Le père Pedro Opeka mène depuis plus de trente ans le combat contre la pauvreté dans son pays d’adoption, et appelle tous ses semblables à une véritable insurrection face à la misère.
Sa barbe blanche et son œil pétillant pourraient lui donner un air de père noël, rapidement démenti par une poignée de main de camionneur. Le prêtre lazariste, connu pour ses oeuvres, et notamment l’association Akamasoa, publie un livre en forme d’appel avec son comparse Pierre Lunel.
La pauvreté ne tombe pas du ciel !
La pauvreté n’est pas bonne, jamais bonne, assure le père Pedro. Quand on se lève sans savoir si on pourra manger, nourrir ses enfants, on peut devenir malhonnête, par esprit de survie. La pauvreté attaque tout l’homme, corps et âme. Il connaissait déjà la situation à Madagascar, quand la réalité de la misère l’a pris à la gorge. C’était en mai 1989. Intrigué par des fumées, cet Argentin d’origine slovène se rend sur les hauteurs d’Antananarivo, la capitale économique de l’île. Là, hommes femmes et enfants vivent dans une décharge, attendant que les bennes déversent leurs déchets. Devant cette situation apocalyptique, il refuse la fatalité, “la pauvreté ne tombe pas du ciel, assure-t-il, c’est nous qui la créons”. Il réunit les parents et propose un goûter pour les enfants. C’est son premier pas, bien modeste dans un pays qui voit la pauvreté s’aggraver au gré de deux facteurs complémentaires : la croissance de la population et la démission du gouvernement.
Gouvernement démissionnaire
En débarquant à Madagascar, le prêtre s’attaque à une terre où la misère se déploie sans frein. Le gouvernement ne planifie rien, dénonce-t-il. En 2017, il n’y a toujours pas de route ininterrompue qui permette de traverser le pays d’Est en Ouest. Les rues des villes sont encombrées d’abris de fortune bâtis sans permis, les voleurs de terres sévissent, 85% des Malagasys vivent sous le seuil de pauvreté… Le gouvernement se sert et sert ses amis. La corruption encrasse tout l’appareil de l’État.
Les petits pas
Face à une situation aussi dégradée, le père Pedro demeure inébranlablement optimiste. Il voit des initiatives individuelles porter plus de fruits que les chantiers du gouvernement. Partie d’une cabane où l’on distribuait le goûter pour les enfants de la décharge, son association Akamasoa est devenue une ville qui accueille 25.000 habitants, et qui en aide des milliers d’autres. Les écoles de la ville lui demandent régulièrement de prêter son stade. C’est l’une des composantes de la “méthode Pedro” : le sport, comme exutoire et thérapie. “Madagascar est jeune, et le sport est un besoin, pas un privilège !”, assure ce redoutable joueur de football… Le sport évite de tomber dans les pièges de la drogue et de l’alcool qui ravagent la jeunesse de l’île. Face à eux, l’équipe d’Akamasoa applique le tri des hôpitaux de campagne : “Nous sauvons ceux qui peuvent l’être”.
Des milliers de petits miracles
Tout peut changer en 20 ans, dans ce pays qui paraît si profondément enfoncé dans la misère, assure le père Pedro. La moyenne d’âge des Malagasys, 19 ans, lui donne l’espoir de voir le dynamisme l’emporter sur le fatalisme. Il cite l’exemple de Rachoua, une petite fille de la rue, qui grâce au soutien d’Akamasoa, achève ses études d’assistante sociale et qui aide au centre d’accueil de l’association. Beaucoup de salariés de l’association, comme Rachoua, reviennent de loin. On leur a donné leur chance et ils deviennent féconds à leur tour, ils veulent aider et sauver leur prochain. Il y aussi l’exemple, très humble, que donnent les travailleurs qui soutiennent leur famille, comme les carriers qui gagnent un euro par jour en “cassant des cailloux”. Ces signes d’espoirs confortent le père Pedro dans son action, et elle grandit de jour en jour.
Des projets à la pelle
En pleine interview, il est appelé pour l’achat d’un terrain de deux hectares, qui lui permettrait d’agrandir la petite ville d’Akamasoa. Ce ne serait pas un luxe… Chaque année, elle grossit de 100 maisons et de 10 à 15 classes ! L’association installe aussi des “bornes” où les indigents peuvent se fournir en eau et en électricité. Elle plante aussi de 10 à 30 000 arbres par an. Chaque vendredi, les enfants de l’écoles plantent des arbres, pendant la saison des pluies et nettoient les terrains pendant la saison sèche. Le père Pedro est lui aussi soumis au rythme des saisons, 9 mois dans l’année, il est au côté des Malagasys, les 3 mois restants, il les quitte à regret pour se rendre en Europe, où il lance son leitmotiv : “Ras-le-bol des réunions, agissez !”.