Septième résolution : prendre courage, pour agir et se taire. « Rien qu’aujourd'hui, je ferai au moins une chose que je n’ai pas envie de faire ; et si j’étais offensé, j’essaierai que personne ne le sache. »
Petite remarque liminaire : les deux demi-résolutions de saint Jean XXIII ici énoncées — agir avec courage et subir avec discrétion — sont si indépendantes l’une de l’autre distinctes qu’elles auraient pu justifier deux articles distincts. Mais dans les deux cas, il faut être fort.
Pour l’amour du Bon Dieu
Les raisons qui font que nous ne faisons pas une chose sont multiples. Paresse : me reposer ou me distraire, ne serait-ce pas tellement plus gratifiant ? Caprice : pourquoi ne pas faire que ce que j’aime ? Dégoût : cette tâche me rebute trop, puis-je l’oublier ? Peur : et si j’échouais ? Et si je ne pouvais pas affronter les conséquences de cet échec ? Orgueil : ce travail est indigne de moi, ne serait-ce pas gâcher mon talent ? Bien sûr, le mauvais génie de notre casuistique interne peut inventer les arbitrages de priorités les plus sophistiqués, les échappatoires plus exubérantes, les excuses les plus tirées par les cheveux, nous éludons, nous refusons l’obstacle. Et nous sommes heureux si nous pouvons sous-traiter à un tiers le surlendemain la tâche que nous aurions dû accomplir nous-même l’avant-veille. Cela vaut pour les tâches qui relèvent du devoir comme pour celles qui sont facultatives.
Guy de Larigaudie écrivait qu’« il est aussi beau de peler des pommes de terre pour l’amour du Bon Dieu que de bâtir des cathédrales1 ». Est-ce que la bonne réponse n’est pas tout simplement celle-là ? Si nous parvenons à effectuer la moindre de nos actions en aimant sincèrement notre Créateur, celui qui nous donne cette nature que nous façonnons, et ces frères que nous rencontrons et avec qui nous agissons, est-ce que nous n’aurons pas un enthousiasme bénéfique ? Certes il ne rendra pas agréables les tâches qui sont rebutantes d’un coup de baguette magique, mais permettra de leur donner un sens, de diminuer le poids du fardeau, de rendre plus doux le joug (Mt 11, 30).
Accepter d’être une victime
Et se taire sous l’affront ? René Girard, par ses travaux sur le mimétisme et le mécanisme du meurtre du bouc émissaire, a réhabilité la victime, a établi son innocence. Il a démonté la supercherie des mythes créés par les lyncheurs honteux qui inventent des culpabilités pour justifier de la violence mimétique : c’est eux qui écrivent l’histoire et s’arrangent avec la vérité. L’éclosion d’une religion archaïque via ce meurtre originel permet de pacifier les communautés et de conduire à l’institution de deux pacificateurs sociaux : le prêtre et le juge. Bien sûr cette reconnaissance de l’innocence du bouc émissaire est essentielle. Il faut sans doute s’en réjouir.
Les victimes n’ont pas à avoir honte de l’être. Elles ont raison d’attendre qu’une justice corrige, dans la mesure du possible, ce dont elles sont victimes. D’ailleurs, si elles prêtent attention aux Béatitudes, elles savent qu’une justice sera rendue in fine. Il n’existe sans doute pas d’outil statistique pertinent, mais il semblerait que le regard sur les victimes soit plus bienveillant qu’aux siècles précédents et c’est une bonne chose, dont il faut se réjouir. Mais tout n’est pas parfait, rien n’est plus terrible que ces victimes qui sont broyées par des sociétés sauvages où elles vivent : les crimes dits d’honneur qui voient des femmes violées ensuite assassinées par leur propre famille pour effacer la honte qui ne devrait pas exister, quelle abjection ! Rajouter une injustice à une injustice, punir la victime d’être victime.
Pardonner dans son cœur
Aujourd’hui, être victime, c’est presque devenu un fonds de commerce pour certains qui usent et abusent de postures victimaires pour faire avancer leurs idées. Mais ce fonds de commerce ne rapporte que si l’on fait la promotion de cet état de victime, si l’on s’affiche comme tel. Il faut susciter de la compassion, de la pitié, de l’empathie. Certaines officines politiques ont été créées pour cela. Si le but de ces organisations n’est plus le seul soulagement de la victime, n’est-ce pas un brin mensonger ? Ne faut-il pas dissocier la victime et son mal de l’instrumentalisation, la récupération qui en est faite ? Les discours des Calimero patentés peuvent être contreproductifs. Il faut voir, toucher, entendre la victime en personne, sans écran et sans filtre entre elle et nous. C’est bien aussi de soutenir de plus loin une organisation qui « mutualise et rend plus efficace » la réponse apportée à son problème, mais ce n’est pas suffisant. Il faut de la subsidiarité bien placée.
Et puis il y a taire l’offense. Bien sûr, quand elle trop grande, trop grave, trop douloureuse, ce n’est guère possible, elle est sans doute devenue publique et, voyeurisme inhérent à notre nature d’être social, nous nous vautrons dans le spectacle de la résolution : vengeance ou pardon ? Pardonner dans son cœur et ne rien dire. Au risque d’oublier que nous devons à notre frère qui nous a offensé la correction fraternelle qui convient ? Est-ce là un vrai service ? C’est en tout cas un vrai cas de conscience.
Le courage de faire ce qui nous rebute, le courage d’enfouir nos blessures et ce qui les cause. Mon Dieu, donnez-moi le courage et la force et la foi2.
[1] Étoile au grand large, Seuil, 1943.
[2] Prière du Para, de l’aspirant André Zirnheld.