Rencontre avec le neveu du médecin qui a inspiré la réalisatrice Anne Fontaine.Aleteia : Dans Les Innocentes, la réalisatrice Anne Fontaine dépeint votre tante comme une femme athée et issue d’une famille communiste. Est-ce conforme à la réalité ?
Philippe Maynial : Non, elle n’était en réalité ni communiste, ni athée. C’est le scénario qui a exigé certaines modifications. J’ai vu le film de nombreuses fois, j’ai discuté avec la réalisatrice Anne Fontaine qui ne voulait en aucun cas, que ses deux protagonistes, Mathilde – nom attribué au personnage de Madeleine Pauliac – interprétée par Lou de Laâge et le médecin-chef – personnage fictif interprété par Vincent Macaigne – n’interviennent auprès de ces consacrées pour des raisons de connivences religieuses. Elle défend une ligne “scénaristiquement” défendable : l’intervention de Madeleine ne doit surtout pas être motivée par un élan de charité, la pitié, la commisération ou la religion, au risque de donner au film une ambiance larmoyante.
Après avoir entendu ses arguments, j’ai fini par la rejoindre. Seul son sens du devoir doit pouvoir motiver sa décision. Sur le moment, je dois avouer mon irritation, mais en tant qu’auteur je me suis interdit de faire une quelconque remarque. J’ai vendu les droits de cette histoire, après quoi ils sont libres d’effectuer les modifications qu’ils jugent nécessaires. Mon rôle est de défendre la créativité.
À quoi ressemblait la vie de votre tante Madeleine Pauliac, la véritable héroïne des Innocentes ?
Ma mère et Madeleine ont été élevées par ma grand-mère, leur père Roger étant mort en 1916 à Verdun. Quand la guerre éclate en 1939, elle a 27 ans, elle est médecin, spécialiste de la trachéotomie. Ma mère me racontait qu’elle était une spécialiste en la matière. Il faut réaliser ce que c’est : on ouvre la gorge du patient pour l’intuber lorsqu’il commence à étouffer. Elle fait cela sur des enfants, il faut avoir un bon coup de bistouri et une certaine dose de sang froid. Pendant l’Occupation, elle entre dans la Résistance et s’occupe alors de parachutistes alliés, cache même des juifs chez elle et ravitaille des maquis.
À la Libération, elle est faite lieutenant et rencontre le général de Gaulle qui l’envoie à Moscou à la tête de la mission de rapatriement des Français restés du côté soviétique. Elle prend ainsi la direction de la Croix-Rouge pour toute la Pologne. Certains rapports des jeunes femmes de l’association qui accompagnaient ma tante, l’escadron bleu comme on les surnommait, mentionnent qu’elles ont visité au total plus de 200 camps, dont de nombreux camps de concentration et parcouru pas moins de 40 000 kilomètres. Elles vont faire en moyenne 700 km pour aller récupérer un Français égaré ici ou là, voyageant jour et nuit.
Quel épisode fort de la vie de votre tante ne figure pas dans le film par exemple ?
Un des épisodes les plus éprouvants de Madeleine Pauliac se déroule en Russie. Tout le convoi de la Croix-Rouge est alors arrêté par l’armée soviétique et tous ses membres dont ma tante, sont emprisonnés. Dans une ultime tentative de se sortir de là, Madeleine Pauliac exige de parler au plus haut gradé. Une fois devant l’officier en charge des opérations, elle fait valoir que l’un de ses cousins fut l’un des héros de la prestigieuse escadrille Normandie-Niemen, un groupe de chasse français réputé, déployé sur le front de l’Est par de Gaulle. Ma tante raconte dans ses notes que ce petit mensonge les a sauvés car, par chance, l’officier russe à qui elle s’est adressée avait fait partie de la fameuse escadrille et s’est senti immédiatement redevable. Cette anecdote est retranscrite d’une manière similaire dans le film, lorsque Lou de Lâage va faire croire aux soldats qui envahissent le couvent que les lieux sont infestés par le typhus.
On apprend dans la réalité que ce n’était pas un médecin juif qui l’accompagnait mais un prêtre…
Oui, il s’agit de l’abbé Belliard. Ma tante le mentionne dans un rapport comme suit :
Je dois faire une mention pour l’abbé Belliard prisonnier, libéré, resté volontairement jusqu’à la fin de l’évacuation des malades de la région de Torun. Il les connaissait, les recherchait, les suivait d’hôpital en hôpital, les réconfortait et grâce à lui de nombreux malades ont pu être rapidement recherchés et rapatriés. Son dévouement a été total.
On ne sait pas exactement ce qu’il a fait pour se retrouver prisonnier des Allemands. Ce dont nous sommes certains c’est qu’il ne voudra absolument pas rentrer en France mais suivre ma tante jusqu’au bout de sa mission. Il célébrait des messes à tout moment, sur la route, en plein air, dans des ruines. Il y avait une véritable complicité entre ce religieux, les infirmières et ma tante Madeleine. Il prononcera une homélie somptueuse le jour de ses funérailles dont voici un extrait :
Le docteur Pauliac servait là-bas la plus pure gloire de la France, celle de se faire aimer et de faire aimer la France en apportant tous les secours matériels et moraux à tous ceux, sans distinction de nationalité, et ils étaient légion, que la souffrance et l’adversité avaient douloureusement atteints.
Comment est-elle décédée ?
Dans les derniers mois de sa vie, Madeleine va subir un accident de la route, après s’être engagée en ambulance sur un pont qui était sectionné. Elle va avoir une sérieuse fracture du crâne. “Maman nous disait toujours que Madeleine Pauliac, avec sa fracture du crâne ouverte (sic) continuait à opérer jour et nuit”, nous a raconté récemment une descendante de l’une des infirmières qui la suivait.
Plusieurs mois plus tard, le 13 février 1946, elle va connaître une fin tragique, alors qu’elle était dans une voiture de l’ambassade française à Varsovie en route pour l’hôpital. Il y a deux versions : l’une soutient que la voiture a dérapé sur du verglas et foncé dans un arbre ; l’autre affirme que la voiture a sauté sur une mine. Tout le corps diplomatique a assisté à ses obsèques en Pologne. Son corps fut rapatrié l’été suivant, elle fut alors enterrée dans le cimetière de Villeneuve-sur-Lot au cours d’une cérémonie profondément solennelle.
Propos recueillis par Arthur Herlin