Titulaire pendant 52 ans de la prestigieuse tribune de l’église Saint-Eustache (Paris), l’organiste Jean Guillou est décédé le samedi 26 janvier à l’âge de 88 ans. Son successeur depuis 2015, Thomas Ospital, 29 ans, évoque avec Aleteia ses souvenirs personnels avec le “maître”.Aleteia : Vous avez succédé en mars 2015 à Jean Guillou en tant que co-titulaire de l’orgue de Saint-Eustache avec Baptiste-Florian Marle-Ouvrard. Que retenez-vous de votre prédécesseur ?
Thomas Ospital : Depuis que je m’intéresse à l’orgue, c’est-à-dire depuis que je suis enfant, Jean Guillou a toujours été l’organiste de Saint-Eustache. Son aura, sa présence, son art, et même son physique faisaient qu’il incarnait totalement cette position. On le croyait “immortel”. Il était incontestablement l’une des très grandes figures de l’orgue français.
Quand l’avez-vous rencontré pour la première fois ?
Je l’ai rencontré en 2012 à l’âge de 12 ans. À cette époque, j’étais encore un tout jeune étudiant au conservatoire. Un ami m’avait invité à aller l’écouter le jeudi de l’Ascension. À la fin de la messe, nous sommes montés à la tribune. J’ai été très impressionné de le rencontrer mais il nous a tout de suite bien accueilli. Ce fut l’occasion d’échanger de longues minutes. C’était un homme charmant, patient et simple. Il a pris son temps pour répondre à nos nombreuses questions et on sentait qu’il avait beaucoup de plaisir à partager sa passion. Personnellement, j’étais très intéressé par l’orgue mais aussi par sa manière d’improviser. Jean Guillou savait utiliser toutes les sonorités qui font la magie de l’orgue de Saint-Eustache. À un moment donné, il nous a tendu les clés de l’orgue et nous a invité à voir l’intérieur, à découvrir la mécanique. C’était un moment magique. La rencontre d’une personne, d’un instrument, mais surtout de tout un univers.
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Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec lui ces dernières années ?
J’ai eu l’occasion de parler à nouveau avec lui suite aux résultats du concours pour le poste d’organiste titulaire, organisé en 2015. J’avais à cœur de l’appeler en premier, avant même ma famille. Après nous avoir félicités, il nous a invités, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et moi-même, à venir prendre le thé chez lui. Nous avons passé un bel après-midi, à parler de l’orgue, de ses idées sur la facture qui étaient toujours modernes et en perpétuelle évolution. Son art n’était pas figé, il était toujours dans le renouvellement, dans la création d’idées novatrices. Lors de cette rencontre, il m’a montré différents plans d’orgues qu’il avait imaginés. La toute dernière fois que je l’ai vu c’était en septembre dernier, lors de l’installation de notre nouveau curé à Saint-Eustache. À cette occasion, nous l’avons invité à donner un récital qui aurait dû avoir lieu cette année, dans le cadre du 30e anniversaire de la reconstruction de l’orgue. Malheureusement ce concert n’aura pas lieu dans sa forme originale mais un hommage lui sera rendu car son nom est incontestablement attaché à cette tribune.
Parmi son œuvre prolifique, quelles sont les compositions qui vous ont particulièrement marquées ?
J’en citerai trois. Il y a une pièce pour orgue, sans doute la plus célèbre et la plus caractéristique de son art, sa Toccata. J’aime beaucoup la jouer car c’est une œuvre qui allie virtuosité, élan et fraîcheur. C’est une pièce extrêmement parlante qui définit parfaitement son style. Incandescent, presque “arraché”. Je retiendrai aussi sa Judith-Symphonie pour soprano et grand orchestre que j’ai découvert récemment. C’est une très belle œuvre, extrêmement inspirée qui mérite d’être connue. Son langage est différent de la Toccata car c’est une œuvre d’intériorité, qui possède une force expressive importante. Enfin, je mentionnerai une œuvre qui m’a frappée quand j’étais enfant. Les improvisations des visions cosmiques de 1969. Il avait fait un concert en hommage aux astronautes de la navette Apollo 8 et celles-ci avaient été gravées sur un disque. Ces improvisations sont d’une extrême modernité, que se soit au niveau du langage que dans l’utilisation de l’orgue, dans la manière de concevoir l’instrument et de le faire sonner. Ce disque a marqué un tournant dans l’art de l’improvisation à l’époque.
Un hommage lui sera-t-il rendu à Saint-Eustache ?
Un concert est bien sûr prévu mais aucune date n’a encore été arrêtée. En tant que successeurs, il nous apparaît naturel d’honorer sa mémoire. Bien que nous n’ayons jamais été ses élèves, nous avons un héritage à perpétuer à Saint-Eustache. Un héritage entre tradition et modernité. Car Jean Guillou était un être inclassable, un musicien à part qui avait son propre univers, sa propre manière d’interpréter. Succéder à Jean Guillou ce n’est pas faire du Jean Guillou. C’est poursuivre sa pensée : rester un esprit libre et continuer à faire de l’orgue un art profondément ancré dans le présent. C’est comme cela, personnellement, que je veux continuer à rendre hommage à Jean Guillou.
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