Le projet magistral de réalisation d’une peinture représentant l’Apocalypse dans le cloître de la collégiale de Saint-Emilion connaît un nouveau souffle.
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Tout commence en 2011 lorsque l’abbé de Rozières, curé de Saint-Emilion, rencontre l’artiste-peintre du Lot-et-Garonne, François Peltier. Les mois passent, quelques entretiens plus tard, et après avoir vu son chemin de croix dans la petite église de Bias, il lui confie son projet : la création d’une Apocalypse complète. L’entreprise est ambitieuse, tant par le choix et la complexité du sujet que par ses dimensions monumentales (200 m2 !), elle crée aussi la polémique, notamment à cause de son affirmation catholique et d’une certaine peur à l’idée de voir une œuvre d’art contemporaine dans un site ancien classé au patrimoine mondial de l’Humanité. Mais François Peltier relève le défi, entraînant dans l’aventure son épouse pour la logistique, sa fille Louise Guittard et son ancien apprenti Augustin Frison-Roche, tous deux artistes-peintres professionnels.
La proposition initiale comporte trois versions de l’Apocalypse. Après une première étape dite Apocalypse I, déjà exposée dans le cloître, le projet reste au point mort pendant quelques temps, faute de fonds. Aujourd’hui, un accord et un financement ont été trouvés à la grande satisfaction de l’artiste qui va pouvoir s’y consacrer à plein temps pendant toute une année. Entretien.
Pourquoi ce choix de l’Apocalypse ?
François Peltier : Ce texte est extraordinaire et d’une grande richesse. Le sujet est tout à fait contemporain, c’est le dévoilement* du combat entre le bien et le mal, un combat qui semble perdu d’avance mais qui, au bout du compte, finit bien ! C’est donc un véritable message d’espérance contrairement à l’idée communément répandue d’une Apocalypse synonyme de destruction et de fin du monde que certains aiment à prédire régulièrement.
C’est aussi le seul texte biblique qui comporte des béatitudes à propos même du texte (ce qui est différent des Béatitudes des Évangiles), et ce, dès le chapitre 1 (“Heureux celui qui lit, heureux ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui est écrit en elle, car le temps est proche”).
Pour un peintre, c’est un sujet d’exception !
Un projet exceptionnel demande également une préparation exceptionnelle. Comment avez-vous réussi à vous approprier le texte ?
J’en ai effectué plusieurs lectures, mais il n’est pas évident d’apprivoiser un texte aussi riche et complexe que celui de l’Apocalypse. Je me suis appuyé sur l’aide d’éminents spécialistes comme le père Lafaye, à Bergerac, qui enseigne au séminaire de Bordeaux, j’ai lu les travaux d’Enzo Bianchi, fondateur de la communauté monastique de Bose et ceux du père Plet, ermite qui vit dans un sanctuaire du Minervois… Je suis parti m’isoler avec leurs ouvrages quelques temps dans une petite maison perdue au milieu des vignes. Seules 3 personnes pouvaient me joindre. Je voulais être en totale “immersion” ! Et bien sûr, j’ai eu et continue à avoir de nombreux échanges avec l’abbé de Rozières dont le point de vue est très important pour moi.
L’Apocalypse est une vision, non une prophétie et l’une des grandes difficultés est de rendre cette vision globale sans réaliser une succession d’images à la façon d’une bande dessinée. Tous les arts, à part l’art plastique, sont des arts diachroniques, c’est-à-dire qu’il y a une évolution dans le temps. Avec la peinture, c’est différent : on arrive et on voit tout le tableau dans son ensemble. Après, on regarde les détails. C’est comme cela que je veux traiter l’Apocalypse, par une vision globale. Il faut que d’un seul coup d’œil soit compris ce dévoilement du combat entre le bien et le mal dans lequel se débat l’homme. C’est un gros pari, personne ne s’y est attelé depuis longtemps, à ma connaissance, la dernière représentation complète est celle de l’allemand Dürer en 1498.
La difficulté artistique n’est sûrement pas la seule que vous ayez dû affronter ?
Non… J’ai la chance de pouvoir travailler dans un lieu exceptionnel mais cela entraîne également de nombreuses contraintes et oppositions. Nous avons eu des réunions de travail avec nos deux interlocuteurs de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) que notre projet désarçonne et qui n’y sont pas favorables. Nous ne leur demandons pourtant pas d’argent, uniquement des autorisations administratives. Le financement vient des dons des fidèles et d’entreprises comme les grands châteaux. Mais en France, nous vivons dans une société qui a peur de son ombre… dès que le bâtiment est classé, tout travail contemporain pose problème ! Ou alors, il faut que ce soit éphémère et que ça ne laisse surtout pas de traces. Je pense par exemple à la sculpture de l’artiste britannique Anish Kapoor, “le vagin de la reine”, dans les jardins de Versailles. En ce qui nous concerne, nous étions partis sur un travail en cinq ans comportant trois versions de l’Apocalypse. Nous entamons la seconde version qui sera donc démontable mais faite pour durer.
Et je ne parle pas de l’anticatholicisme primaire auquel nous nous heurtons également ! L’État, pourtant prêt à des financements importants pour des œuvres profanes, se montre réticent lorsque les œuvres ont un caractère religieux… Heureusement, l’abbé de Rozières est très dynamique et a foi en notre projet. Pour lui, si c’est le temps de l’Apocalypse, elle se fera, quelles que soient les difficultés à affronter !
Quel est l’accueil des fidèles par rapport à la première version ?
Positif ! En général, les fidèles adhèrent aux projets, celui de Saint-Emilion, comme ceux de Bias, Bidart** ou Bordeaux***. Il est important de créer des œuvres contemporaines dans nos églises pour continuer à les faire vivre (l’église de Bias, auparavant fermée, est à présent ouverte toute la journée). Je constate d’ailleurs un véritable renouveau, les chrétiens semblent avoir un peu plus de courage pour s’affirmer. Je reçois de plus en plus de demandes de prêtres qui souhaitent développer des projets mettant l’art au service du patrimoine et de la foi.
Les premières rencontres avec l’abbé de Rozières ont eu lieu en 2011. La livraison du tableau II est prévue pour 2018. Sept ans, cela semble long …
Prendre le temps, c’est fondamental. En 40 ans de carrière, j’ai compris qu’il ne fallait pas vouloir brûler les étapes ni faire de compromis. Il faut aller au fond des choses, c’est une question d’exigence. Héraclite disait : “Ceux qui ne respectent pas le temps, le temps ne les respecte pas”. C’est pourquoi avec l’abbé de Rozières, nous avons décidé de faire plusieurs versions de l’Apocalypse pour donner au projet le temps d’évoluer, de mûrir. Je dirais que je suis plus “bœuf que gazelle” ! En sept ans, j’ai moi-même beaucoup évolué en tant qu’homme, catholique et artiste. C’est aussi un cheminement personnel.
Jusqu’en 2010, j’avais une carrière profane. Lorsque j’ai basculé vers l’art religieux avec la réalisation du chemin de croix de Bias, des portes se sont fermées et des gens du milieu des arts plastiques m’ont tourné le dos. Avec ma femme (la même depuis toujours) et nos quatre enfants, je ne correspondais déjà pas à l’image que l’on se fait d’un artiste contemporain. Alors imaginez un peu avec mon catholicisme revendiqué ! Mais aujourd’hui, c’est devenu une vitrine fantastique et je suis sollicité pour des projets passionnants. Il fallait être patient et laisser le temps accomplir son œuvre.
Pour découvrir le site officiel de de l’artiste, cliquez ici.
Propos recueillis par Axelle Partaix.
*Apocalypse signifie dévoilement, révélation en grec.
** et *** : F. Peltier vient de réaliser le chemin de croix de l’Église de Notre-Dame de l’Assomption à Bidart, ainsi qu’un tableau représentant le Christ avec Marthe et Marie dans le chœur de la chapelle Sainte-Marthe de l’hôpital Saint-André de Bordeaux.