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Quand Mgr André Vingt-Trois revisite la parabole du semeur

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Joël Sprung - publié le 17/04/13
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La nouvelle évangélisation, thème du dernier discours de Mgr André Vingt-Trois comme président de la CEF.
Mardi 16 avril, le cardinal André Vingt-Trois faisait son dernier discours en tant que président de la conférence des évêques de France. Il l’a résolument centré sur la nouvelle évangélisation, comme actualisation des semailles de la parole de Dieu. Si dans la parabole du semeur, Jésus nous a enseigné quels sont les quatre types de « terrains » dans lesquels nous pouvons recevoir les graines de la parole de Dieu, le cardinal André Vingt-Trois a, lui aussi et à sa façon, évoqué les rapports différents à la foi chrétienne, auxquels nous pouvions être confrontés, et comment bien sûr les féconder malgré tout.

Le premier degré que le cardinal André Vingt-Trois a évoqué, sans toutefois s’y attarder longuement, concerne les réactions au nouveau pontificat, et ce qui a caractérisé en particulier l’engouement médiatique pour le nouveau Pape : la superficialité. « Les congrégations générales et le conclave ont abouti à l'élection du pape François dans la liesse médiatique que nous avons constatée. Nous savons combien cet engouement risque d'être éphémère quand il ne s'attache qu'aux signes les plus superficiels ». Ce n’est pas là sans rappeler « celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux ». Jésus nous enseigne en effet que « c'est l'homme qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n'a pas de racines en lui, il est l'homme d'un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il tombe aussitôt » (Mt 13, 20-21). La superficialité, en effet, n’a pas manqué dans les réactions, par exemple, sur l’apparat vestimentaire du Pape : que l’on s’en réjouisse, comme dans la parabole, ou au contraire, chez les intégristes notamment, que l’on condamne déjà le nouveau pontificat au motif d’une dégradation de l’image sacrée du souverain pontife. S’arrêtant sur la joie, Mgr André Vingt-Trois ajoute avec humour que « durable ou pas, la bienveillance ne fait jamais de mal ». Mais surtout il en tire l’enseignement que « l'accueil très favorable réservé à l'élection du pape François témoigne d'une attente réelle de nos contemporains ». Et en effet, nous n’avons pas à moquer ou à nous réjouir d’une expression superficielle de la foi, mais à y saisir au vol l’attente, l’espérance qu’elle révèle, pour l’ensemencer.

Le second terrain, qui est en réalité le premier de la parabole de Jésus, le cardinal André Vingt-Trois l’a repris justement au Pape François : les périphéries du monde. Mais il invite, à la suite du Pape, à ne pas considérer ce « bord du chemin » avec mépris.  Au contraire, même. La parabole nous dit : « Quand l'homme entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s'empare de ce qui est semé dans son coeur : cet homme, c'est le terrain ensemencé au bord du chemin » (Mt 13, 19).

Et le cardinal Vingt-Trois précise que les périphéries du monde évoquées par le Pape François concernent aussi les dérapages existentiels qu’entraine la perte d’espérance dans nos sociétés : « L'insistance du pape pour appeler l'Église à se porter à la périphérie de notre monde est sans doute beaucoup plus riche de sens que ne le laisserait supposer une écoute rapide. […] il parle aussi beaucoup des périphéries existentielles qui ne visent pas seulement la marginalité sociale, mais aussi les drames intérieurs de la liberté humaine et le désespoir qui résultent d'un monde qui prodigue des jugements sévères sans annoncer l'espérance de la miséricorde ». Ce bord du chemin de l’évangile, où l’on n’entend plus et ne comprend plus la parole de Dieu, a pris dans notre monde une épaisseur inédite. Le cardinal ajoute : « Ne voyons-nous pas que, sous les apparences d'un libéralisme moral ou, pour mieux dire, d'un libertarisme moral, nos sociétés secrètent une avidité pour dénoncer les coupables qui ne se soumettent pas à la loi commune ? La nouvelle évangélisation, engagée depuis plus de vingt ans, doit se développer en intégrant cet objectif prioritaire d'annoncer une espérance à ceux que la vie afflige ». Annoncer, évangéliser, jusque dans les périphéries de notre monde, c’est ce à quoi nous engage la réalité de ce « bord du chemin » de l’évangile. Et c’est un incontournable, une urgence même. Car, comme le précise peu après Mgr André Vingt-Trois : « l'espérance chrétienne est de moins en moins reconnue comme une référence commune et, comme toujours, ce sont les plus petits qui en font les frais ».

Le troisième concerne, comme les ronces de la parabole, un rapport plus idéologique à la foi, une religion des « valeurs ». Loin d’accuser, là encore, l’homme qui se laisserait étouffer par « les soucis du monde et les richesses » et donc qui ne porterait pas de fruit (Mt 13, 22),  Le cardinal  Vingt-Trois s’est longuement attardé sur les « ronces » qui envahissent de plus en plus notre société, en particulier celle de l’indifférenciation sociale, religieuse, sexuelle… Il s’agit bien d’une menace d’étouffement, et qui n’est pas sans danger : « C'est ainsi que se prépare une société de violence. Ce que nous voyons déjà dans le fait que l'impuissance à accepter un certain nombre de différences dans la vie sociale, aboutit à la cristallisation de revendications catégorielles de petits groupes, ou de sous-ensembles identitaires, qui pensent ne pouvoir se faire reconnaître que par la violence. Notre société a perdu sa capacité d'intégration et surtout sa capacité d'homogénéiser des différences dans un projet commun ». Mgr Vingt-Trois évoque aussi les tentatives de limiter la liberté religieuse, et les risques de replis communautaires. Dans ce sac de ronces de plus en plus dense, il a ces mots très forts : « Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu'elles défendent notre vision de l'homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s'accommode plus d'un vague conformisme social. Elle relève d'un choix délibéré qui nous marque dans notre différence ». Sortir des ronces, percer vers le ciel, c’est plus que jamais poser un acte de volonté libre, délivré du conformisme social. Et pour ce qui est de la semence, de la nouvelle évangélisation, nous sommes appelés à prendre le risque de la liberté du Christ, celle qui conduit à la croix. Mgr Vingt-Trois précise : « Pour vivre dans notre différence sans nous laisser tromper et tenter par les protections trompeuses d'une organisation en ghetto ou en contre-culture, nous sommes appelés à approfondir notre enracinement dans le Christ et les conséquences qui en découlent pour chacune de nos existences ».

La semence doit s’enraciner plus profondément dans le Christ pour pouvoir germer hors des ronces, dégagé de l’étouffement du monde et ne pas simplement lutter sur le registre des valeurs, épines contre épines. La nouvelle évangélisation n’est pas qu’un corpus de valeurs, mais elle est la semence vivante du royaume de Dieu. Mgr Dagens avait dit un jour : une religion de valeurs est déjà morte. Le cardinal Vingt-Trois, à sa suite, nous invite à cet enracinement profond duquel découle une vie chrétienne cohérente, solide et vraiment libre : « Ce ne sont ni les théories ni les philosophes qui peuvent convaincre de la justesse de notre position. C'est l'exemple vécu que nous donnons qui sera l'attestation du bien-fondé des principes. […] La pointe du combat que nous avons à mener n'est pas une lutte idéologique ou politique. Elle est une conversion permanente pour que nos pratiques soient conformes à ce que nous disons ».

Enfin, le cardinal Vingt-Trois nous esquisse la terre promise, comme l’horizon du dépassement des trois terrains précédents : se laisse évangéliser soi-même. Jésus nous dit : « Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c'est l'homme qui entend la Parole et la comprend ; il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un ».  Et le cardinal Vingt-Trois, à sa façon, de dire : « Il s'agit de nous laisser nous-mêmes évangéliser par la bonne nouvelle dont nous sommes les témoins. Alors, l'écart qui doit apparaître entre notre manière de vivre et les conformismes de la société ne pourra pas être perçu comme un jugement pharisien, mais comme un espace d'appel et comme une espérance ». Et citant le premier Pape : « Ayez une belle conduite parmi les païens, afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, ils soient éclairés par vos bonnes œuvres et glorifient Dieu au jour de sa venue » (1P 2, 12). Toute la fécondité de l’évangile est là, quand elle s’incarne dans la vie de chrétiens qui se laissent convertir quotidiennement par la Parole de Dieu, qui la fréquentent régulièrement dans les textes, dans la prière et dans les sacrements, et qui en fait en définitif sa règle de vie et son pain quotidien.

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