholiques ont été tués à Toulfé, dans le nord du Burkina Faso. Des individus lourdement armés ont attaqué l’église de ce village aux environs de 9h alors que les fidèles célébraient la messe dominicale. Le 13 mai, quatre catholiques ont été tués lors d’une procession mariale à Zimtenga. La veille, six personnes dont un prêtre, avaient été tuées lors d’une attaque pendant la messe dans une église catholique à Dablo. Fin avril, c’est une église protestante qui avait été attaquée, faisant six morts. « C’est une forme de redéploiement de l’État islamique que l’on observe dans la bande sahélienne, et en particulier au Burkina Faso », explique à Aleteia Marc Fontrier, africaniste et conférencier à l’Institut catholique de Paris. Décryptage.
Aleteia : Comment qualifieriez-vous aujourd’hui la situation au Burkina Faso ?
Marc Fontrier : c’est inévitablement une situation de forte instabilité… et il y a de bonnes raisons qu’elle empire au regard de l’organisation des mouvements djihadistes. Au Burkina Faso j’identifie trois mouvements qui sont des mouvements islamistes et qui vont entrer en collaboration, si ce n’est déjà fait, avec des mouvements latéraux, c’est-à-dire de pays voisins. Je pense ici au Nord du Mali par exemple. Le Burkina Faso va devenir progressivement un foyer djihadiste dans la mesure où le pays devient, de plus en plus, une zone de non-droit, c’est-à-dire que l’État n’est plus en capacité d’imposer la loi nationale. De là vont se multiplier des petits sanctuaires pour ceux qui veulent s’emparer du pouvoir, ceux qui veulent commettre des attentats ou encore ceux qui veulent faire du trafic. Au niveau de l’Afrique de l’ouest, la déstabilisation du Burkina Faso pourrait déstabiliser l’ensemble de la sous-région (le Bénin, le Togo, le Ghana…).
Y-a-t-il une « spécificité » burkinabé ?
Pour comprendre ce que traverse le pays aujourd’hui, il faut remonter à octobre 2014, avec le renversement du président Blaise Compaoré. C’était un tyran, certes, mais le pays connaissait la stabilité que l’on retrouve dans les pays totalitaires. Son départ a également entrainé la dissolution de la garde prétorienne, qui structurait les forces de sécurité. Le deuxième élément à avoir à l’esprit est que le Burkina Faso compte de nombreuses ethnies mais deux d’entre elles se partagent inéquitablement le potentiel démographique : les Mossis, qui représentent environ 40% de la population et sont essentiellement animistes (certains sont chrétiens) et les Peuls, qui représentent environ 10% de la population et sont majoritairement de confession musulmane. Aujourd’hui comme hier, il existe un antagonisme entre les populations nomades, essentiellement musulmanes (dont font partie les Peuls) et les populations sédentaires (essentiellement chrétiennes). Sous Blaise Compaoré, les Peuls étaient plus ou moins amenés à se taire. Depuis son départ ils peuvent à nouveau s’exprimer. C’est un premier élément contextuel : la destitution de Blaise Compaoré a ouvert un espace. Sur ce contexte vient se greffer la prolifération des mouvements djihadistes dans l’ensemble de la bande sahélienne. Certains sont affiliés à Al-Qaïda, d’autres à l’État islamique combattant. Il faut bien comprendre que la chute de ce dernier ne signe absolument pas sa disparition mais simplement qu’une mutation s’opère. Ils entreprennent une autre forme de combat et ont trouvé un nouvel espace où se montrer, dans lequel agir.
Faire brûler une église va marquer les esprits, c’est une manière de porter un coup au pouvoir.
En un mois quatre attaques djihadistes perpétrées au Burkina Faso ont délibérément ciblé des chrétiens. Comment l’expliquez-vous ?
Au Burkina Faso, il y a une identification du pouvoir avec le fait d’être chrétien. C’est la religion, en tout cas officielle, de la plupart de ceux qui sont au pouvoir. Faire brûler une église va marquer les esprits, c’est une manière de porter un coup au pouvoir. Je pense que le fait que des chrétiens sont visés au Burkina Faso s’apparente plus à une facilité qu’à une volonté pure et dure de détruire le christianisme. Le fait religieux relève plus d’un habillage. Ceci étant dit dans les temps que nous vivons, avec une telle multiplication des mouvements islamistes fondamentalistes, le chrétien devient inévitablement, par capillarité, l’ennemi qui est désigné.
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