Dans l’avion qui le ramenait au Vatican après son voyage en Irlande, le pape a répondu aux questions concernant la lettre de l’ancien nonce Mgr Carlo Vigano qui l’accuse d’avoir couvert les dérives de Theodore McCarrick.
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Le dimanche 26 août 2018, a été une journée doublement intense pour le pape François. Au deuxième jour de sa visite, il a livré une catéchèse très profonde sur la valeur de la famille à Dublin, dans un pays auparavant très catholique, mais qui se remet aujourd’hui des récents scandales qui ont affecté une Église trop accrochée à la gloire du passé et peu attentive aux horreurs du présent.
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Le même jour était rendue publique dans les médias du monde entier une déclaration accusatrice contre le Pontife signée de l’ancien nonce apostolique aux États-Unis, Mgr Carlo Maria Vigano, un archevêque déjà connu des médias pour l’affaire Vatileaks.
Lors de la conférence de presse habituelle au retour de chaque voyage apostolique, le pape a répondu aux accusations : « J’ai lu ce matin le communiqué de Vigano. Je dirais sincèrement à vous et à tous ceux d’entre vous qui sont intéressés : lisez attentivement le communiqué et faîtes-vous votre propre jugement. Je ne dirai pas un mot là-dessus. Je pense que le document parle de lui-même. Vous avez la capacité journalistique suffisante pour parvenir à vos propres conclusions, avec votre maturité professionnelle. »
Nous tentons de comprendre si ces accusations sont fondées ou plausibles. Mgr Carlo Maria Vigano, évêque influent de la Curie, a décidé de communiquer au monde sa version des faits dans un document de 11 pages, où il affirme que le Saint Siège avait connaissance de l’affaire McCarrick depuis l’an 2000 au moins, soit au moment du pontificat de Jean-Paul II, qui fut celui qui l’avait promu à la fin de cette année-là archevêque de Washington et qui l’avait élevé au rang de cardinal l’année suivante.
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Dans son document, Carlo Vigano porte des accusations contre de nombreux hauts membres de la Curie de toutes les « administrations » passées et présentes. Il accuse certains cardinaux, en particulier les secrétaires d’État Angelo Sodano et Tarcisio Bertone. Il accuse notamment Angelo Sodano d’avoir profité de l’état de santé de Jean-Paul II pour lui faire approuver la nomination et surtout la pourpre cardinalice. Or en 2000, l’année du Jubilé, le Pontife était physiquement faible mais mentalement lucide, les deux millions de jeunes catholiques présents à Tor Vergata pour les JMJ peuvent en témoigner.
Selon Mgr Vigano, Benoît XVI a pris des mesures contre McCarrick, mais en secret, comportement peu explicable, d’autant plus que Joseph Ratzinger aurait pris cette décision entre 2009 et 2010 et n’aurait pas haussé un sourcil en voyant qu’il avait été ignoré. Rappelons que Benoît XVI a été pape jusqu’en 2013 : Comment pouvait-il ne pas savoir qu’on lui avait désobéi ? Et pourquoi n’aurait-il rien fait ? Et enfin, pourquoi aurait-il pris une mesure « secrète » si elle avait vitale pour l’Église ?
Mgr Vigano affirme que le pape François a continué à couvrir McCarrick, et pourtant, la seule sanction effective et publique qui ait été prise contre lui vient du Pontife argentin, qui l’a privé de la pourpre et lui a imposé de prendre sa retraite. Comment peut-on concilier cette sévérité avec le supposé laxisme dénoncé par Mgr Vigano ? Il ne faut pas oublier que dans ces cas-là, la bonne foi de la personne qui accuse revêt la même importance que ses propres accusations. Mgr Vigano parle cinq ans après sa dernière rencontre avec le pape François. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Mgr Vigano n’a jamais supporté le fait de ne pas avoir été promu à un poste à responsabilités dans la Curie, poste qu’il convoitait et pour lequel il a menti à Benoît XVI quand le Pontife l’a nommé nonce aux États-Unis, après que les accusations qu’il avait formulées concernant la corruption au Vatican (l’affaire Vatileaks) se sont révélées infondées : Mgr Vigano, pour s’opposer à son transfert, a écrit directement au pape et s’est justifié en invoquant l’obligation qu’il avait de rester auprès de son frère, gravement malade et quasiment incapable de comprendre et d’exprimer sa propre volonté. Le 7 juillet 2011, le nonce a écrit au pape Ratzinger : « Je suis angoissé par le fait que, ayant à m’occuper personnellement d’un de mes frères prêtre plus âgé gravement handicapé après un AVC qui l’a affaibli physiquement et mentalement, je doive partir maintenant, quand je pensais pouvoir résoudre en quelques mois ce problème familial qui m’inquiète tant. »
En réalité, les investigations et le témoignage direct de Lorenzo Vigano [le frère en question], étayés par des documents d’activité académique, des contrats de location et d’autres documents, montrent une situation totalement inverse. Lorenzo Vigano affirme sans demi-mesures que son frère « a écrit fallacieusement au pape », étant donné qu’il vit depuis de nombreuses années à Chicago en toute autonomie et que son frère ne s’est jamais occupé de lui, frère avec lequel, au vu de la date de la lettre, il avait déjà coupé les ponts depuis plus de deux ans, en janvier 2009. « En 1996, j’ai souffert d’un AVC, mais j’ai rapidement retrouvé mon indépendance et, non sans quelques difficultés physiques (une hémiparésie gauche), j’ai repris ma vie normale et mes études à Chicago »
Pourquoi cette réticence à quitter Rome ? Car loin de la Curie, les possibilités d’occuper un poste de prestige se réduisent énormément. Est-ce parce que Mgr Vigano ne pardonne pas au pape Francois d’avoir perdu son appartement confortable au Vatican, avance le vaticaniste de TgCom24 :
Après être rentré des États-Unis en 2016, l’archevêque est revenu dans son appartement du Vatican, appartement qu’il n’avait pas laissé à un autre locataire (comme il aurait dû le faire) durant son service diplomatique à l’étranger, et qu’il avait réussi à garder, […]. Le pape argentin a mis fin à ces privilèges il y a quelques mois, et pas seulement au Vatican. L’APSA (Administration du patrimoine du siège apostolique), le dicastère qui gère tous les immeubles du Saint-Siège, avait trouvé un nouveau logement à l’ex-nonce, Via delle Erbe, où vivent d’autres nonces retraités. Mais le pape François lui a fait savoir qu’il serait préférable qu’il rentre dans son diocèse d’origine (Varese).
Par conséquent, Mgr Vigano demande la démission du pape, alors même s’il sait qu’ils doivent être libres de toute contrainte pour qu’elle soit valide, conformément au droit canonique. Selon l’avis général, cette situation montre que le désaccord entre les différents courants de pensée à l’Église de Rome ne s’est pas atténué. Depuis son retour à Rome, Mgr Vigano a souvent été vu avec les « cardinaux des Dubia » (contre Amoris Laetitia) et a participé à des réunions et conférences avec des groupes qui se disent explicitement et clairement contre le pape François (HuffPost). Selon l’agence Ansa, derrière ce geste de Mgr Vigano pourrait se cacher la « longa manus » de l’épiscopat américain, qui n’accepte pas la ligne dure entreprise par François contre les représentants du clergé qui ont commis ce que lui-même appelle des « crimes » (Rep).
L’initiative de Mgr Vigano ressemble fort à celle utilisée contre Benoît XVI, déterminé à mettre de l’ordre dans les affaires du Vatican. Comme s’il s’agissait de déligitimer le pape et de faire pression sur lui. La démission de Benoît XVI a démontré l’existence de résistances : plutôt que d’aider Pierre à gouverner la barque de l’Église, on sabotait ses efforts. Maintenant cette tempête, au vu du moment choisi (un voyage très délicat en Irlande), tente de faire pression pour « mesurer l’impact de la tempête médiatique non seulement sur le pape François, mais aussi sur le collège cardinalice, l’épiscopat et les théologiens ; on verra qui suit » affirme Alberto Melloni dans le quotidien italien Repubblica.