En décembre dernier, le Conseil d’État a refusé d’admettre le pourvoi formé par un pharmacien de Gironde, suspendu pour avoir refusé de délivrer des stérilets dans son officine. La question de l’objection de conscience, reconnue à tous les professionnels de santé à l’exception des pharmaciens, est aujourd’hui portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.Le code de la santé publique distingue trois catégories de professionnels de santé. D’une part, les professions médicales qui comprennent les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes. D’autre part, les professions de la pharmacie et de la physique médicale. Enfin, les auxiliaires médicaux, aides-soignants, auxiliaires de puériculture, ambulanciers et assistants dentaires. A l’exception des pharmaciens, tous les professionnels de santé disposent d’une objection de conscience, soit le droit de refuser d’accomplir un acte qu’ils jugent incompatible avec des impératifs religieux, moraux ou éthiques, dictés par leur conscience.
La conscience des professionnels de santé contestée
Selon les articles 85 et 86 du code de déontologie des médecins, en matière reproductive, « si le médecin estime ne pouvoir faire abstraction de ses opinions personnelles », il peut refuser de traiter un patient et l’adresser à un confrère. Concernant l’interruption volontaire de grossesse, « dans tous les cas, le médecin est libre d’y prêter son concours. Il peut s’y refuser pour des motifs personnels » et « ses collaborateurs doivent jouir à tous égards de la même liberté ». La liberté de conscience des médecins est donc, en théorie, parfaitement préservée. C’est aussi le cas des sages-femmes, infirmiers, dentistes et auxiliaires de santé.
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Il semble néanmoins que la société contemporaine glisse progressivement de la notion de conscience et de « devoirs » professionnels, vers celle de « droits » du malade. Ainsi, par exemple, en 2016, la loi sur la fin de vie a pris le titre de « loi relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Cette conception nouvelle de la médecine, au service des volontés du patient, biaise la notion d’objection de conscience qui est aujourd’hui perçue à tort comme un obstacle aux droits des malades. Devant l’émergence de nouvelles pratiques médicales telles que la PMA, la GPA ou l’euthanasie, présentées comme de nouveaux droits « à l’enfant » ou « à mourir dans la dignité », l’objection de conscience des professionnels de santé est aujourd’hui plus que jamais contestée.
Pas d’objection de conscience en officine
En France, la conscience du pharmacien est tout simplement ignorée. L’article L. 4211-1 du code de la santé publique prévoit que « sont réservés aux pharmaciens » la préparation et la vente en gros ou au détail de médicaments, drogues simples, substances chimiques ou plantes médicinales. C’est ce monopole pharmaceutique qui a justifié la première condamnation d’un pharmacien de Gironde accusé en 1995 d’avoir invoqué ses croyances religieuses pour refuser de délivrer la pilule contraceptive. La Cour européenne des droits de l’homme avait alors confirmé cette décision, « dès lors que la vente de ce produit est légale, intervient sur prescription médicale uniquement et obligatoirement dans les pharmacies ».
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Mais, certains produits délivrés par une officine ne sont plus, au sens classique du terme, des médicaments. Lorsque la loi Veil autorisant l’avortement en 1975 a accordé une clause de conscience aux professionnels de santé, elle ne pouvait pas présager des évolutions futures des procédés d’avortement, comme la pilule du lendemain ou l’avortement chimique. Paradoxalement, aujourd’hui, alors que la majorité des avortements pratiqués en France sont médicamenteux, le pharmacien reste le seul professionnel de santé qui ne dispose pas d’une clause de conscience. Ainsi, un stérilet, une pilule abortive, un avortement chimique par RU 486 ou, dans l’avenir proche un cocktail euthanasique, sont-ils des médicaments que tout pharmacien est dans l’obligation de délivrer ? En présence de substances destinées à attenter à la vie, le pharmacien peut-il invoquer une objection de conscience ? C’est à cette nouvelle question que devra répondre la Cour européenne, saisie encore une fois par le pharmacien girondin, suspendu pour avoir refusé de délivrer un stérilet et une pilule abortive à des militantes du planning familial venues le tester.
La conscience, essence de la profession de pharmacien
La véritable interrogation est celle de savoir si le pharmacien est un professionnel de santé comme les autres, doté d’une conscience, ou un simple distributeur et vendeur de médicaments ? Si l’on en croit le Serment de Galien que prêtent les étudiants en pharmacie, cette profession doit s’exercer « dans l’intérêt de la santé publique, (…) avec conscience ». Les termes de ce serment sont éloquents. Loin d’être un commerçant ordinaire, le pharmacien doit « respecter non seulement la législation en vigueur, mais aussi les règles de l’honneur, de la probité et du désintéressement » et ne jamais oublier ses « devoirs envers le malade et sa dignité humaine ». L’essence même de cette profession est donc de délivrer des médicaments aux patients de manière désintéressée et en conscience. L’article R 4235-2 du code de déontologie du pharmacien va même jusqu’à affirmer qu’il « exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine. Il doit contribuer à l’information et à l’éducation du public en matière sanitaire et sociale ».
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Il paraît ainsi légitime et logique que le pharmacien puisse informer les malades des conséquences néfastes d’un produit pharmaceutique et bénéficier d’une clause de conscience au même titre que les autres professionnels de santé. Les pharmaciens français demeurent néanmoins parmi les seuls en Europe à ne pas bénéficier d’une telle clause. Pourtant, dans sa résolution du 7 octobre 2010, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, avait fermement affirmé le « droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux ». A sa suite, par deux arrêts de 2011 et 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que « les États sont tenus d’organiser leur système de santé de manière à garantir que l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans le contexte de leurs fonctions n’empêche pas les patients d’accéder aux services auxquels ils ont droit en vertu de la législation applicable ». Il n’y a donc pas d’obstacle juridique majeur à la consécration d’une objection de conscience des pharmaciens, dès lors que les patients peuvent aisément se procurer les produits recherchés dans une autre pharmacie.
Les professions médicales au service de la santé publique
A l’occasion du 25e congrès des pharmaciens catholiques en 2007, Benoît XVI s’était déjà prononcé en faveur de l’objection de conscience des pharmaciens. « Dans le domaine moral, votre Fédération est invitée à affronter la question de l’objection de conscience, qui est un droit qui doit être reconnu à votre profession, vous permettant de ne pas collaborer, directement ou indirectement, à la fourniture de produits ayant pour but des choix clairement immoraux, comme par exemple l’avortement et l’euthanasie », affirmait le pape. Par ces mots, il consacre pleinement le statut de « professionnel de santé » du pharmacien. Il n’est pas un simple vendeur. Comme le Serment de Galien le lui rappelle, le pharmacien doit exercer sa profession « dans l’intérêt de la santé publique ». Et, ainsi que l’a clairement précisé Benoît XVI, « les sciences biomédicales sont au service de l’homme ; si tel n’était pas le cas, elles n’auraient qu’un caractère froid et inhumain ». C’est donc, ni plus ni moins, tel que l’énonce le code de déontologie, au service « de la vie et de la personne humaine » que le pharmacien est invité à exercer sa mission. Sans détour, Benoît XVI affirme que la fourniture de produits ayant pour but l’avortement ou l’euthanasie, est une forme de collaboration à ces pratiques. Privé d’une objection de conscience, le pharmacien est donc contraint de participer à un acte qui peut être contraire à ses convictions. Comme le rappelle Grégor Puppinck, Docteur en droit et Directeur de l’ECLJ, « C’est une chose de tolérer l’euthanasie, c’en est une autre de devoir la pratiquer soi-même ».