Dans la tradition latine, la solennité de l’Épiphanie célèbre plus particulièrement l’évocation des Mages venus d’orient à Bethléem pour adorer l’Enfant Jésus dont la naissance leur a été indiquée par une étoile (Mt 2, 1-2). Toutefois attention, elle n’a absolument aucun lien avec la traditionnelle galette des rois. Cette visite porte une signification importante quant à l’universalité de la révélation, et montre que le Messie d’Israël se donne aussi à connaître des nations païennes, et par elles, à tous les hommes.
Des mages venus annoncer la bonne nouvelle aux nations païennes
« Dans ces “Mages”, représentants des religions païennes environnantes, l’Évangile voit les prémices des nations qui accueillent la Bonne Nouvelle du Salut par l’Incarnation. La venue des Mages à Jérusalem pour "rendre hommage au roi des Juifs" (Mt 2, 2) montre qu’ils cherchent en Israël, à la lumière messianique de l’étoile de David (cf. Nb 24 ; Ap 22, 16), celui qui sera le roi des nations (cf. Nb 24, 17-19).
Leur venue signifie que les païens ne peuvent découvrir Jésus et l’adorer comme Fils de Dieu et Sauveur du monde qu’en se tournant vers les juifs (cf. Jn 4, 22) et en recevant d’eux leur promesse messianique telle qu’elle est contenue dans l’Ancien Testament (cf. Mt 2, 4-6). L’Épiphanie manifeste que "la plénitude des païens entre dans la famille des patriarches" (S. Léon le Grand, serm. 33, 3 : PL 54, 242) et acquiert la Israelitica dignitas (MR, Vigile Pascale 26 : prière après la troisième lecture). » (C.E.C., 528).
Les historiens reconnaissent à l’occasion dans les Mages venus d’Orient des savants, astrologues, probablement venus de Babylone, « centre de l’astronomie scientifique à une époque lointaine, mais en déclin au temps de Jésus » (Benoît XVI, L’enfance de Jésus, p. 133, Flammarion, 2012). En réalité, l’évangile de Matthieu qui relate cet événement ne dit presque rien d’eux : il ne dit pas qu’ils sont trois, ni qu’ils sont rois. Toutefois dans la tradition catholique, nous représentons volontiers ces Mages comme des rois venant chacun d’un continent différent : Afrique, Asie, Europe, pour figurer l’universalité de l’appel du Seigneur Jésus, à tous les peuples de la terre.
L'étoile : un signe donné au monde
L’étoile qui guide les Mages a suscité beaucoup d’intérêts divers : si les Pères de l’Église y ont principalement vu une réalité surnaturelle, indiquant comment le Seigneur gouvernait tout l’Univers, y compris la marche des astres, nombre de scientifiques et d’astrologues ont fait l’hypothèse d’un événement naturel et providentiel. Dans tous les cas, l’étoile qui amène les païens à Jésus les amène à sortir de l’idolâtrie : le paganisme était en effet caractérisé par l’adoration de la nature. Les astres, en particulier, étaient souvent considérés comme des divinités.
Ici, ce n’est pas l’étoile qui est adorée par les Mages, mais ce qu’elle leur montre : qu’elle soit une manifestation surnaturelle, elle évoque alors inévitablement un créateur, au-dessus de tout, qui la gouverne ; ou qu’elle soit un signe naturel et providentiel de la naissance du Dieu fait homme, et la créature est alors remise à sa juste place de symbole. Dans tous les cas, elle est créée pour révéler celui qui est au-dessus de tout et qui veut se faire connaître à tous les hommes. En cela, l’étoile évoque plus particulièrement la lumière – à commencer par la lumière naturelle, celle de la science, notamment – qui guide ceux qui marchent dans la nuit, pour les sortir de leur aveuglement et les conduire vers la vraie lumière. Cette lumière naturelle est importante, mais elle ne doit jamais être idolâtrée en permettant de réduire à la seule nature – ou pire encore à la seule matière – le champ d’exploration de la connaissance. Mais elle doit seulement guider les hommes vers une connaissance plus élevée, qui se réalise dans la rencontre avec le Dieu incarné.
La galette des rois : une tradition païenne ?
À l’opposée de tout cela, la tradition populaire de la galette des rois est une tradition purement païenne, dont nous avons repris l’usage aujourd’hui. Pour les romains, cette fête, où l’on désignait un esclave comme roi d’un jour par une fève dans un gâteau, était célébrée pour déjouer les jours néfastes du dieu Saturne. Le culte antique lié à cette tradition populaire de la galette est donc précisément ce que l’étoile de Bethléem nous fait quitter pour aller adorer le vrai Dieu, pain descendu du ciel, couché dans une mangeoire, à Bethléem : la « maison du pain ».
Dans l’Église orientale, la fête de l’Épiphanie évoque plutôt le baptême de Jésus dans le Jourdain, et plus particulièrement sa « manifestation » comme Fils unique du Père, consacré par l’Esprit. Cette manifestation est ce qu’on appelle une « théophanie trinitaire », dans la mesure où les trois personnes de la Trinité sont manifestées.
« Le commencement (cf. Lc 3, 23) de la vie publique de Jésus est son Baptême par Jean dans le Jourdain (cf. Ac 1, 22). Jean proclamait " un baptême de repentir pour la rémission des péchés " (Lc 3, 3). Une foule de pécheurs, publicains et soldats (cf. Lc 3, 10-14), Pharisiens et Sadducéens (cf. Mt 3, 7) et prostituées (cf. Mt 21, 32) vient se faire baptiser par lui. "Alors paraît Jésus". Le Baptiste hésite, Jésus insiste : il reçoit le baptême. Alors l’Esprit Saint, sous forme de colombe, vient sur Jésus, et la voix du ciel proclame : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé" (Mt 3, 13-17). C’est la manifestation ("Épiphanie") de Jésus comme Messie d’Israël et Fils de Dieu. » (C.E.C., 535)
L'épiphanie annonce du baptême de Jésus
Il y a donc dans l’événement du baptême de Jésus une manifestation de l’infinie miséricorde de Dieu, et en particulier du rachat de nos fautes par Dieu lui-même. Ce que portent d’ailleurs les paroles de Jean, que nous redisons à la messe : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Les Pères orientaux, tels saint Cyrille de Jérusalem voyaient dans le baptême de Jésus une inauguration du baptême chrétien, dont les eaux avaient été sanctifiées par la descente de Jésus dans le Jourdain (Jourdain signifie justement « descente »), et avaient ainsi reçu le pouvoir de purifier.
La visite des Mages d’Orient, ou le baptême dans le Jourdain ne sont pas les uniques épisodes qui donnent à célébrer la manifestation de Jésus comme Seigneur et Sauveur. Traditionnellement, on évoque aussi les Noces de Cana comme épiphanie : « Le signe de l’eau changé en vin à Cana (cf. Jn 2, 11) annonce déjà l’Heure de la glorification de Jésus. Il manifeste l’accomplissement du repas des noces dans le Royaume du Père, où les fidèles boiront le vin nouveau (cf. Mc 14, 25) devenu le Sang du Christ. » (C.E.C. 1335) Au-delà des noces de Cana, c’est tout ce que ce miracle préfigure qui est pour nous épiphanie, à savoir la manifestation de Jésus dans les sacrements, manifestation culminant dans l’eucharistie. Dans son homélie pour la messe de l’épiphanie, en 2009, Benoit XVI commençait justement par ces très belles paroles :
« La tradition latine l'identifie avec la visite des rois mages à l'Enfant-Jésus à Bethléem, et l'interprète donc surtout comme une révélation du Messie d'Israël aux peuples païens. La tradition orientale en revanche privilégie le moment du baptême de Jésus dans le fleuve Jourdain, lorsqu'il se manifesta comme Fils unique du Père céleste, consacré par l'Esprit Saint. Mais l'Évangile de Jean invite à considérer comme "épiphanie" également les noces de Cana, où Jésus, changeant l'eau en vin, "manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui" (Jn 2, 11). Et que devrions-nous dire, chers frères, en particulier nous, prêtres de la nouvelle Alliance, qui chaque jour sommes témoins et ministres de 'l'épiphanie" de Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie ? L'Église célèbre tous les mystères du Seigneur dans ce très saint et très humble Sacrement, dans lequel il révèle et cache dans le même temps sa gloire ».