C’est dans le cadre d’un reportage sur les hôpitaux publics qui ne pratiquent plus l’IVG que Bertrand de Rochambeau, gynécologue et président du SYNGOF, a accepté de répondre aux questions de l’équipe de l’animateur TV Yann Barthès. « Moi je fais un métier avec mes tripes. Je me lève à n’importe quelle heure. La nuit, je fais des opérations très difficiles, avec mes tripes. Et donc, aux choses auxquelles je ne crois pas, je ne les fais plus. Nous ne sommes pas là pour retirer des vies », a-t-il confié sincèrement. Interpellé sur le fait que « retirer une vie à un enfant à naître n’est pas une vie au sens juridique, ce n’est pas un homicide » et que toutes les femmes « ne considèrent pas qu’avoir un embryon dans le ventre c’est une vie », il a rétorqué : « Et bien ça c’est son opinion. Moi, en tant que médecin, je ne suis pas forcé d’avoir votre opinion. Et si je ne l’ai pas, la loi me protège et ma conscience aussi ».
De la déclaration personnelle au lynchage médiatique
Ces propos, qui ont fait le buzz sur la toile, ont été aussitôt condamnés avec sévérité. Dans un communiqué publié en commun, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn et Marlène Schiappa, la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, ont déclaré que « rien ni personne ne doit entraver » le droit à l’IVG. « Nous ne devons laisser passer aucune attaque, d’où qu’elle vienne, contre le droit des femmes à accéder librement à l’avortement », ont-elles affirmé. Pourtant, n’en déplaise à ses opposants, tout gynécologue en France a le droit de refuser de pratiquer personnellement une IVG. Le droit à l’objection de conscience leur est garanti et ce, depuis la légalisation de l’avortement. Les propos de Bertrand de Rochambeau étaient donc justes, la loi le protège et sa conscience aussi.
C’est donc sous l’angle de son statut de président du SYNGOF que les propos ont été mal reçus. Accusé par le collectif national pour les droits des femmes de faire « ouvertement de la pub aux lobbys anti IVG », il est aussi critiqué par le Conseil de l’ordre des médecins, qui a estimé mercredi dans un communiqué que « cette opinion personnelle ne peut effacer le fait que le Dr de Rochambeau est également président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens, ce qui pose le problème de la portée de ses propos tenus dans une émission de grande écoute ». De son côté, Bertrand de Rochambeau reconnaît avoir été « manipulé » par la journaliste de TMC « pour faire le buzz ». « A plusieurs reprises, j’ai rappelé que je m’exprimais en mon nom propre, mais cela a été coupé. J’ai été son trophée », déplore-t-il. Son opinion personnelle, il ne la renie pas. Pour lui, « l’IVG n’est pas un acte comme les autres, on retire une vie pour soulager une femme en grande détresse, c’est toujours un drame ».
L’enfant à naître, de la théorie juridique à la pratique
Depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, l’interruption volontaire de grossesse est légale. Aujourd’hui, elle peut être pratiquée par un médecin ou une sage-femme jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse. Légale, elle ne peut donc pas être assimilée juridiquement à un homicide qui constitue le fait de donner volontairement la mort à autrui. C’est ainsi que la jurisprudence refuse d'étendre l'homicide, volontaire ou non, au cas de l'enfant à naître. Le droit est clair, l’enfant à naître n’est pas une personne juridique.
Mais, selon Jean Mouly, Professeur de droit à l’Université de Limoges, « cette prise de position doctrinale relève davantage d'opinions personnelles, certes respectables, mais néanmoins partisanes, que d'un raisonnement respectueux des préceptes du droit pénal ». Une autre position consisterait à penser que l’atteinte à la vie n’est pas seulement une atteinte à la personne humaine, juridiquement limitée, mais une atteinte à l’être humain dès le commencement de sa vie. C’est cette conviction personnelle qui peut conduire le personnel médical à refuser de pratiquer une IVG et que la loi ne peut forcer.
L’objection de conscience, une protection « à maintenir »
L’article L2212-8 du code de la santé publique est sans ambiguïté : « un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une IVG », de même qu'« aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir » à cet acte médical. S’il refuse de pratiquer une IVG, le médecin est toutefois tenu de « communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention ». Dans ces conditions, tant le droit de la femme à l’IVG, que les convictions personnelles du médecin sont préservés. Il n’y a donc point de raison d’être choqué, de scandale, ni de prétendu « retour en arrière » ou « entrave aux droits des femmes », mais simplement une clause de conscience légale, seule susceptible de protéger la liberté de penser. « C'est une question éthique et pas seulement un geste médical » rappelait Simone Veil interviewée sur cette question en 2007. « C'est un point à maintenir, car on ne peut obliger personne à aller contre ses convictions. Il est de plus en plus évident scientifiquement que, dès la conception, il s'agit d'un être vivant » a-t-elle ajouté. A cet égard, les défenseurs de la clause de conscience peuvent être rassurés. A l’issue de l’interview litigieuse, la journaliste de TMC concluait « on a demandé à Marlène Schiappa si la clause de conscience allait être supprimée ou pouvait l’être et elle nous a répondu que ce n’était pas du tout d’actualité ».