Le nouveau roman de Louis-Henri de la Rochefoucauld, « La Prophétie de John Lennon » (Stock), est d’une drôlerie assez rare. C’est l’histoire d’un descendant de Lully, musicien officiel de Louis XIV, qui décide d’évangéliser le monde grâce à la musique rock…À la suite d’une vision sur le parvis de Notre-Dame de Paris, à l’occasion de l’ordination sacerdotale d’un ami, le narrateur, artiste en panne d’inspiration, promet de se servir du rock pour porter Jésus aux foules désorientées de la postmodernité. L’élan missionnaire de Louis nous vaut un récit à la fois loufoque et sérieux. Plus que du rock, le roman traite surtout du vide spirituel de notre époque. Le narrateur est déterminé à faire mentir la prophétie que prononça John Lennon en 1966 : « Le christianisme s’en ira. Je n’ai pas besoin de débattre de cela. J’ai raison et l’avenir le prouvera. Aujourd’hui, nous sommes plus populaires que Jésus. »
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Le désabusement de Philippe Manœuvre
L’histoire commence sur les chapeaux de roues avec la rencontre entre le narrateur et le « pape » du rock en France, Philippe Manœuvre. Ce dernier lui déclare tout de go, en initié mi-cynique, mi-nostalgique : « Le rock continue de faire un chiffre remarquable, mais sur des produits très chers destinés à des baby-boomers. La cible du rock, c’est des gens de plus de 50 ans qui ont les moyens de s’offrir un coffret Stones de quinze disques qu’ils ont déjà acheté cinq ou six fois, mais là c’est en mono, là c’est je-ne-sais-quoi… Le rock, c’est devenu l’industrie de la réédition. Savez-vous qu’aux États-Unis les ventes de rééditions dépassent désormais les nouveautés ? » Imparable.
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Témoins à charge
Le ton est donné. Tout au long du récit, le lecteur est convié au combat entre le vide actuel du nihilisme musical et la ressource inattendue de la spiritualité. Mais loin de constituer une caricature, le roman aligne des arguments d’autant plus convaincants qu’ils ont formes humaines. Ce sont en effet Christophe, Katy Perry, Christine and the Queens, Phoenix et les autres, qui viennent témoigner à la barre, et souvent à leur insu, de la pertinence de l’intuition du narrateur selon laquelle le monde, loin de réaliser la prophétie de John Lennon, est en train au contraire de revenir à Jésus-Christ. Même si c’est par des chemins détournés — chemins souvent tortueux, dont l’auteur se fait le chroniqueur à la fois empathique et enjoué. Précisons au passage que Louis-Henri de la Rochefoucauld, ancien critique à Technikart, possède des renseignements de première main sur les personnages réels, jeunes et moins jeunes, qu’il met en scène dans son roman.
Idoles au bûcher
Au fil du récit, nous apprenons que le capitalisme, et son adjuvant, la société de spectacle, ont rattrapé les rebelles à guitares électriques. Entre pastiches, course aux gains et tentative désespérée de réanimation, les nouveaux soutiers de la musique pop ne sont pas à la fête dans le roman de ce chrétien qui ne se croit pas obligé de baiser la main de l’idole qu’il avait jadis adorée. D’ailleurs, le nom de scène du héros-musicien, un temps tenté de lancer un mouvement de « rock mérovingien » (!), est Clovis ! « Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré ! »
La Prophétie de John Lennon, de Louis-Henri de la Rochefoucauld, Stock, 2019, 285 pages, 19,50 €