La diplomatie vaticane, en sommeil depuis la perte des États pontificaux en 1870, s’est réorganisée au début de la guerre de 1914, à la faveur de l’offensive allemande en Belgique. Cette expérience servira le Saint-Siège durant la Seconde Guerre mondiale.Durant l’été 1914, en violation des traités internationaux et du droit, les troupes allemandes franchissent la frontière belge. S’en suivent des occupations de villes, des bombardements et de nombreuses exactions. Les lieux culturels, églises et monastères, sont visés. Beaucoup d’entre eux sont bombardés ou incendiés, dont la bibliothèque de l’université de Louvain, qui recelait des trésors intellectuels. Prenant prétexte de la présence de francs-tireurs, dont l’existence se révèle être de la propagande de guerre, les Allemands commettent de nombreuses atrocités sur les civils, déportant les populations, tuant femmes et prêtres et incendiant les quartiers aisés de Louvain. Les consignes militaires sont claires : il faut terroriser la population afin de briser le moral de l’occupé et gagner plus facilement la guerre.
Le Saint-Siège en panne d’information
Le Saint-Siège, qui à l’époque n’a pas de juridiction territoriale, fait face à un défaut d’information. L’actuel directeur des archives historiques de la Secrétairerie d’État du Saint-Siège, le Belge Johan Ickx, s’est intéressé à cet épisode décisif dans l’histoire de la guerre en explorant les archives vaticanes. Il a mis à jour des documents concernant l’invasion et l’occupation de la Belgique par les troupes de Guillaume II et le suivi de la guerre par les diplomates du Vatican. Dans le livre qu’il vient de faire paraître au Cerf sous le titre La Guerre et le Vatican — un titre un peu trompeur puisqu’il ne porte que sur la guerre en Belgique, on découvre que le témoignage du recteur de l’Université catholique de Louvain sur le sac de la ville par les Allemands, en août 1914, n’est arrivé au Saint-Siège qu’un an plus tard, en septembre 1915.
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Les trois diplomates du Saint-Siège alors en poste à Bruxelles se montrent favorables aux Allemands et se font les relais de la propagande de Berlin à Rome. C’est là qu’intervient un jeune diplomate de l’Église, Mgr Eugenio Pacelli (38 ans en 1914), qui était à cette date secrétaire de la Congrégation pour les affaires ecclésiastiques extraordinaires, l’équivalent aujourd’hui du Secrétaire pour les relations avec les États, soit le ministre des Affaires étrangères.
Eugenio Pacelli entre en scène
Pacelli comprend que le Saint-Siège ne peut pas avoir de bonne diplomatie sans disposer d’une bonne information. Sur la question belge, il organise donc un groupe informel, le club des cinq, composé d’un Belge, Mgr Simon Deploige, professeur à Louvain, d’un Français, Louis Canet, d’un Japonais catholique, l’amiral Étienne Yamamoto, d’un Roumain, Mgr Vladimir Ghika, et d’un Anglais. Grâce à l’action de Mgr Deploige et aux contacts qu’il établit en Belgique et dans les Flandres, le Vatican parvient à disposer de ressources fiables sur les exactions commises par les troupes allemandes lors de l’invasion de la Belgique.
Cela permet à Benoît XV de réorienter la diplomatie pontificale en faveur des Alliés. Sans jamais prendre parti dans le conflit et toujours en œuvrant pour la paix et la réconciliation des peuples d’Europe, le pape condamne les attaques contre les civils et les villes lors d’un message prononcé au consistoire du 22 janvier 1915. Si la Belgique n’est pas nommée, chacun comprend à qui et de quels événements il est fait allusion. Dès 1916, Benoît XV participe à une œuvre sociale de reconstruction de l’université de Louvain et fait des dons à la bibliothèque qui avait été entièrement détruite lors de l’incendie de l’été 1914.
Le retour du Vatican
Merveilles des archives, l’auteur a retrouvé les rapports rédigés par Mgr Deploige ainsi que des notes manuscrites de Pacelli sur ce dossier. À travers l’exemple belge, on comprend donc comment s’est réorganisée la diplomatie pontificale au cours des débuts du conflit européen. Les trois diplomates pro-allemands ont été écartés dès 1916 et leur carrière a été arrêtée. Ils ont eu des postes subalternes à Rome. Surtout, cette expérience a forgé la diplomatie vaticane, qui était en sommeil depuis la perte des États pontificaux (1870). Ce qui s’est formé au cours de ces années quant à la compréhension de la nouvelle diplomatie européenne et du rôle et de l’action du Saint-Siège a servi ensuite durant la Seconde Guerre mondiale.
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Les documents d’archives montrent comment le pape et la diplomatie organisent le secours aux blessés et aux réfugiés, notamment en Suisse, pays resté à l’écart des combats. On voit aussi se mettre en place les relais et les réseaux d’informations, dans une Rome où se croisent de nombreux espions et où les Allemands comme les Alliés cherchent à diffuser leur propagande. Cela témoigne de la place retrouvée du Saint-Siège dans la diplomatie européenne, même s’il faut encore attendre 1929 et les accords du Latran pour que cet État dispose d’une souveraineté territoriale avec le Vatican. Le cardinal Gasparri, en action sous Pie XI comme Secrétaire d’État, l’était déjà sous Benoît XV.
L’exemple belge est donc intéressant, car il permet de comprendre la genèse d’une diplomatie qui prend des formes nouvelles avec ce conflit et qui n’a cessé depuis d’être au cœur des relations internationales. Il permet aussi de mieux saisir l’action d’Eugenio Pacelli et de comprendre les rouages de sa diplomatie lors du second conflit mondial. C’est dès 1914 que Pacelli a compris que l’opposition frontale ne menait à rien et qu’il valait mieux agir en sous-main pour protéger les civils et faire avancer la paix. Une méthode qui lui a permis d’aider à la réalisation de nombreux complots organisés pour renverser Hitler, dont le célèbre Walkyrie.