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Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix : In charitate Christi…
« L’Esprit de Dieu est sens et force. Il donne à l’âme une nouvelle vie, il la rend capable de ce qu’elle n’aurait pu entreprendre par sa seule nature […] »
Il y a des âmes sur terre qui ne trompent pas. Le regard profond et sincère de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix contemple en toute intimité le Verbe incarné en Vérité. Au cours de son expérience de vie, conciliant la foi et la raison, elle découvrit que tout être est animé par la force de l’Éternel. Elle est « une âme ivre de Dieu et perdue en lui » écrit Lucy Gelber. Mais elle est avant tout, pour l’Église Universelle, le témoignage d’un cœur consumé par l’Amour du Christ crucifié.
Il était une fois : Édith Stein
Breslau, le 12 octobre 1891... Jour de la fête de Kippour, Siegfried et Augusta Stein accueillaient leur dernière enfant : Édith. Elle grandit dans une famille juive pieuse de la Haute-Silésie où la figure maternelle allait avoir un impact important dans sa vie. Car Monsieur Stein rendit son dernier souffle entre Frauenwaldau et Goschütz, un jour de juillet 1893, alors qu’il fit un voyage d’affaires sous un soleil de plomb. Édith âgée de deux ans écrit qu’elle était dans les bras de sa mère lors de ce dernier adieu qu’elle fit à son père, tandis qu’il prit la route pour ne jamais revenir. Après la mort de Siegfried Stein, la famille toute entière fit face à des difficultés économiques. Mais Augusta Stein, en bon chef de famille, fit tout ce qui était nécessaire afin de redresser la situation financière tout en élevant ses sept enfants.
De son enfance, nous savons qu’Édith était une petite fille agile, délicate et toujours pâlichonne, elle manifesta très tôt sa soif de connaissance. Son entourage s’étonnait d’ailleurs qu’elle puisse être un « puits de sagesse » à son jeune âge. Elle se souvient que pendant les premières années de sa vie « elle était d’une pétulance de vif-argent, toujours en mouvement, débordant d’idées drôles, effrontée et fourrant partout son grain de sel, et avec cela montrant une volonté que rien ne pouvait ébranler, piquant des colères lorsque sa volonté rencontrait un obstacle ». Édith avait toutes les qualités d’une fille ordinaire : drôle, énergique, colérique… Mais déjà une ténacité vive se ressentait.
La soif de connaissance d’Édith se fit sentir lorsque sa sœur, Erna, avait commencé à aller à l’école. Ne pouvant pas la suivre, Édith fut donc inscrite, contre son gré, dans un jardin d’enfants. Cette décision l’a rendue bien malheureuse, estimant cela comme au-dessous de sa « dignité » et considérant que seule l’école allait fournir à son esprit vif une « nourriture solide ». En 1896, avec l’aide de sa sœur aînée, Else, Édith fit son entrée à la « grande école » de Viktoria où elle excella et ses matières préférées étaient l’allemand et l’Histoire.
En 1911, Édith entra à l’Université de Breslau. Elle avait une passion pour l’Histoire, la littérature, la philosophie… Et pendant un temps, elle s’intéressa à « la psychologie expérimentale ». Mais elle se rendit compte que cette matière était très « ennuyeuse » et « ridicule », car la psychologie était encore à ses balbutiements. C’est pourquoi elle s’orienta définitivement vers le courant philosophique de la phénoménologie...
Édith en toute « empathie »
C’est par l’intermédiaire d’un ami qu’Édith découvrit la phénoménologie. Elle part à Göttingen en 1913 pour se former auprès de celui qu’elle appelait le « maître » : Edmond Husserl (1859-1938). Ce courant philosophique s’intéresse à l’étude des phénomènes par le prisme de l’expérience vécue. Trois philosophes ont joué un rôle majeur dans le façonnement de sa pensée : Edmond Husserl, Max Scheler (1874-1928) et Adolf Reinach (1883-1917). Aller au cœur des phénomènes et de l’expérience de vie personnelle, voilà ce qu’Édith voudrait étudier. C’est donc de manière évidente qu’elle choisit comme sujet de thèse l’Einfühlung que l’on traduit par l’empathie. L’empathie, selon elle, est cette faculté de saisir des valeurs issues des expériences vécues d’autrui et de les traduire en une unité de sens compréhensible pour soi. Cette thèse, même si Édith l’a obtenu avec la mention summa cum laude, a été une rude épreuve puisque l’écriture s’est faite lorsque la Grande Guerre éclatât…
En effet, en 1914, voyant tous ses amis s’engager, Édith prit également part à cette guerre en devenant infirmière bénévole au sein de la Croix-Rouge. Elle fut envoyée dans un hôpital militaire à Mährisch-Weisskirchen. Confrontée à la mort, elle fit face de manière quotidienne à l’agonie des blessés. Ambiance austère, pesant et pleine de tensions… Cette expérience en tant qu’infirmière elle le raconte avec beaucoup d’émotions dans Vie d’une famille juive : « J’étais de garde de nuit depuis quelques jours lorsqu’un soir, à mon arrivée dans le service, les infirmières me reçurent avec la nouvelle qu’un mourant venait d’être admis ; elle l’avait gardé pour que je veille sur lui pendant la nuit. On m’enjoignit de lui faire une piqûre de camphre toutes les heures. Pendant plusieurs nuits, j’entretins ainsi à grand-peine jusqu’au matin la petite étincelle de vie en lui […] Je surveillais, de ma place, sa respiration – brusquement elle s’arrêta. J’allais jusqu’à son lit : le cœur ne battait plus ».
À cette dure réalité de la guerre, s’ajoutait la mort d’Adolf Reinach survenue en novembre 1917. Au cours du conflit, alors plongé dans l’horreur des tranchées, Adolf Reinach fit la découverte intime de Dieu. De cette découverte, il prit la plume pour traduire en termes philosophiques son expérience avec cet Être qui sonde intimement nos âmes à chaque instant. C’est en ce sens qu’Édith fut marquée par la figure d’Adolf Reinach.
Sur le chemin de la Vérité !
Un été à Francfort et en compagnie de Pauline Reinach, la sœur d’Adolf, Édith a été confrontée pour la première fois à une situation bien particulière puisqu’elle observe une femme catholique en prière. Son souvenir est intact : « Nous sommes entrées pour quelques minutes dans la cathédrale et, pendant que nous nous tenions là dans un silence respectueux, une femme est entrée avec son panier à provisions et s’est agenouillée sur un banc pour une courte prière […] Là, quelqu’un venait, au beau milieu de ses occupations quotidiennes, dans l’église déserte comme pour un entretien intime. Je n’ai jamais pu l’oublier ». En bon phénoménologue, Édith tenta d’analyser cette situation par empathie. Elle défini ainsi la prière comme un « entretien intime »…
En 1921, une lecture va profondément bouleverser le court de sa vie : sainte Thérèse d’Ávila. Édith reconnait à travers les lignes majestueuses du Livre de la Vie de cette sainte de l’Espagne du Siècle d’Or, un témoignage vrai et sincère, celui d’un cœur consumé de l’intérieur par la présence de Dieu. Si bien que la légende voudrait qu’en ayant achevé la lecture de ce joyaux spirituel, Édith s’est exclamée en disant : « Ceci est la vérité » ! Quoi qu’il en soit, le 1er janvier 1922, dans la petite église de Begzabern, Édith fut baptisée par le père Breitling, prenant le nom de Thérèse Hedwige en hommage à sainte Thérèse d’Ávila et sa marraine, Hedwige Conrad-Martius. Le lendemain, elle fut confirmée par Monseigneur Ludwig Sebastian, évêque de Spire. Dès lors, elle fit part de sa volonté intérieure d’entrer dans l’Ordre du Carmel. Mais son père spirituel de l’époque, le père Schwind, lui conseilla de prendre un poste d’enseignante à l’internat des dominicaines de Spire. C’était un vieux et grand couvent où se trouvait gravé sur le fronton un mot d’une très grande importance dans le cœur d’Édith : Veritas…
D’autres saints ont aussi eu un impact dans sa vie intellectuelle et spirituelle, tels sainte Élisabeth de Hongrie, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte de Face… Ou encore saint Thomas d’Aquin pour qui la lecture est une autre étape décisive. Saint Thomas d’Aquin est avant tout une figure philosophique éminente qui croit en l’Être divin et en son Amour. À travers sa démarche intellectuelle, ne recherchant que la Vérité, il ne désire qu’une chose : servir Dieu. C’est comme cela qu’Édith entendait mener ses travaux philosophiques.
Mais la montée du nazisme la prive de mener sa profession d’enseignante en raison de son origine juive. Soit ! Si telle était la volonté de Dieu, alors le temps est venu de réaliser son rêve : entrer au Carmel !
« Secretum meum mihi » : Mon secret est à moi
Le jour de la fête de sainte Thérèse d’Ávila, le 15 octobre 1933, Édith franchit le seuil du Carmel… Car c’est au Carmel qu’elle trouva en toute intimité le Dieu d’Amour pour qui elle voulait se donner entièrement. En avril 1934, elle reçu l’habit et devint sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix. Quatre ans plus tard, en avril 1938, elle fit sa profession perpétuelle. Entre les murs de son couvent, dans le silence et la contemplation, elle composa un de ses chefs d’œuvres philosophiques, L'Être fini et l’Être éternel. De même, à la suite de saint Jean de la Croix, elle poursuivit sa quête du Tout-Puissant en intériorisant le mystère de la passion de Notre Seigneur. Elle commenta alors la Monté du Carmel et la Nuit Obscure, Vive Flamme d’Amour et le Cantique Spirituel, cherchant à saisir l’unité de l’être de Saint Jean de la Croix. Sous sa plume, la Science de la Croix est avant tout une science de l’Amour, car c’est par la croix que l’âme parvient à être transformée en Dieu. Dans la plénitude du Carmel, elle expérimenta tout un univers insaisissable à toute logique d’entendement. Son secret : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes forces ». Pour sœur Bénédicte, la découverte de l’Être éternel est l’aboutissement d’une quête à la fois intellectuelle, existentielle et spirituelle.
Le nazisme gagnant du terrain, et particulièrement hostile aux juifs, sœur Bénédicte se vit dans l’obligation de quitter l’Allemagne pour le couvent d’Echt en Hollande. Là-bas, elle rédigea un acte d’offrande où elle manifeste son désir de « s’offrir au Cœur de Jésus comme victime d’expiation pour la vraie paix ». Ne reniant en aucun cas ses origines juives, elle se considérait à la fois comme fille d’Israël et fille de l’Église catholique. Mais la Gestapo vint jusqu’à la porte de son couvent pour l’arrêter, elle et sa sœur Rosa, qui s’était convertie et était membre du tiers ordre du Carmel. Avec courage et une foi infaillible, sœur Bénédicte consola Rosa, lui murmurant à l’oreille : « Viens, nous allons pour notre peuple » ! Toutes deux furent ainsi transportées à Auschwitz où elles arrivèrent le 9 août 1942, remettant humblement leurs vies dans les mains de l’Éternel…
Dans Vie d’une famille juive, elle écrit : « Je rêvais de bonheur et de gloire car j’étais convaincue que j’étais destinée à quelque chose de grand ». Le courage qu’elle a eu de se tenir debout dans les ténèbres de ce monde, pour la seule gloire de Dieu, est un témoignage inestimable pour l’Église. Saint Jean-Paul II porta le destin de cette femme au rang des plus grands en la proclamant sainte de l’Église Universelle et la reconnaissant martyre. Benoît XVI, quant à lui, voit dans cette figure le témoin de la Vérité et la considère comme une « lumière dans une nuit de ténèbres ».