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Le grand entretien (1/3) : Catherine de Sienne, biographie d’une sainte méconnue en France

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Maëlys Delvolvé - publié le 27/11/15
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L’historien André Vauchez a accepté de répondre à quelques questions sur son nouvel ouvrage autour de la vie de sainte Catherine de Sienne (1347-1380). Catherine de Sienne est une sainte particulièrement marquante de l’époque médiévale. Elle est intervenue dans les crises religieuses et politiques de son époque, marquée par la peste noire, la guerre de Cent ans, les luttes entre les principautés d’Italie, et l’exil des Papes à Avignon, avant le terrible épisode du Grand Schisme. André Vauchez, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et ancien directeur de l’École française de Rome, a choisi de rendre accessible à tous la vie de cette étonnante mystique en composant une biographie historique à la fois précise et plaisante à lire.

Aleteia : Vous affirmez dans votre introduction que “Catherine de Sienne est assez mal connue en France” ; pourquoi cette lacune ?
André Vauchez : Effectivement, elle est beaucoup moins connue en France qu’en Italie par exemple. On pourrait trouver cela normal car l’Italie est sa patrie, mais il y a des saints italiens très connus en France comme saint François d’Assise. Elle l’est beaucoup moins. Cette méconnaissance est très ancienne. Dans un premier temps, la France l’a refusée dans la mesure où elle a soutenu le pape de Rome lorsque Charles V et la monarchie française soutenaient le pape d’Avignon au moment du Grand Schisme.

Après 1415, Catherine continue d’être assez mal vue par les théologiens français, notamment Gerson ; son œuvre reste méconnue en France, alors qu’elle connaît un succès en Italie bien sûr, mais aussi en Allemagne ou en Angleterre. Même s’il existe une Vie médiévale de Catherine de Sienne, elle joue un rôle assez mineur. Il faut attendre le XVIIe siècle pour que cela change. Au XIXe, on l’a considérée comme une figure protectrice du pouvoir temporel de la papauté puisque Pie IX l’a nommée patronne de Rome, à l’époque où ce même pouvoir était menacé. Elle a ensuite été récupérée à la fin du XIXe-début XXe par le nationalisme italien comme héroïne antifrançaise, parce qu’elle aurait arraché la papauté à la “captivité” d’Avignon. A l’époque du fascisme, elle a été exaltée comme une sorte d’héroïne nationale, en mettant l’accent sur son volontarisme.

Tout cela contribue à la rendre un peu suspecte aux Français qui s’y sont peu intéressés ou ont eu une attitude critique vis-à-vis d’elle. C’est seulement depuis l’après-guerre que l’on commence à mieux la considérer, surtout à partir du moment où Paul VI l’a proclamée docteur de l’Église en 1970. Dans cette ignorance française générale, les Dominicains, qui se sont toujours intéressés à elle, sont tout de même une exception.

Vers 1364, Catherine rejoint la confrérie des Mantellate, dépendant du couvent San Domenico de Sienne. Quel est le statut de ces pénitentes laïques ? Quels liens entretiennent-elles avec l’ordre des Dominicains ?
Contrairement à ce que l’on croit parfois, Catherine n’est pas une moniale dominicaine. Elle n’a jamais vécu dans un couvent dominicain. C’est une laïque, mais une laïque qui s’est rattachée très jeune, sans doute vers l’âge de 17 ans, à la confrérie dite des Mantellate. Cette dernière réunissait des femmes, souvent veuves, qui adoptaient un style de vie pénitentiel, tout en vivant chez elles. Ces femmes laïques gravitaient dans l’orbite spirituelle des Dominicains – dans le cas de Catherine, le couvent San Domenico de Sienne.

En adhérant à cette confrérie, Catherine revêt un habit blanc et noir, sur le modèle de l’habit dominicain. Elle acquiert un statut social particulier qui va permettre de légitimer son action. En effet, une femme seule ne pouvait pas, dans la société de l’époque, sortir dans le monde et commencer à prêcher ou à avoir une action apostolique sans avoir la couverture d’un ordre religieux.

Elle restera laïque jusqu’à la fin de sa vie, mais très liée à l’Ordre dominicain. En 1374, les Dominicains lui attribuent un directeur de conscience, le dominicain Raymond de Capoue, qui ne la quittera jamais. Ce dernier devient son biographe en écrivant sa première Vie, la Legenda maior, et joue un rôle très important dans la diffusion de son culte. Catherine est donc une laïque, mais elle a des liens très étroits avec l’ordre dominicain.

Vous présentez Catherine comme une personnalité paradoxale, partagée entre “sa cellule intérieure” et son devoir d’œuvrer dans le monde. Est-ce la raison pour laquelle elle n’est pas entrée au couvent ?
Catherine s’oppose très tôt au projet matrimonial auquel voulait la soumettre sa mère. Elle se prononce très vite en faveur d’une vie religieuse, mais qui serait en dehors du cloître. Plus exactement, la jeune Catherine va vivre dans un véritable cloître domestique : si elle continue d’habiter dans la maison familiale, elle est complètement marginalisée par les siens et vit dans la solitude la plus totale. Elle va développer une relation très intense avec le Christ dans la prière et devenir une religieuse au sens le plus profond du terme.

Mais cela ne la conduit pas à rentrer dans un couvent de Dominicaines, qui pourtant ne manquaient pas à Sienne. Pour quelles raisons ? Catherine n’était sans doute pas très tentée par les Dominicaines de l’époque qui n’étaient pas très ferventes. Mais il faut surtout voir cela comme un souci d’efficacité de sa part. Catherine affirme en effet qu’elle aurait voulu “être dominicain” : être un homme donc, pour pouvoir sortir, prêcher, aller dans les régions lointaines, convertir les infidèles. Catherine a un rêve d’action ; c’est parce qu’elle veut agir dans le monde et pour le monde qu’elle va finalement y rester et ne pas rentrer dans un couvent.

En même temps, elle est fascinée par la vie monastique, puisqu’une des premières choses qu’elle demandera au Pape sera de l’autoriser à fonder un couvent à Belcaro dans la périphérie de Sienne. Catherine aurait eu plusieurs visions du Christ la poussant à agir de plus en plus précisément dans le monde. C’est sous la pression de ces dialogues avec le Christ qu’elle assume pleinement son rôle de femme intervenant au cœur du monde. Il y a donc à la fois chez Catherine une fascination pour la vie religieuse cloîtrée et une nécessité d’agir dans le monde.

Très vite, Catherine réunit de nombreux disciples, hommes ou femmes, qui la désignent sous le nom de Mamma. N’est-ce pas là une manière originale de vivre la maternité pour celle qui a très vite refusé de se marier ?
Catherine rejette le mariage forcé et sa famille ; elle est en conflit ouvert avec sa mère à qui elle reproche d’avoir été une mère charnelle et pas une mère spirituelle. La sainte a une exigence spirituelle extrêmement intense, et essaie donc de créer une famille spirituelle. Cette dernière va se constituer autour de femmes puis d’hommes qui vont être fascinés par son rayonnement spirituel et ses miracles. Ces disciples ne forment pas pour autant un ordre religieux, chacun a sa vie, mais tous se retrouvent autour d’elle pour l’aider à développer son activité missionnaire et bénéficier de son enseignement spirituel.

Ces hommes et ces femmes la suivent même dans ses voyages : lorsque Catherine va à Avignon, elle emmène avec elle une vingtaine de personnes, dominicains ou non, qui constituent sa famiglia. Tout cela reste informel, mais le pape Grégoire XI, après le passage de Catherine à Avignon, va reconnaître ce groupe dont Raymond de Capoue sera ce qu’on pourrait appeler “l’aumônier”.

Propos recueillis par Maëlys Delvolvé

Retrouvez la suite dès demain sur Aleteia 

Catherine de Sienne-Vie et passions, par André Vauchez, paru aux Editions du Cerf, 256 pages, 24 euros.

Pour en savoir plus, un entretien télévisé avec l’auteur, réalisé par les éditions du Cerf, est disponible ici

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