Les mineurs sont de plus en plus nombreux à consulter des sites pornographiques, selon une étude Médiamétrie publié en 2023. C’est, avec le cours de SVT, leur seule source d’information sur la sexualité. Ils vous dépassent parfois d’une tête mais sont perdus dans leur corps et avec leurs émotions. Vous n’êtes pas forcément à l’aise avec ces sujets, mais voulez leur transmettre vos valeurs. Comment parler avec le juste ton de sexualité à ses ados, sans intrusion ni évitement des questions qu’ils se posent ? Où trouver des ressources pour se former ? À quel âge leur parler ? Parents et spécialistes partagent leur expérience auprès des jeunes.
Quel est le bon âge pour informer les enfants sur la sexualité ?
Il n’est jamais trop tôt pour parler de sexualité à ses enfants ! Tout petits, les garçons découvrent leurs organes génitaux, et une grossesse est l’occasion d’expliquer à une petite fille qu’elle peut un jour devenir maman. Emilie, 5 ans, parle joliment de "la réserve d’œufs de sa maman", tandis que son frère, 6 ans, a été émerveillé de découvrir qu’il avait en lui une "usine à graines", s'amuse Marc, leur père. C’est plus tard que ça s’est corsé. "Nous avons frôlé l’accident de voiture !", raconte-t-il. "J’avais décidé de parler de pornographie à notre fils qui était en 5e à l’époque. J’étais très inquiet des statistiques disant qu’au collège chaque jeune avait déjà vu un film pornographique, ce qui me paraissait inconcevable. J’ai donc profité d’un trajet en voiture où nous étions seuls pour aborder le sujet, l’air détendu, mais en réalité rempli d’appréhensions. Je lui ai évoqué ces fameux chiffres et demandé "et toi ?" certain de sa négation. Et quand il m’a répondu d’un air dégagé que oui, il avait déjà regardé un film porno, je me suis cramponné à mon volant, paniqué, en me disant "c’est quoi la phrase suivante …". Pour Eliane, institutrice en CM2, "c’est une chance d’aborder ces questions en famille avant le collège".
En plein bouleversement hormonal, il n’est pas facile pour un adolescent de se poser pour parler de ces sujets. Il aura peut-être déjà vécu un coup de cœur ou un chagrin d’amour, et n’aura aucune envie d’en parler avec ses parents. Comme en conduite, c’est le respect, la prudence et la bonne distance qui s’imposent.
Que dire à son adolescent ?
Avant d’aborder le sujet de la sexualité, il est important de clarifier les messages à faire passer. Que transmettre à son adolescent ? Quels sont les valeurs importantes pour soi ? Parler de sexualité à son adolescent nécessite d’avoir clarifié ce sujet personnellement, de faire le point sur sa propre histoire sentimentale. Souhaitez-vous aborder vos éventuelles craintes pour lui, parler de vos premières fois à vous ? Quels mots employer ? Si la sexualité de ses parents ne regarde pas un enfant, savoir qu’ils ont eu, ados, des peines de cœur, peut l’aider à relativiser ce qu’il vit et se sentir compris. Tout est une question de dosage et de respect de sa pudeur dans les échanges.
Sophie Thiriez, conseillère conjugale et familiale, qui travaille à l’Accueil Jeunes de l’hôpital Mignot dans les Yvelines, conseille de "poser des questions ouvertes plutôt que de plaquer son discours tout fait, faire réfléchir le jeune ("tu en penses quoi, toi ?"), profiter des occasions offertes dans la vie (pubs, films, serviettes hygiéniques dans le caddie, grossesses...), parler de la beauté des corps, de la beauté de la sexualité, montrer que l'amour rend heureux à certaines conditions et parler de sa joie d'être homme/femme, bref, donner envie !". Elle pointe plusieurs gaffes entendues : "convoquer son enfant "je vais te parler de sexualité", parler de sa vie sexuelle intime, de ses expériences, ne jamais en parler du tout, dire "il faut", "il ne faut pas" ou "c'est sale"."
Pour Alice, mère de grands ados, le plus important est de mettre l’accent sur la relation. "En gros, aujourd'hui, on dit partout que sex = fun ! La sexualité est belle et elle mérite beaucoup mieux et plus grand que de n'être que "fun"! Si elle n'est que fun, elle blesse la personne entière, elle rend triste et dans le temps, entraine souvent au dégoût de soi. Pourquoi ? Car c'est une expérience qui engage la personne entière, on ne peut pas donner son corps sans donner toute notre personne, qu'on le veuille ou non !" Inès de Franclieu, mère de neuf enfants et fondatrice de l’association Com’ je t’aime, spécialisée dans l’éducation affective, cible les sujets de fond. "Éveiller à la responsabilité de l'acte sexuel, du langage du corps qui dit l’amour et qui donne la vie, réfléchir aux fondements des exigences proposées et les verbaliser, leur faire sentir notre confiance, avoir un discours positif."
Il ne faut pas non plus s'inquiéter outre mesure si les enfants ne disent rien. C'est leur jardin secret.
Sophie, animatrice teen star, un parcours d'éducation affective qui accompagne les jeunes désirant découvrir le sens de l'amour et de la sexualité, ajoute qu'il faut "en parler de manière générale, positive, belle". "Leur demander comment ils vivent ce qu'ils voient et entendent autour d'eux, si cela les inquiète, les questionne. Leur dire qu'ils sont magnifiques, qu'ils méritent une vraie, grande, belle histoire d'amour et qu'ils sont capables de la construire !".
Philippe, qui a animé des groupes de garçons, propose les bases d'un dialogue : "regarder sa propre sexualité (de parent) comme un cadeau de Dieu et demander à l’Esprit Saint de "restaurer" ce qui doit l’être". Partir du principe (et teinter ainsi son discours avec le jeune) que la sexualité est belle et qu’elle est indissociable de la vie affective qui se construit avec du temps, sans précipitation et sans brûler les étapes. Explorer la distinction entre le sexe (brutal, réducteur, aliment du business) et la sexualité (une facette de la personne, voulue par Dieu, lieu de dignité, fécondité et épanouissement). Vous avez peur malgré tout d’aller dans le mur ? "Au delà des mots, le plus important est qu’un adolescent sache que vous l’aimez de manière inconditionnelle, et que vous pourrez répondre présent s’il a besoin de vous", ajoute Maylis, éducatrice à la vie auprès des jeunes.
Les bons relais pour aborder la sexualité avec les ados
Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants mais ne suffisent pas toujours. Sophie, animatrice de parcours teen-star, explique qu'"à l'adolescence les jeunes ont besoin d'une parole extérieure à leur famille, car ils connaissent par cœur le discours de leurs parents et ils ont besoin d'aller "voir ailleurs" pour se construire." "Ils pensent que les parents n'ont aucune idée de ce qu'ils vivent ou entendent (ce qui est souvent très vrai). Ils ont probablement peur de la réaction de leurs parents (ils n'ont pas tout à fait tort !)"
Beaucoup de parents, effectivement, n'ont pas idée de ce qu'il se passe dans une cour de récréation... D'autre part, il y a une pudeur familiale qui est belle et qu'il faut respecter, les parents n'ont souvent pas les mots, les enfants non plus. "Il ne faut pas non plus s'inquiéter outre mesure si les enfants ne disent rien. C'est leur jardin secret. C'est le propre de l'adolescence d'avoir besoin de relais extérieurs aux parents pour pouvoir se construire. Ils vont aller confronter le "modèle" de leurs parents, à d'autres modèles extérieurs pour se faire le leur, qui leur sera propre. Cela est vrai pour tous les domaines, pas uniquement celui de la sexualité", conseille Sophie.
Anne et Philippe le confirment : "Certains parents suffisent mais beaucoup de parents sont eux-mêmes blessés dans leur sexualité d’adolescent ou d’adulte. C’est pourquoi ils ont du mal à parler de sexualité avec leurs petits et encore plus avec leurs ados". D’autres y arrivent très bien. Ensuite ce n’est pas une question d’insuffisance des parents, mais il peut être utile que des ados abordent ces thèmes de sexualité et de vie affective avec des gens formés qui libèrent la parole, écoutent, conseillent, orientent, rassurent, consolent, donnent courage, encouragent, éclairent, sans biais affectif ou émotionnel comme peuvent avoir des parents.
Seul ou avec vous, selon les pédagogies proposées, de nombreuses associations offrent aux adolescents de réfléchir sur leur vie affective et sexuelle. Sophie témoigne, à propos des ateliers XY : "Je trouvais que c’est à un père de parler de sexualité à son fils, mais mon mari, n’ayant jamais eu ce genre de dialogue aves ses parents, se trouvait incapable de se lancer seul. Ils sont allés ensemble à un atelier, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais ils sont revenus très heureux de ce moment de complicité père-fils".