Le prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle a été remis au Saint-Père qui a défié l’Europe de “retrouver son identité dynamique et multiculturelle”.Le Prix international Charlemagne d’Aix-La-Chapelle pour “l’unification européenne”, a été décerné ce vendredi 6 mai au pape François, au Vatican, en présence des trois présidents européens –Martin Schulz pour le Parlement, Jean-Claude Juncker, pour la Commission européenne et Donald Tusk, pour le Conseil– et de plusieurs personnalités comme la chancelière allemande Angela Merkel et le roi Felipe d’Espagne. La France était représentée par la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem.
Un prix pour une nouvelle Europe
Le Souverain pontife a été récompensé pour son implication en faveur de l’Europe, plus précisément pour “son message de paix et de compréhension” ainsi que “sa compassion, sa tolérance, sa solidarité et son intégrité tout au long de son pontificat”, souligne le comité exécutif du prix. D’emblée, le Saint-Père, qui n’accepte pas en général de recevoir ce type de prix, a voulu préciser dans son discours de remerciement qu’il dédiait “le prestigieux Prix” à toute l’Europe, voyant ce moment “non pas comme un geste de célébration” mais comme une belle occasion de “souhaiter ensemble un élan nouveau et courageux à ce cher continent”.
Nous sommes dans la ligne de son discours prononcé à Strasbourg, en novembre 2014, où il avait dressé le portrait d’une “Europe fatiguée et vieillie” dans un monde “toujours plus interconnecté et globalisé, et de moins en moins eurocentrique”. Cette Europe, a repris le pape ce vendredi 6 mai, a besoin de “prendre un peu de distance par rapport au présent pour écouter la voix” de ses ancêtres – les Pères fondateurs de l’Europe – qui “ont eu l’audace non seulement de rêver d’Europe, et osé transformer radicalement les modèles qui ne provoquaient que violence et destruction”.
“Actualiser” en faisant mémoire du passé
Sous forme de trois questions, le Pape a pleuré la perte des grands idéaux qui ont inspiré l’Europe et constituait “sa force attractive” : “Que t’est-il arrivé, Europe humaniste, paladin des droits de l’Homme, de la démocratie et de la liberté ? Que t’est-il arrivé, Europe terre de poètes, de philosophes, d’artistes, de musiciens, d’hommes de lettres ? Que t’est-il arrivé, Europe mère de peuples et de nations, mère de grands hommes et de grandes femmes qui ont su défendre et donner leur vie pour la dignité de leurs frères ?”. Aujourd’hui, “ces projets ne sont pas dépassés : ils inspirent plus que jamais, à construire des ponts et à abattre des murs”.
Le Saint-Père a alors lancé un nouveau défi à l’Europe : accepter avec détermination cette “transfusion de la mémoire” et se servir de “ses acquis”, pour “actualiser l’idée d’une Europe capable de donner naissance à un nouvel humanisme fondé sur trois capacités : la capacité d’intégrer, la capacité de dialoguer et la capacité de générer”. Et “actualiser” pour le Pape, ce n’est pas “se contenter de petites retouches esthétiques ou de compromis bancals pour corriger quelques traités”, mais “poser courageusement de nouvelles bases”.
Créer des “coalitions” culturelles
Le pape François rêve d’une “Europe jeune”, capable “d’être encore mère”, où “être un migrant n’est pas un délit”. Il rêve, a-t-il dit, d’une “Europe des familles, avec des politiques centrées sur les visages plus que sur les chiffres, une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie”. Et s’il y a un mot qu’il ne cessera de répéter, c’est le mot “dialogue”, qu’il juge indispensable pour promouvoir une culture axée sur “un apprentissage authentique, une ascèse qui aide chacun à reconnaître l’autre comme un interlocuteur valable ; qui permet de regarder l’étranger, le migrant, celui qui appartient à une autre culture comme un sujet à écouter, à considérer et appréciable”.
Cette culture du dialogue, le pape François voudrait la voir “dans tous les cursus scolaires comme axe transversal des disciplines”, pour aider à “inculquer aux jeunes générations une manière de résoudre les conflits” qui ne soit pas celle que nous connaissons aujourd’hui. Pour lui, il est urgent de pouvoir réaliser des “coalitions” non plus uniquement militaires ou économiques mais “culturelles, éducatives, philosophiques, religieuses”. Des coalitions qui mettent en évidence que, derrière beaucoup de conflits, c’est le pouvoir des groupes économiques qui est souvent en jeu”. Des coalitions “capables de défendre le peuple contre l’utilisation qu’on fait de lui à des fins impropres”. L’heure est venue d’une Europe qui “regarde, défende et protège l’homme”.
Et l’Église ?
L’Église, dans ce panorama, “peut et doit contribuer à la renaissance d’une Europe affaiblie, mais encore dotée d’énergie et de potentialités”, a déclaré le Pape. Le devoir de l’Église coïncide avec sa mission : “l’annonce de l’Évangile, qui aujourd’hui plus que jamais se traduit surtout par le fait d’aller à la rencontre des blessures de l’homme, en portant la présence forte et simple de Jésus, sa miséricorde consolante et encourageante”, a réaffirmé le Pape. Et d’ajouter : “Dieu désire habiter parmi les hommes, mais il ne peut le faire qu’à travers des hommes et des femmes qui, comme les grands évangélisateurs du continent, sont touchés par lui et vivent l’Évangile, sans chercher autre chose”. Pour le Saint-Père : “Seule une Église riche de témoins pourra redonner l’eau pure de l’Évangile aux racines de l’Europe”.
François est le deuxième Pape à avoir reçu le prix Charlemagne. Jean-Paul II avait été récompensé en 2004 pour son soutien au syndicat polonais Solidarnosc et aux révolutions pacifiques contre les régimes communistes en Europe centrale et de l’Est.