Le 6 avril 1994 débutait un massacre qui allait faire près de 800 000 victimes en trois mois, majoritairement des Tutsis. Après vingt ans et de multiples procès, la lumière n’est pas faite sur toutes les responsabilités du dernier génocide du XXe siècle.
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31/03/2014
Jadis le Rwanda, aujourd’hui la Centrafrique ? La question semble incontournable en ce vingtième anniversaire du génocide rwandais au cours duquel périrent, dans des conditions atroces, quelque 800 000 personnes, hommes, femmes, enfants, en grande majorité des Tutsis.
Que s’est-il passé dans ce petit pays de la région des Grands lacs réputé être la « Suisse de l’Afrique » avant la tragédie ? Qu’est-ce qui a soudain transformé des personnes paisibles en tueurs massacrant à coups de machette ou par arme à feu leurs voisins, parfois leurs amis, chez eux, au bord des routes, et les traquant partout, forêt ou marais, et jusque dans les églises ? Leur seul « crime » était d’appartenir à l’ethnie tutsie contre laquelle fut soudain lancé un appel à l’extermination, à la « solution finale », au génocide. Mais il y eut également parmi les victimes des Hutus accusés d’être complices de Tutsis parce qu’ils avaient voulu les protéger ou seulement parce qu’ils avaient refusé de prendre part aux massacres. Il fallait tuer pour ne pas être tué.
Les bourreaux étaient des gens ordinaires, certains occupant des postes de responsabilité, policiers, militaires, enseignants, mais aussi, car on aura tout vu dans cette folie collective, des prêtres, des religieux et religieuses ! C’est ce qui frappe le plus dans les procès des « génocidaires » qui ont lieu épisodiquement depuis vingt ans, au Rwanda et ailleurs.
Trois juridictions très différentes : les « gacaca », le TPIR, et les tribunaux ordinaires
1°) Les gacaca : La majorité des Rwandais jugés pour génocide ont comparu au Rwanda, devant des juridictions populaires, les « gacaca », entre 2001 et juin 2012, date de leur clôture. Il s’agit d’assemblées villageoises traditionnelles, présidées par des anciens, et chargées de régler les litiges de la vie courante, mais dont les compétences avaient été élargies au génocide, les faits s’étant souvent déroulés entre habitants d’un même village. 12200 « gacaca » ont permis le jugement de près de deux millions de prévenus dont 65% ont été condamnés à des peines diverses allant jusqu’à la mort : 22 personnes ont été exécutées au Rwanda entre 1996 et 2007, année où la peine capitale fut abolie dans le pays. Il est malheureusement notoire que certains de ces procès ont servi à régler des comptes ou à éliminer des opposants comme l’a dénoncé Human Rights Watch, ONG de défense des droits de l’homme.
2°) Le Tribunal International pour le Rwanda : Les principaux « gros bonnets » du génocide ayant trouvé refuge à l’étranger, c’est dans divers pays occidentaux qu’ils ont été arrêtés ou continuent d’être traqués. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui devrait fermer à la fin de cette année 2014, vingt ans après sa création par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, a condamné des dizaines de responsables du massacre, certains à la prison à vie, tandis que d’autres étaient acquittés. Mais son fonctionnement n’a pas été au-dessus de toute critique : on a dénoncé sa lenteur et même sa partialité, certaines personnalités rwandaises du pouvoir en place à Kigali étant manifestement intouchables…
3°) Les juridictions ordinaires : D’autres génocidaires enfin ont été jugés pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité par les juridictions ordinaires des pays où ils avaient trouvé refuge en Europe, aux Etats-Unis ou Canada…). C’est ainsi qu’en France, l’ancien capitaine de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa a été condamné le 14 mars dernier à 25 ans de réclusion pour « complicité de génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Il était jugé par la cour d’assises de Paris en raison de la règle de la « compétence universelle ». Celle-ci permet aux tribunaux français, dont la juridiction se limite en principe aux infractions commises sur le territoire national et à celles dont les auteurs ou les victimes sont français, de juger toute personne se trouvant en France quand elle est accusée d’actes réprimés par des conventions ou juridictions internationales, tel précisément le Tribunal international pour le Rwanda.
Expliquer l’impensable ?
Mais l’instruction des dossiers et les condamnations prononcées, si elles mettent en lumière cette terrible réalité de la faillite des élites, n’en donnent pas pour autant une explication satisfaisante. Pourra-t-on d’ailleurs jamais donner une explication rationnelle à l’absurdité d’une frénésie sanguinaire ?
L’histoire, néanmoins, donne des pistes. Le rôle joué par le colonisateur blanc qui avait d’abord jeté son dévolu sur les Tutsis, tenus pour une « race supérieure » au XIXe siècle et durant les trois quarts du XXe siècle, avant d’opérer un rééquilibrage brutal en faveur des Hutus, n’aura certes pas favorisé l’entente harmonieuse entre les deux ethnies. L’Eglise y a sa part de responsabilité au côté des autorités civiles. S’agissant de l’évangélisation, ne serait-on pas allé un peu vite en besogne, en baptisant « à la lance d’incendie » ou en admettant dans les ordres des candidats dont le christianisme n’était qu’un vernis ? Après tout, il a fallu un bon millénaire pour que l’Europe puisse être qualifiée de « chrétienne », les mœurs de ses habitants d’alors n’étant guère éloignées de celles des Rwandais de la fin du XXe siècle, mœurs prêtes d’ailleurs à replonger dans le pire en Europe comme ailleurs, ainsi que l’ont montré les Guerres de religion, la Révolution française ou le nazisme en Allemagne.
Les Tutsis qui ont repris le pouvoir sous la houlette du président Kagame, peinent à pardonner à la France son soutien au précédent régime dominé par les Hutus. Paul Kagame a carrément accusé la France de complicité avec les génocidaires, en particulier à travers l’opération militaro-humanitaire Turquoise qui aurait favorisé la fuite des principaux responsables au Zaïre voisin. Nicolas Sarkozy lui avait donné un début de satisfaction en reconnaissant, en 2010, « de graves erreurs d’appréciation », mais sans pour autant « faire repentance » au nom de la France comme l’au
rait voulu le président rwandais qui le recevait à Kigali. Ce fut néanmoins le premier rabibochage après que le Rwanda avait rompu les relations diplomatiques avec la France en 2006, suite à l’enquête du juge Bruguière concluant à la responsabilité initiale de Paul Kagame en personne et de son entourage dans l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président hutu Juvénal Harabyarimana. Attribué aussitôt aux Tutsis, cet attentat dans lequel périrent tous les passagers et l’équipage français, fut le déclencheur du génocide. L’enquête de la justice française avait provoqué un tollé à Kigali qui avait contre-attaqué en accusant la France de complicité avec les génocidaires, dans un rapport officiel assorti de mandats d’arrêt contre des présumés responsables français dont Alain Juppé en tant que ministre des affaires étrangères.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France, depuis 2010, ne suffit pas à qualifier d’amicaux les rapports entre les deux pays. On l’a bien vu en 2012 avec le refus de Kigali d’accréditer la nouvelle ambassadrice Hélène Le Gall, jugée trop proche d’Alain Juppé (ce qui ne l’a pas empêchée de devenir la « Madame Afrique » de François Hollande…) Reste que Kigali n’a pas intérêt à ne souffler que le froid, la France plus ou moins contrite restant le meilleur interlocuteur -et avocat- du Rwanda au sein de l’Union Européenne.
Une version manichéenne de l’histoire
Toutefois, le gouvernement français actuel aurait fort à faire pour présenter le Rwanda sous un bon jour à l’Union Européenne. Les autorités de Kigali en sont restées à une version manichéenne de l’histoire, et criminalisent en menaçant de la prison à vie ceux qui refusent la représentation unilatérale du génocide de 1994, comme l’a dénoncé récemment Caritas Suisse (communiqué du 31/10/2013). S’il a réussi à remettre en état les infrastructures du pays et même à lui donner un développement économique remarquable -encore qu’il profite surtout à l’élite-, le régime de Kagame est dictatorial. Nul dans le pays ne saurait impunément remettre en cause l’histoire officielle selon laquelle le Front patriotique rwandais (FPR) aurait mis fin au génocide des Tutsis par les Hutus sans se livrer lui-même à des exactions contre les Hutus. C’est ainsi que l’opposante rwandaise Victoire Ingabire a été condamnée à huit ans de prison en 2012. Hors du pays, le scepticisme de l’ancienne procureure suisse de la Cour internationale pour le Rwanda, Carla del Ponte, lui avait coûté son poste en 2003, sous la pression de Kigali, soutenu par Londres et Washington. Cette opacité entretenue par Kagamé et ses alliés anglo-saxons est le principal obstacle à la cicatrisation des terribles blessures du Rwanda. Seules les organisations caritatives telles que Caritas ou AED osent promouvoir la paix moins par des paroles que par des actes, sans exclure quiconque, Tutsi ou Hutu, des œuvres de charité. Elles parviennent même à réunir les ennemis mortels d’hier dans des « groupes de réconciliation » en espérant que les rapprochements qui se déroulent au grand jour finiront par pénétrer les consciences et les cœurs pour éteindre le feu qui couve encore sous la cendre.
Kibeho, le pardon et la guérison des cœurs auprès de la Vierge Marie
Le sanctuaire marial de Kibeho, aujourd’hui mondialement connu, contribue puissamment à cette réconciliation. Rappelons brièvement son histoire. La Mère de Dieu est apparue en cette bourgade du sud du Rwanda entre le 28 novembre 1981 et le 28 novembre 1989. Ces apparitions ont été reconnues le 29 juin 2001 par l’évêque de Gikongoro, Mgr Augustin Misago, ce qui fait de Kibeho un des hauts lieux mondiaux des apparitions mariales. Ici, comme à Fatima, trois voyants, ou plutôt trois voyantes, alors collégiennes : Alphonsine, Nathalie et Marie-Claire. Comme à Fatima également, la Vierge Marie a exprimé sa douleur face à l’endurcissement des cœurs et lancé un appel pressant à la conversion. Ce fut le cas en particulier le 15 août 1982 où Marie avait invité les voyants à la retrouver : avec eux, se pressait une foule d’environ 20.000 fidèles, ce qui fit de cette rencontre de l’Assomption le premier grand pèlerinage universel à Kibeho. Moins de cinq ans après la dernière apparition, hélas, le génocide illustrait la dimension tragique des avertissements de la Vierge. Depuis lors, Notre-Dame de Kibeho est devenu le lieu par excellence de la guérison des cœurs et du pardon. La dernière fête de l’Assomption (15 août 2013) a réuni 10 000 pèlerins venus de tous les diocèses du Rwanda, des pays voisins (Burundi, République démocratique du Congo, Ouganda) mais aussi de France, de Pologne et des Etats-Unis.
Article publié en partenariat avec la revue de l’AED, L’Eglise dans le monde.