L’archevêque des Arméniens catholiques d’Alep témoigne du courage des chrétiens syriens, qui maintiennent leur présence.Mgr Boutros Marayati est un authentique aleppin, qui a vu avec effroi sa ville natale être détruite par la guerre syrienne. Conscient que la communauté arménienne catholique a échappé de peu à la destruction, il fait aujourd’hui son possible pour qu’elle puisse demeurer au pays. Il ne reste aujourd’hui que 7 000 arméniens catholiques dans le diocèse d’Alep, neuf prêtres, cinq religieuses et deux séminaristes. Nous avons rencontré Mgr Boutros Marayati à Paris.
Aleteia : La guerre s’est éloignée d’Alep, peut-on dire que les chrétiens soient sortis d’affaire ?
Mgr Marayati : Il y a encore des rebelles à dix kilomètres de la ville et la région reste sous tension. L’aéroport d’Alep, notamment, est toujours fermé. Donc il faut rester prudent, mais on peut dire que la plus grande partie de cette série de malheurs est finie.
Pensez-vous retrouver la situation d’avant 2011 ?
Non. La moitié de ma communauté (arménienne catholique d’Alep ndlr), 15 000 personnes, n’est pas rentrée. Il y en a parmi eux qui sont partis pour des pays occidentaux lointains, et qui ne peuvent ou ne veulent pas revenir. La moitié d’Alep est encore inhabitable, elle a perdu son merveilleux souk, complètement ruiné dans les combats urbains. Notre citadelle, qui surplombe la ville, est criblée d’impacts. Les gens aussi sont marqués. Il y a de jeunes enfants qui n’ont connu que la guerre et qui découvrent l’eau courante et l’électricité. Il y en a qui font des cauchemars, et qui craignent perpétuellement de nouveaux bombardements.
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Quels sont vos priorités, dans la reconstruction d’Alep ?
Les enfants d’abord ! Nous sommes en train de reconstruire notre école, où mille enfants étaient éduqués avant la guerre. Ils sont à présents 450, et ils recommencent à avoir des conditions d’études correctes. Les bâtiments sont en train d’être reconstruits dans leur beau style arabe d’origine, datant du XVIIe siècle, grâce au soutien de plusieurs associations. C’est un vaste chantier, qui demande la compétence d’ouvriers spécialisés, car nous ne voulons pas bétonner, construire mal et à la va-vite. Et nous sommes sur le point de réussir ce pari. Quel chemin parcouru ! Pendant la guerre, les écoliers recevaient leurs cours dans des salles souterraines, à la lumière de lampes à batterie ou de bougies ! On ne pouvait pas les laisser dans ces conditions. Ce chantier, parmi d’autres, montre aux Aleppins que la ville peut renaître de ses cendres. Il manifeste aussi le soutien des occidentaux. Ils nous accompagnent de leurs prières, de leur soutien financier, et envoient aussi des volontaires participer au chantier, au coude à coude avec nos jeunes.
Quelles sont vos relations avec vos voisins musulmans ?
Alep est une ville ouverte, où il n’y avait pas de problème entre voisins de religions différentes. La guerre est venue menacer cet équilibre… On s’est découvert chrétien, sunnite ou alaouite. Nous avons d’excellents rapports avec nos voisins musulmans, et d’ailleurs, certains d’entre eux confient leurs enfants à l’école chrétienne. Mais les radicaux ont laissé des traces dans les esprits, et le matraquage idéologique des Frères musulmans continue ! On voit des femmes porter la burqa à Alep, jusque dans les universités, alors que ça n’existait pas avant la guerre.
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De quoi votre communauté a-t-elle le plus besoin actuellement ?
De la paix. Nous ne sommes plus sur la ligne de front, mais la guerre n’est pas finie, et elle continue à empoisonner les mentalités. Notre intention de prière principale demeure donc la fin du conflit. Nous prions aussi pour le retour des disparus. Nous sommes toujours sans nouvelle de deux prêtres et de deux évêques, pour l’un d’entre eux depuis cinq ans !