Face à la machine judiciaire américaine, la Fédération internationale de football a peu de chances de s’en sortir par un match nul.
"L’enquête n’en est qu’à ses débuts", prévient la ministre de la Justice des États-Unis. "C’est un moment difficile", a concédé le porte-parole de la Fifa à Zurich. L’arrestation de sept hauts responsables de la fédération hier matin à Zurich et l’inculpation d’autres aux États-Unis (Aleteia) ne seraient-elles pas plutôt les premiers coups de tonnerre d’un orage dévastateur – et, à terme, purificateur ? Si l’indéboulonnable président Sepp Blatter n’a pas été pris dans la nasse, sa réélection à la tête de la fédération le 29 mai n’a plus rien d’une simple formalité.
L’étau se resserre
À la veille d’une élection qui paraissait jouée d’avance, la Fifa fait désormais face à la tout aussi puissante justice américaine, constate Le Temps : "La démarche du parquet du district Est de New York est légitimée par le fait que des organismes américains sont visés par ces soupçons de corruption. Parmi les inculpés figurent plusieurs responsables de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf). La demande d’arrestation est par ailleurs motivée par le fait que "l’entente relative à ces actes (de corruption) aurait été conclue aux États-Unis", selon l’Office fédéral de la justice (OFJ). Qui ajoute que "des paiements auraient transité par des banques américaines"."
L’OFJ (suisse) a donc ordonné au Ministère public zurichois de placer sept hauts dirigeants de la Fifa en détention provisoire. Six d’entre eux s’opposent à leur extradition vers les États-Unis. La justice américaine dispose de 40 jours pour adresser à la justice suisse des demandes formelles permettant à l’OFJ de déterminer si les critères d’extradition vers les États-Unis sont remplis.
Le repenti de l’argent fou
Nul ne doute que la justice américaine soit sûre de son fait. Elle a monté un dossier "en béton" grâce notamment à un repenti. Le FBI "a retourné un ponte de la Fifa", explique Le Parisien. Il se nomme Chuck Blazer, surnommé "Monsieur 10%". Ancien secrétaire général de la Concacaf et ancien membre de la commission de la Fifa, c’est aujourd’hui un septuagénaire malade, cerné par la justice et le fisc avec 14 inculpations pour corruption pour lesquelles il risque jusqu’à dix ans de prison et cinq ans pour évasion fiscale. "Le FBI l’a contraint à jouer les informateurs dès 2011" pour alléger ses condamnations : "Comme dans les films, Blazer a accepté de porter un micro sous son costume, en essayant de faire avouer leurs fautes à ses anciens camarades de la Fifa. Il a également levé le voile sur le système de corruption à l’œuvre sur les deux continents américains, révélant notamment la machine à cash, pour ses dirigeants, que constitue la sulfureuse Concacaf" (L’Express).
Une fois encore, on constate que l’argent rend fou. Or, l’argent coule à flots sur le football, explique François Langlet sur RTL : "En 2014, la fédération a réalisé un chiffre d’affaires de près de 2 milliards d’euros. C’était une année record en raison de la Coupe du Monde cette année-là au Brésil. Sur quatre ans, c’est-à-dire d’une compétition à l’autre pour tout un cycle, la Fifa a réalisé 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Pour 90% c’est lié aux compétitions. Elle a fait presque 200 millions d’euros de bénéfices et cela chaque année. Des bénéfices qui alimentent un vrai pactole, des réserves financières de plus d’un milliard d’euros. En fait, la Fifa est un empire financier…".
Un déluge d’"affaires"
Les "affaires" se sont multipliées depuis 1999 et l’élection de Sepp Blatter, rappelle L’Équipe :
1999 : "L’écrivain anglais David Yallop affirme, dans un livre intitulé
How they stole the game (Comment ils ont volé le jeu), que le scrutin ayant couronné la Suisse était truqué. L’actuel président de la FIFA obtient toutefois gain de cause devant la justice."
2001 : Faillite de l’ISL (le groupe qui gère en exclusivité les droits de retransmission de la Coupe du Monde et les contrats commerciaux de la Fifa). "Selon un rapport d’enquête, Ricardo Teixeira, alors président de la Fédération brésilienne (CBF), et son ex-beau-père, Joao Havelange, président de la Fifa de 1974 à 1998, se sont partagés 15 millions de francs suisses (12,2 millions d’euros) de pots-de-vin. (…) Treize autres personnes liées à la Fifa, mais dont l’identité a été "anonymisée" par la justice suisse, ont bénéficié de 120 millions de francs suisses (98,1 millions d’euros) de rétrocommissions. Sepp Blatter est soupçonné d’avoir fermé les yeux sur ces agissements lorsqu’il était secrétaire général de l’instance…"
2011 : "Le Qatari Mohammed Bin Hammam, ancien président de la Confédération asiatique et membre du comité exécutif de la Fifa, doit se retirer. Reconnu coupable de corruption (achat de voix) à la suite d’une enquête, il est radié à vie de toute activité liée au football par la Fifa…"
2014 : "Démantèlement d’un trafic de billets pour le Mondial" et non-publication du rapport Garcia "auteur du rapport sur les soupçons de corruption qui pèsent sur l’attribution des deux prochaines Coupes du Monde (2018, en Russie, et 2022, au Qatar)"
2015 : "La chaîne publique allemande ARD a diffusé il y a deux semaines un documentaire dans lequel (…) une ancienne employée de la candidature qatarie pour le Mondial 2022, répète les accusations qu’elle avait formulées dans l’entretien exclusif accordé à France Football en décembre 2014, nommant, cette fois, les trois dirigeants africains auxquels, selon elle, la délégation qatarie avait offert des "encouragements" de 1,5 million de dollars." Il s’agirait de trois membres du comité exécutif de la Fifa.
"Un fonctionnement semblable à celui d’une organisation criminelle"
En fait, "l’enquête porte (…) sur plus de 20 ans de football et l’attribution d’au moins quatre Coupes du Monde", récapitule Le Figaro. Et "le tableau fait aujourd’hui froid dans le dos. La ministre de la Justice américaine, Loretta Lynch, est formelle : "On parle là d’une instance où la corruption est endémique, où ce système est devenu une culture. Les faits portent sur au moins deux générations d’officiels du football et ce qui leur est reproché est très grave. Le fonctionnement que l’on a découvert est semblable à celui d’une organisation criminelle".
Au total, avec les sept dirigeants arrêtés à Zurich, "neuf élus de la Fifa et cinq partenaires de l’instance mondiale du football ont été inculpés mercredi de corruption, racket et blanchiment à New York. Ils sont accusés d’avoir reçu ou distribué plus de 150 millions de dollars depuis 1991, notamment pour les droits de diffusion de tournois internationaux. (…) Ils risquent jusqu’à 20 ans de prison" (Sud-Ouest).