Entretien avec Serge Abad-Gallardo, ancien “fils de la veuve”. Serge Abad-Gallardo s’est fait connaître par un premier livre J’ai frappé à la porte du temple (éditions Téqui, 2014). Après ses annonces fracassantes, il revient avec un nouveau livre au titre singulier : Je servais Lucifer sans le savoir (éditions Tequi, 2016).
Aleteia : Dans votre premier ouvrage, vous expliquiez en quoi catholicisme et maçonnerie sont incompatibles. Quelles ont été les réactions des catholiques et des maçons ?
Serge Abad-Gallardo : Globalement, les réactions furent très favorables, mais pas toutes ! Après avoir animé plus de quarante conférences sur ce thème depuis octobre 2014, je vois que les catholiques sont convaincus de cette incompatibilité mais souhaitent des précisions sur sa nature. Certains francs-maçons y participent aussi parfois, ils s’expriment avec plus ou moins d’agressivité mais ne la comprennent pas. Soit parce qu’ils sont profondément « pris » par la doctrine relativiste. Soit parce qu’ils estiment que, je les cite, « l’Église n’a rien compris ».
C’est pourtant le cardinal Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui précisa les raisons doctrinales de cette incompatibilité par le décret du 26 novembre 1983 (que vous pourrez retrouver en intégralité ici, Ndlr). Mais la franc-maçonnerie est très obstinée : selon le père Alberto Barcena-Perez, qui rapporte même dans son livre (Iglesia y Masoneria. Las dos ciudades, éd San Roman 2016) qu’un franc-maçon et homme politique français, avait envoyé une lettre le 8 mars 2016 au pape François, lui demandant rien moins que de revenir sur 300 années de doctrine vaticane interdisant à un catholique d’appartenir à la franc-maçonnerie.
[Cette démarche n’est d’ailleurs pas inédite jusqu’au sein même de l’Église. Ainsi, pour le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture, « il faut aller au-delà de l’hostilité, des outrages, des préjugés réciproques ». Le théologien français Jean Rigal avait ajouté récemment dans la Croix : “Le débat ne serait-il pas plus bénéfique qu’une condamnation ? (…) À l’occasion de l’Année de la miséricorde, pourquoi ne pas écarter définitivement cette accusation de « péché grave », imputée uniquement, du moins de cette façon, aux « initiés » des obédiences maçonniques ?”. Ndlr]
Pour en savoir plus : Pourquoi ne peut-on être à la fois catholique et franc-maçon ?
Maintenant, vous allez plus loin encore puisque vous affirmez que la maçonnerie est, in fine, un culte à Lucifer. En êtes-vous sûr ?
Absolument et je cite environ 200 documents maçonniques. Comme l’expliquait un auteur Espagnol, éminent spécialiste du sujet (Ricardo de la Cierva : Masoneria, Satanismo y Exorcismo) : « Satan n’a pas besoin qu’on lui rende un culte afin de parvenir à ses fins. Tout ce qu’il doit faire est d’éviter que l’Homme suive Jésus ». L’influence Luciférienne est subtile : Il ne s’agit pas d’un « culte » direct à Lucifer. La franc-maçonnerie n’est pas une « Église satanique ». Je cite cependant nombre de « planches » (travaux, Ndlr) maçonniques louant explicitement Lucifer* ! Enfin, il existe, dans certains Hauts Grades, des signes Lucifériens que je décris. De même, l’ésotérisme, l’hermétisme, l’occultisme, qui fondent les rituels maçonniques, sont des pratiques proprement sataniques. Nombre d’écrits que je cite glorifient explicitement le Serpent de la Genèse, en tant que libérateur de l’Humanité. On ne peut donc être plus clair : la franc-maçonnerie, toutes obédiences et rites confondus, est bien luciférienne.
La majorité des “frères” sont-ils conscients de ce culte ?
Non. Beaucoup pensent que la Franc-maçonnerie n’est qu’une association philosophique anodine tendant à « libérer » l’Humanité. Ce n’est pas le cas. Et peu nombreux sont les francs-maçons qui discernent l’action magique des rituels.
En dépit de ce constat abrupt, vous dites ne pas vouloir heurter les maçons mais leur tendre la main. Que diriez-vous à un ami franc-maçon ?
Je voudrais le convaincre que je ne me situe pas dans un « anti-maçonnisme » primaire, respectant trop la liberté de conscience et de religion. Je n’ai pas non plus d’animosité à leur égard, même s’ils estiment que j’écorche parfois l’institution à laquelle ils appartiennent. Mais je différencie clairement les franc-maçons et la Franc-maçonnerie. Je voudrais leur parler de l’Amour fou d’un Dieu qui nous aime tant qu’il est venu mourir sur la Croix pour nous sauver et les inviter à une adoration du Saint-Sacrement ou à une « Lectio Divina ». Ils verraient la différence entre la Parole de Dieu, accueillie dans notre cœur, et la « Parole perdue » de la Franc-maçonnerie.
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Peut-on sortir facilement de la maçonnerie ?
En théorie oui. Une simple lettre suffit (les franc-maçons se plaisent à dire qu’à la différence d’une secte, il est très difficile d’entrer en maçonnerie et très facile d’en sortir, Ndlr). Mais en pratique cela devient plus compliqué. Surtout si, comme moi, on a été très longtemps franc-maçon : on perd tous ses « amis », tous ses contacts et réseaux professionnels. Parfois c’est plus compliqué encore, surtout si, comme moi, l’on écrit ou si l’on donne des conférences ! Sur le plan spirituel, une prière de délivrance, voire plus, n’est pas à négliger. En tout état de cause, il est souhaitable d’en parler à un prêtre bien au fait de ces questions (parfois ce n’est malheureusement pas le cas), et au moins de se confesser afin de pouvoir recevoir à nouveau les sacrements.
Conseilleriez-vous aux maçons d’aller aider les pauvres, à l’hôpital comme vous l’avez fait ?
La relation de la franc-maçonnerie est particulière devant la détresse humaine. Elle est globalement conceptuelle, c’est-à-dire qu’elle concerne l’ « Humanité » et relève plutôt des concepts et des idéaux. Quelques francs-maçons s’engagent pourtant réellement, il faut le dire, dans des actions humanitaires. Mais la Franc-maçonnerie ne sollicite l’entraide de ses adhérents que pour assister les « frères » en difficulté. C’est ainsi que je me souviens, par exemple, de « quêtes » en loge afin d’apporter un soutien financier aux « frères » touchés par les inondations dans l’Hérault en 2004. Mais pas aux « profanes » ! L’Église, quant à elle, a toujours été proche des pauvres et de ceux qui souffrent, croyants ou pas.
Quel conseil me permettrais-je de donner aux maçons ? D’abord, de démissionner pour se tourner vers Marie et vers le Christ. Ensuite, en effet, d’aider ceux qui souffrent, mais avec la charité du Seigneur. Car cette mission n’est pas seulement humanitaire. Elle est charité de Dieu et de l’Église. Or je n’imagine pas qu’un maçon puisse aider un mourant en invoquant (les maçons ne prient pas) le Grand Architecte de l’Univers : Le G.A.D.L.U n’est pas mort en croix pour nous sauver. Ce n’est donc pas un « dieu » personnel et aimant, mais un vague concept. En revanche, la prière chrétienne n’est rien d’autre qu’un appel à la pitié du Seigneur, dans la communion avec l’Esprit Saint.
Propos recueillis par Christian Redier.
Je servais Lucifer sans le savoir, de Serge Abad-Gallardo, Pierre Téqui éditeur, 224 pages, 16,50 euros.
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* Lucifer signifie en latin porteur de lumière, dans la Tradition chrétienne, il est l’ange déchu pour s’être rebellé contre Dieu mentionné par Isaïe. Lorsque la franc-maçonnerie parle de « Lumière », elle parle d’un savoir ésotérique, hermétique et occulte, d’une « Connaissance » que poursuivent les francs-maçons. Elle est symbolisée par le « G » souvent inscrit sur les sigles maçonniques : dans une étoile à cinq branches ou bien dans un compas et une équerre, les outils du maître-maçon, de l’architecte. Ce « G » désigne la « Gnose » (du grec gnôsis, connaissance), un savoir caché, réservé aux seuls initiés. Les premiers chrétiens, et parmi eux saint Irénée, ont sévèrement mis en garde contre une lecture gnostique de l’évangile, considérée comme une grave hérésie.