Le transhumanisme n'est pas qu'une recherche technologique, c'est avant tout une utopie. Comme toute utopie, elle se construit sur un rejet, une opposition à un paradigme l'ayant précédé. Le repoussoir des transhumanistes, c'est le XXe siècle décrit comme une période ayant imposé un ordre mortifère et endigué tout ce qui promettait d'émerger [1].
L'homme est-il ce qu'on en fait ?
Pourtant, ici pas de dénonciation du progrès ou de critique de la modernité en tant que tel mais plutôt une volonté de dépasser les limitations du siècle et de transcender la nature humaine. Le transhumanisme suppose la malléabilité ontologique de l'être humain. L'humanisme essaye de penser l'idée substantielle de l'homme : Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qui le définit ? Quels sont ses limites ? Quelles sont ses aspirations ? Quel est son origine, sa vocation profonde, sa fin dernière... ?
Pour le transhumanisme ces questions ne sont pas pertinentes. Donnant la part souveraine à la notion d'individu, il ne saurait y avoir de réponses collectives à ces questions, l'homme est ce qu'on en fait [2]. L'homme se construit lui-même dans ce que Henri de Lubac [3] avait déjà identifié comme un pélagianisme moderne qui atteint ici des sommets inédits.
L'idéal du surhomme
On pourrait rapprocher également la philosophie transhumaniste de l'idéal du surhomme de Nietzsche, une sorte d'accomplissement de la démesure du philosophe Allemand. Comme les technosciences parviennent à ouvrir de manière infinie notre champ d'action sur l'humain, vole alors en éclats l'enfermement dans le monde des essences et des catégories intangibles.
On pense au constructivisme radical d'Ernest von Glaserfeld pour qui le constructivisme marque « une rupture avec la notion traditionnelle selon laquelle toute connaissance humaine devrait ou pourrait s’approcher d’une représentation plus ou moins “vraie” d’une réalité indépendante ou “ontologique”. Au lieu de prétendre que la connaissance puisse représenter un monde au-delà de notre expérience, toute connaissance est considérée comme un outil dans le domaine de l’expérience ». [4]
Quel type d'homme allons-nous construire ?
Dans son livre, L'Homme remodelé, Vance Packard rompt avec la fonction kantienne de la philosophie. Il ne s'agit plus de poser la question « Qu'est-ce que l'Homme ? » mais bien de dire « Quel type d'Homme allons-nous construire ? ». [5]
Bien sûr que la culture et la civilisation telle que nous la connaissions jusqu'ici s'est toujours efforcée de « construire » les hommes, de les élever, de leur permettre d'exprimer le meilleur d'eux-mêmes. La différence tient aux moyens mis en œuvre et aux fins visées.
Moyens colossaux qui dépassent tellement la notion même d'éducation que celle-ci devient désuète : l'homme nouveau visé ne serait plus seulement l'homme qui pense et vit en rupture avec les traditions (version humaniste) mais un être dont le comportement, l'humeur et les facultés pourraient être techniquement modifiés, au point de brouiller l'identité qu'on lui prêtait jusqu'à présent.[6]
Pour les transhumanistes, l'humanisme est dépassé car le « transhumanisme » n'est qu'une étape devant mener au « posthumanisme », donc à la disparition de l'être humain tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Disparition irréversible dont se réjouissent les transhumanistes : après Auschwitz, il n'est plus possible de trouver désirable un futur à visage humain. Qu'après l'homme ce soit encore l'homme, voilà en vérité le comble du désespoir. [7]
[1] Jean-Michel Besnier, op.cit. p 47.
[2] On pense ici bien sûr à l'existentialisme de Jean-Paul Sartre.
[3] Henri de Lubac, Le drame de l'humanisme athée, 1959.
[4] Ernst von Glasersfeld, « Pourquoi le constructivisme doit-il être radical? », 2004.
[5] Vance Packard, L'Homme remodelé, Calmann-Lévy, 1978, p. 21.
[6] Jean-Michel Besnier, op.cit. p 58.
[7] Jean-Michel Truong, Totalement inhumaine, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003, p.25.