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Jean-Marc Potdevin : gagner sa vie sans perdre son âme

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Pierre Dohet - publié le 05/08/15
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Invité du festival “Welcome To Paradise”, le Net-entrepreneur chrétien est revenu sur les difficultés qu’il peut y avoir à concilier au quotidien foi et travail.Jean-Marc Potdevin est de ceux qui ont forgé l’épopée du Web autour du changement de millénaire. À force de travail, il a mené en quatre ans son entreprise, Kelkoo, à un poids économique insoupçonné : Yahoo! en offre 500 millions, avec un poste de vice-président pour la zone Europe à la clé. Jean-Marc incarne alors un modèle de réussite : riche, le job de ses rêves, la famille qu’il voulait. Et pourtant, il n’est pas satisfait. Au point qu’il quitte son boulot, pour se consacrer au sport, puis à investir dans des projets, et rapidement sa vie reprend ce même rythme infernal dans lequel manque quelque chose.

Touché par la grâce

C’est alors qu’il décide de prendre le chemin de Compostelle. Sur la route, les coïncidences s’accumulent de manière suspecte, mettant Jean-Marc en face d’instants où il n’a pas été juste. L’indicible gêne lui est affichée avec insistance. Au Puy, il va finalement s’arrêter chez les Sœurs de Saint-Jean, et, ayant rejoint la chapelle presque par hasard, il fait l’expérience physique de Jésus. “Le Roi” lui permet d’entrevoir l’union d’amour dont il comble ses serviteurs, “regarde, ce sont mes créatures”. Pendant de longues minutes de pleine conscience, Jean-Marc Potdevin ressent une plénitude qu’il voudrait ne plus quitter. Depuis, il témoigne de sa foi et s’applique à vivre en vrai chrétien.

Le travail a une dimension objective et une dimension subjective

Auprès de la doctrine sociale de l’Église, il a découvert et creusé le sens subjectif du travail. En effet, on réduit trop souvent le travail à son sens objectif, à savoir rendre un service à la société, et en contrepartie gagner sa vie. En tant que co-créateurs du monde, nous avons une responsabilité dans son développement ; le sens subjectif n’est donc pas à négliger et une réflexion éthique est à mener sur le sujet.

Cependant, si certains emplois sont objectivement pervers, ils sont souvent plutôt neutres. Pour Jean-Marc, l’enjeu est alors de faire du travail un lieu d’accomplissement de la personne, qui développe la créativité, les relations, et où l’on puisse être vrai. D’après son expérience et ses lectures, il pointe quatre pathologies du succès, puis invite à l’unité intérieure, suggère des moyens pour y parvenir et les fruits à en espérer.

De la difficulté des riches d’accéder au Royaume des Cieux

Premier excès, la primauté de la possession : facilement, on peut se laisser entraîner dans une quête d’argent, de pouvoir, qui nous éloigne de notre propre bien ; “Cela ne sert à rien d’être l’homme le plus riche du cimetière”. Outre l’avoir, le “faire” peut détourner de l’être : l’activisme comme fuite de soi, comme divertissement infernal et incessant qui nous éloigne de notre intériorité. Troisième égarement de l’être, celui du paraître : on porte le masque du succès au lieu d’être soi, sous pression de ce que l’on croit devoir être. L’orgueil enfin, pousse à faire de soi sa propre source, à se complaire dans nos dits mérites, qui ne sont toujours que des dons reçus.

Faire l’unité intérieure

Pour éviter ces tentations et l’éclatement de la personne qu’elles entraînent, nous ne sommes pas seuls : l’unité intérieure est à rechercher autour de la personne du Christ. L’aspiration fondamentale de notre être est de “prier et contempler Dieu”. Cette aspiration correspond profondément à ce que nous sommes, elle respecte notre liberté et honore nos singularités. Elle doit toucher toute notre vie et non se cloisonner à certains lieux et moments. Il ne s’agit pas d’être chrétiens quand nous prions puis être indifférents le reste de la journée, mais comme dit saint Paul : “Soyez toujours joyeux, priez sans cesse, rendez grâces” (1 Thessaloniciens 5,16). Il ne s’agit pas non plus de négliger ses tâches quotidiennes, mais de les confier à Dieu, de placer la contemplation au cœur de l’action. Thérèse d’Avila, pourtant à vocation contemplative, s’est avérée d’une grande activité, et elle soutient dans ses écrits la nécessité à la fois de Marthe et de Marie, de la travailleuse et de la priante. C’est aussi dans quelques pages d’un manuel de vie carmélitaine,

Cachés dans l’Amour, que Jean-Marc a trouvé d’excellentes directives qu’il nous partage.

Se donner les moyens de la proximité divine

Concrètement, il est très précieux de se recueillir avant une journée de travail. Lui, consacre chaque matin 30 minutes à la messe, et il en sort lumineux et paisible. Aussi souvent que possible, on peut reprendre conscience de la présence de Jésus, par un geste ou une prière de quelques mots “Jésus, j’ai confiance en Toi”. Le retrouver aussi, dans chaque personne que l’on rencontre : “Seigneur, c’est Toi qui me l’a envoyé”. La liturgie des heures peut être une grande aide pour prier dix minutes au cœur de sa journée, en guise de pause-café. La régularité et la richesse des psaumes sont source de méditations ressourçantes. Travailler pour Dieu donne encore de se libérer de l’inquiétude de la réussite. Sûr que seul Dieu peut bénir notre travail, on ne vit plus dans la crainte du jugement des autres. L’accueil des épreuves, enfin, est occasion privilégiée de prière et de sanctification. Le travail est le lieu des contrariétés, dont vient le cadeau qui plaît à Dieu : l’abandon serein dans l’Amour. Si nous savons rester pacifiques et confiants dans l’adversité, notre paix rayonnera.

La fécondité de l’homme juste

D’une telle attitude découle de nombreux fruits : l’humilité, de savoir que nous recevons, de reconnaître nos talents avec justesse, sans fausse modestie ou orgueil. Par-là sont diminuées nos peurs : du regard des autres, de la responsabilité ; nous pouvons être pleinement à notre place. Sans ces peurs qui divisent notre être, nous sommes un appui solide pour les autres, et un élément pacificateur dans les conflits, ce qui est la qualité même du manageur. En reconnaissant Jésus en l’autre, on entre dans une logique d’unité, favorable pour l’entreprise. La capacité à ne pas rendre coup pour coup interroge. Nous pouvons ainsi être contagieux de paix et de joie ; c’est alors que nous sommes de véritables témoins : “Comment fais-tu ?”. Après un speech fondé sur la doctrine sociale de l’Église, une responsable vient voir Jean-Marc Potdevin et lui demande ses sources : “C’est super moderne ton truc !”. Vraiment, l’Église est experte en humanité ! Et pour boucler la boucle, la qualité même de la prière s’en trouve améliorée, libérée des angoisses de la journée vécue auprès de Dieu.

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