Il y a 80 ans était organisée l’extermination par la faim (« holodomor ») de la population ukrainienne par le régime soviétique. Un génocide encore trop méconnu.
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29/11/2013
« Difficile d'imaginer comment un enfant pouvait continuer à vivre, sans devenir fou, après avoir vu cela. Sur le chemin de l'école, ici un mort, plus loin un autre, encore plus loin un autre ». C'est le souvenir brutal de Tatiana Tarasenko, l'une des survivantes de l'Holocauste ukrainien, connu sous le nom d’Holodomor («extermination par la faim »). Cette famine artificielle, provoquée en Ukraine, dans les années 1932-1933, par le régime soviétique de Staline, a fait plusieurs millions de victimes, morts de faim.
L’Ukraine, aujourd’hui, est connue pour son potentiel agricole, dû à ses “terres noires” incroyablement fertiles, une des plus grandes zones cultivables au monde. La question se pose alors: comment le « grenier de l’Europe », comme on l’appelait, a-t-il pu en arriver à cette gigantesque famine qui a décimé entre deux et dix millions de personnes et que différents organismes internationaux, notamment le Parlement européen, ont qualifié en 2008 de “génocide contre l’humanité”?
Résistance populaire
Nous sommes en 1917. Le triomphe de la Révolution russe a gagné peu à peu les pays voisins et donc aussi l’Ukraine, pour s'imposer comme l'une des républiques qui a constitué l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). A la mort de Lénine en 1924, Joseph Staline s’approprie le Parti communiste et élimine ses opposants, mettant en œuvre des directives uniques dans tous les domaines, pour tous les pays composant l'URSS.
En 1929, Staline impose la collectivisation totale de l’agriculture, provoquant çà et là des mouvements antisoviétiques, notamment en Ukraine, dont le sentiment nationaliste fort constituait un obstacle pour ses intérêts expansionnistes. Il envoie l'Armée Rouge pour soutenir le gouvernement ukrainien et étouffer les nombreuses révoltes organisées par une grande partie du peuple (la résistance gagnant trois millions de personnes). Les militaires, aidés par la police secrète, atteignent leur objectif: ils laminent l'insurrection, après quoi seront déportés et exécutés des milliers d'intellectuels, ecclésiastiques, hommes d'affaires, professionnels divers et paysans. Ces derniers vont nourrir principalement les forces rebelles.
La grande famine: l’ “Holodomor”
En 1930, ordre est donné que la collectivisation des terres se fasse en deux ans. Toute personne qui s'oppose est dénoncée et déportée. Par la voie “soft” de l’augmentation des impôts, payables en céréales, on oblige les paysans révoltés à se regrouper dans les fermes collectives, où les impôts sont trois fois moins élevés.
A partir de 1931, en raison de l'échec de la politique soviétique et des conditions météorologiques, la nourriture commence à manquer dans plusieurs régions de l'Union soviétique, notamment l'Ukraine. On reproche aux paysans de ce pays le manque de pain et le strict rationnement de la nourriture dans les centres urbains. Dans le même temps, les marchés occidentaux étaient bondés de blé ukrainien confisqué aux producteurs par le régime soviétique. Selon un paysan de l’époque: « Les Russes allaient de maison en maison en emportant toute la nourriture qu'ils pouvaient. Ils commençaient par les céréales, la farine, les betteraves sucrières, les pommes de terre ou les haricots que les gens emmagasinaient dans leurs maisons ou leurs caves. Mais, méfiants, ils contrôlaient tout, creusaient dans le sol, fouillaient dans les murs et les fours, les détruisant souvent. Ils emportaient tout ce qui était comestible”.
Pensant que la leçon ne suffisait pas pour faire plier l’esprit national ukrainien, en 1932 Staline promulgue la loi sur le "vol et le gaspillage des biens publics", connue comme la "Loi des cinq épis", en vertu de laquelle seront condamnés à mort plus de 100.000 personnes. Le tourbillon de la violence ne s'arrête pas là, car en novembre et décembre seront arrêtées 27.000 personnes tandis qu’une augmentation des quotas de production est ordonnée, avec pour résultat que les greniers ukrainiens sont vidés. Dans le même temps, on vendait la récolte de blé de 1933 en-deçà du prix du marché pour l’épuiser.
Tout faisait partie du plan de Staline pour briser l’orgueil de résistance des Ukrainiens, qui a entraîné l’extermination par la faim de deux à dix millions d'êtres humains, de tous âges, sexes et religions. Un génocide que l’on tournait en dérision, machiavéliquement tous les jours avec des affiches dans tout le pays du genre : “Manger des enfants morts est de la sauvagerie " et où le châtiment pour vol allait de la mort aux travaux forcés dans un Goulag (ce qui revenait souvent au même).
On estime à 25.000 personnes par jour le nombre de personnes qui mouraient de faim, tandis que l'aide envoyée par les émigrés ukrainiens dans différentes parties du monde était confisquée par les autorités. Tel a été l’ Holodomor (“extermination par la faim”), un des plus grands génocides du XXe siècle, qui n’a pas trouvé suffisamment d’écho dans l'opinion publique mondiale (alors que le génocide arménien par les Turcs et celui des Juifs par les nazis ont fini par être universellement connu).
Les collaborateurs de l'oubli
A l’oubli volontaire de ce crime contre l'humanité, ont collaboré des socialistes illustres comme Bernard Shaw, Sidney et Beatrice Webb, et le Premier ministre français Edouard Herriot qui, lors d'une tournée en Ukraine de 1932 à 1933, ont proclamé que les rapports sur la famine étaient faux. Shaw affirmera : “Je n’ai pas vu une seule personne affamée en Russie.” Selon le correspondant du New York Times, Walter Duranty, les rapports sur la famine n’étaient qu’une «propagande malveillante ».
Par ailleurs, aucun des meurtriers soviétiques qui ont commis le génocide n’a été jugé…
En 2010, un journaliste ukrainien a nié le génocide, mais pas la mort de masse de civils, de sorte qu'il a été jugé dans son pays, et acquitté en vertu du droit à la liberté d'opinion.
L’attitude de la communauté internationale
Le concept de «génocide» a été introduit dans le droit international par une Résolution de l'ONU du 11 Décembre 1946, qui stipule: « Conformément aux règles du droit international, le génocide est un crime qui est condamné par la monde civilisé et les principales personnes ayant commis ce crime seront punis ».
En novembre 1989, la Commission J.Sandberg, sous les auspices du Congrès américain, a publié son verdict. Les causes profondes de la faim en Ukraine ont été la surrécolte des céréales, précédée par la collectivisation forcée et la volonté du gouvernement central de combattre le traditionnel «nationalisme ukrainien ».
En 2008, le Parlement européen a qualifié de génocide et de crime contre l'humanité le massacre survenu en Ukraine ces années-là.
Selon le scientifique américain James Mace: "La collectivisation forcée a été une tragédie pour toute la paysannerie soviétique, mais en particulier pour les Ukrainiens. Compte tenu de l’élimination quasi totale des élites urbaines, la collectivisation a représenté leur anéantissement en tant qu’organisme social et facteur politique, les reléguant à une situation que les Allemands appelaient naturfolk («des gens primitifs) ».
L'Eglise du silence
La progression contre toute manifestation de l'identité ukrainienne a pris diverses formes. D'une part, la persécution massive et sanglante de l'Eglise orthodoxe dans le pays s’est déchaînée. Cette persécution s’est traduite par l'élimination physique de l'ensemble de la hiérarchie et de presque la totalité du clergé, la destruction de 80% des églises, de la plupart des joyaux de l’art médiéval et baroque.
A partir de 1939, la persécution communiste est devenue beaucoup plus sanglante encore. En 1946, une parodie de synode a dévasté l'Église catholique ukrainienne avec la suppression des évêques et des prêtres. Dès lors et jusqu’en 1956, religieux et laïcs ont été contraints de renoncer à leur foi. Les églises ont été fermées et avec elles, les écoles et autres institutions. Les religieux ont été jetés en prison ou envoyés dans des camps de concentration en Sibérie et ailleurs. Parmi eux se trouvait le cardinal Josyf Slipyj, qui a passé 18 ans prisonnier dans un camp de concentration en Sibérie, où il a subi toutes sortes de tortures. A sa mort, le 7 septembre de 1984, le peuple ukrainien l’a reconnu comme son grand héros national.
Artice traduit par Elisabeth de Lavigne