Film satanique, œuvre gnostique, caricature de la Bible ? Avec notre nouveau partenaire, les Cahiers Libres, découvrez l’avis de Charles Vaugirard sur le Noé de Darren Aronofsky.
25/04/14
« Film satanique », « œuvre gnostique », « caricature de la Bible »… La version de l’histoire de Noé que nous propose Darren Aronofsky a le mérite de ne pas laisser indifférents certains commentateurs. Nous pouvons le comprendre en partie : cette adaptation prend quelques libertés avec le texte biblique. Néanmoins, les accusations portées contre ce film sont-elles fondées ?
J’ai vu le film, et après réflexions, nous pouvons parvenir à cette conclusion : le film n’est pas une adaptation de la Bible, mais une œuvre qui s’inspire de celle-ci. D’où des modifications. Mais cette œuvre n’est pas non plus « satanique », ni antichrétienne, et peut-être pas gnostique.
Pour comprendre cela, il faut d’abord voir le contenu de ces critiques et ensuite ce qui les réfute au vu du film.
Selon ces critiques, le film ne serait qu’une fable écologique radicale, rejetant l’homme, faisant de Noé un gentil végétarien alors que les méchants seraient carnivores. Satanique, il présenterait Dieu comme cruel, injuste alors que des anges déchus, les Veilleurs, seraient bons et aideraient les hommes. Gnostique, le film montre Noé ,et son père avant lui ,bénissant leurs enfants à l’aide de la peau du Serpent d’Eden enroulé à leur bras comme les tefillin juifs. Ce geste présenterait le Serpent sous un jour positif, comme un initiateur conformément au corpus des sectes gnostiques. Antibiblique, le script du film aurait de grosses contradictions avec la Bible, comme le rôle des Veilleurs, ou encore l’absence des épouses de Cham et Japhet.
Voyons maintenant le contenu du film :
Noé raconte le début de la Genèse jusqu’à l’alliance de Dieu avec les hommes, juste après le Déluge. Par des flash-backs, nous voyons la chute d’Adam et Eve, le serpent qui rôde et qui quitte sa peau verte et lumineuse en muant, pour devenir une créature noire, sombre, aux inquiétants yeux rouges. C’est une fois devenu noir que nous le voyons ramper vers l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et qu’Eve le suit. Adam quant à lui reste derrière, ramassant la belle peau verte fluorescente. Ensuite, toujours par des flash-backs nous voyons la suite : Caïn tue Abel, Caïn et ses descendants construisent de gigantesques villes minières très sophistiquées, qui saccagent la nature, pillent les ressources naturelles et finissent par anéantir toute la création. Ces villes modernes ont été bâties avec l’aide des Veilleurs, des anges déchus qui ont désobéi à Dieu pour aider les hommes. Ils ont eu pitié d’eux, bien mal leur en a pris : ils sont restés bloqués sur Terre, enfermés dans des corps de pierre. Ces Veilleurs ont transmis aux descendants de Caïn toutes leurs connaissances de la création. Ils ont communiqué la science à ces hommes, la technique comme le travail des métaux, l’architecture, la botanique…
Les cités des Caïnites sont dominées par la méchanceté des hommes : il y règne violence, haine et aussi famine. La fin des ressources a plongé les hommes dans la misère, ils sont réduits à s’entretuer pour survivre et on croit comprendre qu’ils en sont venus au cannibalisme. Les Caïnites sont sous la domination d’un roi : Tubal-Caïn qui règne en tyran et qui ne cesse de répéter que l’homme est à l’image de Dieu, qu’il doit soumettre la création et qu’ainsi l’homme est tout-puissant et donc l’égal de Dieu… ou comment un despote corrompt et déforme la parole de Dieu à son avantage : il oublie que l’homme est limité, mortel et qu’il est le gardien de ses frères et de la création.
C’est ce monde corrompu que Dieu veut éliminer. Tout le monde ? Non, il veut sauver sa création pour lui donner un nouveau départ. Sauver les animaux, présentés dans le film comme « innocents », vivants encore comme à Eden, mais aussi Noé et sa famille qui sont justes, pacifiques et… végétariens. Ils ne descendent pas de Caïn mais de Seth.
Cohérences et incohérences bibliques
Jusqu’ici, il y a assez peu d’incohérence avec la Bible. Il y a seulement des ajouts tirés de la littérature juive dite « intertestamentaire », notamment le Livre d’Hénoch qui est un recueil de légendes. Le Livre d’Hénoch1 comprend notamment l’Apocalypse de Noé qui raconte les causes du Déluge.
Ainsi, la création de villes par Cain et les Caïnites est dans la Bible : “Caïn connut sa femme; elle conçut, et enfanta Hénoch. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoch.2” Mais la connaissance des anges déchus donnée aux hommes pour leur civilisation est dans le livre d’Hénoch3. L’un des Veilleurs figurant dans le film se nomme Samyaza et ce nom est indiqué dans le livre d’Hénoch comme celui du chef des Veilleurs. Ce livre donne le nom des principaux anges déchus et il indique le savoir que chacun a donné aux hommes : un savoir non pas magique mais purement technique comme le travail des métaux, des plantes etc.
Cette histoire ressemble au mythe de Prométhée : pour avoir donné la connaissance aux hommes, les Veilleurs sont punis. Sauf que le livre d’Hénoch les présente comme des démons qui cherchent à faire perdre les hommes et qui sont complices de leur cruauté. Rien de cela dans le film où les Veilleurs sont tombés à cause de leur compassion pour les hommes… Compassion qui ne reçue aucune gratitude car les Caïnites ont rejeté les Veilleurs après avoir fondé leur empire. Ces anges déchus rejoignent Noé, ils bâtissent l’arche pour lui et ils la protègent des attaques des autres hommes.
Cette bonne action réalisée, ils sont pardonnés par Dieu qui les rappelle auprès d’eux… Un fait qui ne figure dans aucun texte et qui est contradictoire avec la théologie juive ou chrétienne concernant les anges. D’où Darren Aronofsky tire cela ? Et ce rôle des anges déchus fait-il de ce film une œuvre satanique ? On peut légitimement être gêné par ce passage, néanmoins, ces Veilleurs ne sont pas présentés comme maléfiques et finalement ils retrouvent Dieu après lui avoir demandé pardon. Même si c’est théologiquement absurde, cela n’en fait pas une œuvre démoniaque, loin de là.
Sur le végétarisme de Noé et l’innocence des animaux, le réalisateur voit juste : au jardin d’Eden tout le monde est végétarien. Il n’existe aucune violence et la carnivorité est en soit un acte de violence. L’homme et certains animaux passent à un régime carné seulement après le Déluge, car ce fait n’est pas une conséquence immédiate de la chute d’Adam et Eve : “Dieu bénit Noé et ses fils, et leur dit: Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre. Vous serez un sujet de crainte et d’effroi pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains. Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture: je vous donne tout cela comme l’herbe verte. ((Genèse 9, 1-3))”
Ainsi, présenter la famille de Noé et les animaux comme végétariens est cohérent avec la Bible, de même que montrer les descendants de Caïn sombrant dans une folie meurtrière contre tout le créé.
Le film nous présente la famille de Noé comme étant responsable de la création et ayant un rôle de protection vis à vis d’elle. Avant même la construction de l’Arche, Noé éduque ses enfants à ne couper une fleur que si cela est nécessaire. Ce passage est cohérent avec la Genèse, car Dieu fait de l’homme le “gardien” de la Création tout en ayant le pouvoir de la travailler.
La dimension écologique du film n’est pas radicale, nous ne sommes pas dans une œuvre s’inscrivant dans la Deep ecology : un courant écologique voyant l’homme comme un ennemi à faire disparaître de la Terre. Et cela, malgré la deuxième partie du film où le comportement de Noé peut laisser croire cela.
Quand Noé veut détruire l’homme
La deuxième partie du film est sans doute la plus dérangeante. Alors que Noé a reçu, par songes, la mission de construire l’Arche, et que celle-ci est terminée, Noé est ravagé par un énorme doute : Dieu veut-il que les hommes soient sauvés ? Selon lui, l’Arche doit abriter tous les animaux, lui et sa famille. Mais deux de ses trois fils n’ont pas de femmes, et Sem est amoureux de la fille adoptive de Noé alors que celle-ci est inféconde. Avec cette famille, il est impossible que l’humanité se perpétue. Dans une telle situation, et devant les supplications de ses enfants, Noé part dans une ville chercher des femmes pour Cham et Japhet. Or ce qu’il voit le plonge dans une profonde désolation qui confinera à la folie : la ville est le théâtre des pires horreurs de la part d’hommes affamés. Violence, parents qui vendent leurs enfants pour un bout de viande, cruauté envers tous (humains et animaux). C’est une vision d’enfer et Noé a une image mentale : il voit une pluie de feu sur cette ville. Cette image mentale est-elle son imagination ou une vision venant de Dieu ? Le film ne le dit pas. Mais cette scène est importante : plus en amont, Noé dit à son grand-père Mathusalem que Dieu ne détruira pas le monde par le feu, car le feu détruit tout. Au contraire Dieu effacera tout par l’eau, car l’eau nettoie, sépare, elle purifie. Feu et eau n’ont rien à voir, or Noé voit sur cette ville un déluge de feu… ce qui indique que Dieu souhaiterait finalement la destruction totale de l’homme.
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