Faire pression en cessant de travailler ne peut jamais se justifier sans raisons graves. Revendiquer des droits dans les limites du bien commun, oui ; protéger des privilèges en prenant d’autres travailleurs en otage, non.Que dit l’Église du droit de grève ? Celui-ci est légitime s’il est « proportionné », après que toutes les possibilités d’éviter le conflit ont été tentées. Il faut surtout que la grève poursuive — pacifiquement — des objectifs liés aux seules conditions de travail relevant de la justice sociale et qu’ils ne soient pas contraires au bien commun. Dans son l’encyclique sociale Laborem exercens (LE), Jean Paul II précise que « les requêtes syndicales ne peuvent pas se transformer en une sorte “d’égoïsme” de groupe ou de classe » (LE, 20).
La doctrine sociale de l’Église ne met pas en scène une société idéale, sans contradictions : « La vie économique met en cause des intérêts divers, souvent opposés entre eux. Ainsi s’expliquent l’émergence des conflits qui la caractérisent » (LE, 11). Le dépassement de ces contradictions suppose une régulation raisonnable des oppositions. Ce que dit Le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) : « On s’efforcera de réduire ces conflits par la négociation qui respecte les droits et les devoirs de chaque partenaire social : les responsables des entreprises, les représentants des salariés, par exemple les organisations syndicales et, éventuellement les pouvoirs publics » (n. 2430).
En vue d’un bénéfice proportionné
La doctrine sociale reconnaît donc la légitimité de la grève « quand elle se présente comme un recours inévitable, sinon nécessaire, en vue d’un bénéfice proportionné » (CEC, 2435). Il est cependant requis que « toutes les autres modalités de dépassement du conflit se soient révélées inefficaces » (CEC, 2430).
Dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, un paragraphe entier est consacré au droit de grève (n. 304). Pour l’Église, la grève est « une des conquêtes les plus difficiles de l’associationnisme syndical ». Elle est définie comme un « refus collectif et concerté, de la part des travailleurs, d’accomplir leurs prestations, afin d’obtenir, grâce à la pression ainsi exercée sur les employeurs, sur l’État et sur l’opinion publique, de meilleures conditions de travail et de leur situation sociale ».
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La liberté syndicale a aussi ses devoirs
Pour autant qu’elle apparaisse « comme une sorte d’ultimatum » (LE, 20), la grève « doit toujours être une méthode pacifique de revendication et de lutte pour ses droits ; elle devient “moralement inacceptable lorsqu’elle s’accompagne de violences ou encore si on lui assigne des objectifs non directement liés aux conditions de travail ou contraires au bien commun” (LE, 20) » (Compendium, n. 304).
Le travail unit les hommes
Car il faut aller plus loin pour apprécier la légitimité d’une « grève juste ». Ce droit repose sur une vision du travail humain qui rapproche les hommes, pas qu’il les oppose. La vie économique se comprend comme l’union de tous en vue de la prospérité du plus grand nombre, par le travail et l’échange dans le respect de la dignité de chacun, condition du bonheur commun. La notion même de conflit organisé ne peut donc pas se justifier comme « une manière ordinaire de gouverner la vie sociale ».
Jean Paul II voit la « lutte » syndicale comme un engagement normal en vue du juste bien qui correspond aux besoins et aux mérites des travailleurs sans jamais être une « lutte contre » les autres. Si elle prend un caractère d’opposition, ce ne peut être qu’une forme ultime de pression, dont la violence qu’elle induit ne peut être que provisoire et limitée par le bien de tous, nécessairement plus grand que les intérêts de telle ou telle catégorie, a fortiori si les droits revendiqués sont devenus des privilèges acquis aux dépens du bien commun. « La caractéristique du travail est avant tout d’unir les hommes et c’est en cela que consiste sa force sociale : la force de construire une communauté. »
Un moyen extrême
Autrement dit, tout en admettant que « la grève est un moyen juste et légitime », elle demeure toujours un « moyen extrême » : « On ne peut pas en abuser, spécialement pour faire le jeu de la politique. En outre, on ne peut jamais oublier que, lorsqu’il s’agit de services essentiels à la vie de la société, ces derniers doivent être toujours assurés, y compris, si c’est nécessaire, par des mesures légales adéquates. L’abus de la grève peut conduire à la paralysie de toute la vie socio-économique. Or cela est contraire aux exigences du bien commun de la société qui correspond également à la nature bien comprise du travail lui-même » (LE, 20).