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L’ultime témoignage du père Hamel

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Cédric Burgun - publié le 30/07/16
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"Uni ainsi au Christ, jusque dans sa chair, le prêtre entre dans l'obéissance de Jésus, dans une donation parfaite, signe du Royaume à venir"

“Uni ainsi au Christ, jusque dans sa chair, le prêtre entre dans l’obéissance de Jésus, dans une donation parfaite, signe du Royaume à venir”

Les événements tragiques de ce mardi 26 juillet nous ont tous marqués. Le prêtre que je suis l’a été à un titre particulier : un prêtre en fut la première victime. Je ne connaissais pas le père Jacques avant d’entendre prononcer son nom sur nos ondes médiatiques ; médiatisation qu’il n’aurait jamais voulue, apparemment. A quelques jours de sa mort affreuse, j’essaie de relire cet événement tragique, dans la prière et dans mon cœur de prêtre : et ce qui me vient aujourd’hui, c’est que le frère plus âgé qu’il était a finalement donné une « leçon » aux plus jeunes, dont je suis. Et je ne pense pas être le seul, à voir les messages de beaucoup de mes confrères…

Né en 1930, il a été ordonné en 1958. Il avait 28 ans : cela nous fait un point commun, en plus d’être prêtre : comme lui, j’avais 28 ans quand j’ai prononcé ce même « oui » de l’ordination sacerdotale ; mais bien plus tard, en 2007. Je ne suis qu’un jeune prêtre de 9 ans d’ordination, au regard de sa longue vie donnée. Il a été ordonné alors que le Concile n’avait même pas commencé. Il a vécu toutes ces années (dont on sait qu’elles n’ont pas toujours été une partie de plaisir dans le petit monde ecclésial) dans une fidélité qui ne peut que m’émerveiller : il avait fêté son jubilé d’or (cinquante années de sacerdoce) en 2008 : près de 60 ans de sacerdoce au jour de sa disparition ! L’amour vécu fidèlement au long des années sera toujours un témoignage, par-delà les sensibilités ecclésiales. Comme moi, mais bien avant moi, il avait dit “oui” à la volonté de Dieu, le jour de son ordination.

Quand on est ordonné prêtre, certes, on dit oui et on “livre” sa vie, pour le service de Dieu, de son Église, et de nos frères. Dans le rituel de l’ordination même, l’évêque, après nous avoir consacré les mains avec le Saint-Chrême, nous remet le calice et la patène en nous disant :

“Recevez l’offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Prenez conscience de ce que vous ferez, vivez ce que vous accomplirez, et conformez-vous au mystère de la Croix du Seigneur.”

Nous savions, en théorie et le jour de notre ordination, ce que cette phrase voulait dire : “nous en prenions conscience”. Célébrer la messe, c’est redire avec le Christ « ceci est mon corps livré », à la première personne signifiant notre identification profonde au Christ ; et ce, chaque jour. Célébrer la messe, c’est garder devant les yeux la Croix comme seule voie d’amour et de salut possible. Célébrer la messe, c’est se souvenir que le Christ lui-même, premier des martyrs, ne nous demande pas autre chose qu’aimer, mais aimer vraiment, radicalement, et jusqu’au bout. Célébrer la messe, c’est se souvenir de ce moment le plus essentiel de notre journée, où Dieu, dans sa grandeur, vient rencontrer l’homme dans sa bassesse et son péché ; dans son horreur, même ; dans ses crimes les plus atroces (ô scandale de la miséricorde !). Célébrer la messe, c’est se rappeler, in fine, que nous avons juste, nous-mêmes, à imiter Dieu en ce qu’il y réalise : “vivez ce que vous accomplirez”.

Mais ça, c’était un peu la “théorie”, avouons-le, dans le sens où cette vie livrée totalement jusqu’au sang versé semblait éloignée de nous… par-delà les occasions de critiques et de disputes sur les sensibilités liturgiques qui peuvent secouer nos communautés chrétiennes, nous avions appris dans nos cours de théologie que la consécration de toute une vie au Christ, impliquait nécessairement sa contemplation, son service et son imitation, dans l’union à Lui. Nous avions lu le récit des martyrs qui ont jalonné tout au long des siècles la vie de l’Église : elle ne croît véritablement, d’ailleurs, que par eux. Nous en parlions même en homélie lorsque nous les célébrions ! Oui, suivre le Christ, lui dire « oui », c’est le contempler, l’écouter, le regarder, mais aussi vivre comme lui, vivre de Lui, vivre ce qu’il a lui-même vécu. Et cela se contemple dans l’obéissance du Christ à son Père : tout trouve là son origine. La fécondité n’est au rendez-vous que lorsqu’on contemple le Christ et que l’on reste dans cette obéissance de la Croix.

Effectivement, cette contemplation, cette obéissance implique le passage par la croix. Oui, nous célébrons la vie et la Résurrection à chaque eucharistie ; mais nous célébrons aussi le crucifié qui porte encore la marque des clous. Nous ne pouvions l’oublier : c’est du cœur transpercé que jaillit la vie. La fécondité passe toujours par le renoncement à sa volonté propre, et donc par la Croix. Voilà ce que coûte vraiment la vie.

C’est même ce sens-là que Jean-Paul II a redonné au célibat sacerdotal, tant décrié aujourd’hui, dans Pastores Dabo Vobis :

la signification de “cette continence parfaite à cause du Règne de Dieu (…), dans le renoncement au mariage, réalise la “signification sponsale” (l’union à Dieu, Ndlr) du corps, moyennant une communion et une donation personnelle à Jésus Christ et à son Église ; cette communion et cette donation préfigurent et anticipent la communion et la donation parfaites et définitives de l’au-delà : “Dans la virginité, l’homme est en attente, même dans son corps, des noces eschatologiques du Christ avec l’Église, et il se donne entièrement à l’Église dans l’espérance que le Christ se donnera à elle dans la pleine vérité de la vie éternelle.” (PDV, n°29).

Uni ainsi au Christ, jusque dans sa chair, le prêtre entre ainsi dans cette obéissance du Christ, dans une donation parfaite, signe du Royaume à venir

Chaque prêtre, lorsqu’il est ordonné, monte progressivement vers le sommet lumineux où culmine à la Croix. Mais on en parle souvent en termes plus symboliques (pour éviter de se rappeler la dure exigence de l’amour livré) : la croix du désenchantement (nous ne sommes pas des superhéros, c’est vrai !) ; la croix de la critique (nous ne convenons jamais à tout le monde, c’est vrai !), la croix de la raillerie et de la moquerie parfois (on ne comprend plus le sens de notre vie et de notre foi), la croix de la charge avant tout, et parfois, disons-le, de la solitude face à ce poids que nous ne pourrons jamais totalement partager, si ce n’est avec Jésus dans notre prière.

Mais la mort du père Jacques m’a brutalement rappelé qu’il n’y a pas que cette « théorie » (tout aussi vraie d’ailleurs !), et que toutes ces synthèses de la croix, ces symbolisations, ne seront toujours qu’en deçà de la réalité. La logique profonde de la charité sacerdotale, c’est le don de sa vie à l’image de la croix ! On ne se donne qu’en se perdant ! On ne donne qu’en renonçant à soi ! Si le sel de l’amour se dénature, s’il en devient une espèce de charité sociale sans consistance divine, l’Église ne sera plus l’Église. L’amour est ce qu’il coûte ! Un amour qui ne coûte rien n’est pas de l’amour. La radicalité évangélique se trouve là et c’est au fond ce qui nous dérangera toujours. On pourra toujours opposer toutes les sensibilités liturgiques, ecclésiastiques, sociales, politiques, que l’on veut : mais “au soir de cette vie, nous serons jugés sur l’amour”, comme le disait saint Jean de la Croix. 

Le Père Jacques s’est définitivement “conformé à la Croix du Christ” en ce 26 juillet ; son assassinat, lâche, m’a rappelé brutalement, mais véritablement, que le « oui » que j’ai prononcé il n’y a 9 ans ne pourra jamais être “théorique”. Je le savais au fond de mon cœur, mais le témoignage de sa mort l’a encore un peu plus enraciné en moi. Nous sommes donnés totalement, ou nous ne le sommes pas. Et le prêtre que je suis ne pourra plus célébrer la messe comme avant !

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