L’église Saint-Louis de Vincennes (Val-de-Marne) démarre un important chantier de restauration qui va durer cinq ans et coûter 3,2 millions d’euros. Ce sanctuaire à l’architecture novatrice n’a pas fait l’objet de travaux majeurs depuis sa construction dans les années 1910. Pierre-Antoine Gatier, l’architecte en charge du projet, évoque pour Aleteia la singularité et la richesse de cet édifice qui a rassemblé les meilleurs artistes chrétiens de l’époque.En apparence la sobriété est de mise. Pierres meulières, briques rouges et béton constituent l’essentiel du décor extérieur de l’église Saint-Louis de Vincennes. Difficile d’imaginer qu’en son cœur se déploie un programme décoratif de premier ordre. Car c’est bien l’intérieur qui emporte l’admiration. Saint-Louis de Vincennes est un édifice précurseur et la cohérence de son aménagement décoratif en fait un des édifices majeurs du début du XXe siècle. Il annonce l’audacieux renouveau de l’art sacré de l’entre-deux-guerres, défendu avec fougue par le père Marie-Alain Couturier.
Une grande restauration, qui devrait durer cinq ans, a pour objectif de redonner à Saint-Louis de Vincennes son lustre d’antan. Le chantier, qui vient de débuter, consiste à mettre dans un premier temps l’édifice hors d’eau. Cette première phrase a pour objet la révision complète des couvertures, la mise aux normes des dispositifs d’évacuation des eaux pluviales et la restauration des façades adjacentes. Viendra ensuite, dans un second temps, la restauration des œuvres d’art.
Du béton au service de la modernité
La singularité de Saint-Louis de Vincennes se manifeste avant tout par ses techniques de construction novatrices. “Le projet des architectes Jacques Droze et Joseph Marrast était inédit pour l’époque. Ils ont voulu réaliser une formidable synthèse entre tradition et modernité en utilisant des matériaux naissants comme le béton armé”, explique Pierre-Antoine Gatier. Attachés aux formes traditionnelles, ils n’ont pourtant pas reproduit le plan habituel en croix latine mais se sont inspirés directement des plans centrés de l’architecture byzantine. En faisant le choix des matériaux modernes, les architectes sont parvenus à dégager l’intérieur de l’édifice des murs et piliers. Deux paires d’arcs en béton armé, puissamment ancrés dans le sol, se coupent perpendiculairement et délimitent une nef unique en forme de croix grecque. La vue ainsi dégagée, les fidèles voient nettement, à la fois les célébrations, mais aussi les décors qui envahissent l’édifice.
La question de la visibilité frappe immédiatement. Car si la vue est parfaitement dégagée, la luminosité fait défaut. “L’église est très encrassée et les peintures ont perdu leur éclat d’origine”, tient à souligner l’architecte. Mais à cela s’ajoute la question de l’éclairage. En réalité, il n’existe pas de vitraux à proprement parler. Les grandes baies sont uniquement constituées de petits pavés de verres colorés encastrés dans du ciment, ne laissant pas réellement pénétrer la lumière. En réalité, l’éclairage naturel des verrières était, à l’époque, complété par une quinzaine de lustres en forme de couronnes qui supportait des lampes pour éclairer les fidèles. “Ces lustres n’existent plus mais il est question d’en installer de nouveaux pour redonner à l’église sa luminosité d’antan”, explique Pierre-Antoine Gatier.
La glorification de Saint-Louis, un chef-d’œuvre de Maurice Denis
Attachés à réaliser un programme architectural complet pour garantir l’unité de style, Droz et Marrast ont choisi eux-mêmes les artistes. “Ce qui est fascinant ici c’est la cohérence du projet. Ils ont eu la volonté de faire appel à des artistes créateurs et chrétiens, qui partageaient les mêmes convictions et qui étaient conscients que la création d’une nouvelle église était un moment unique”. Parmi ces grands noms, Maurice Denis, chef de fil du mouvement Nabi à la foi profondément ancrée. “J’apprécie particulièrement la Glorification de saint Louis de Maurice Denis, réalisée dans l’abside. Elle représente le roi Louis IX rendant la justice dans la forêt de Vincennes, confie Pierre-Antoine Gatier. Je l’apprécie pour la qualité de son intégration vis-à-vis de l’architecture : les troncs des arbres sont calés sur les meneaux en béton des vitraux du chevet. Je l’aime également pour l’hommage qu’il rend aux architectes, en les représentant comme des maître-d’œuvre de cathédrales. Il établit ici, subtilement, un lien entre les arts médiévaux et la période contemporaine”.
Aux écoinçons des grands arcs, Maurice Denis a aussi représenté les Béatitudes. Là encore, Pierre-Antoine Gatier reste émerveillé par le génie de l’artiste capable de faire un lien subtil entre l’architecture et l’iconographie : “Le choix merveilleux, plein de poésie fut pour lui d’inscrire les Béatitudes dans les parties hautes, dans une envolée de nuages”. Un autre Maurice attire l’attention. Maurice Dhomme, l’auteur de la chaire à prêcher. Potier de formation, il découvre tardivement l’art de la céramique et se passionne pour les mosaïques byzantines et les œuvres de Della Robia. L’influence de ce dernier est d’ailleurs frappante. La chaire à prêcher, entièrement recouverte de belles céramiques colorées, contrebalance merveilleusement avec l’austérité architecturale de l’église et fait magistralement écho au maître-autel d’un bleu légèrement violacé.
Les richesses de Saint-Louis de Vincennes sont nombreuses et témoignent de la volonté des architectes de s’entourer des meilleurs artistes de leur temps. Dès sa consécration en 1924, l’église et son décor font d’ailleurs l’objet d’une telle admiration qu’ils inspirent de nombreux autres églises, comme l’église du Saint-Esprit à Paris (1928) qui a rassemblé une grande partie des artistes présents sur le chantier de Saint-Louis de Vincennes.
Tombée dans l’oubli durant plusieurs décennies, l’intérêt du public, dans les années 1990, pour l’art du début du XXe siècle sonnait la résurrection de Saint-Louis de Vincennes. Son classement au titre de Monument historique, en 1996, confirmait son intérêt artistique. Mais le temps ayant fait son œuvre, l’église a aujourd’hui besoin d’une restauration urgente. Peintures encrassées, béton armé désagrégé… l’édifice, resté dans “son jus”, n’a pas connu de grand chantier de réfection depuis sa consécration en 1924. “En lui redonnant son éclat d’origine, mon grand désir est d’offrir à nos contemporains un lieu de ressourcement et de contemplation de la beauté”, a déclaré Monseigneur Michel Santier, évêque de Créteil.