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Inde : dernier Noël avant le schisme ?

KOBIETY W INDIACH

Sumit Saraswat | Shutterstock

Jean-Baptiste Noé - publié le 21/12/23

Un schisme d’importance menace l’Église syro-malabare d’Inde. Près de 400 prêtres pourraient être exclus de l’Église, explique le géopoliticien Jean-Baptiste Noé, à la suite d’une querelle liturgique qui plonge ses origines dans l’histoire de l’évangélisation en Inde.

À Noël, l’Église en Inde pourrait revêtir une robe de tristesse. Dans le nord du Kerala, le diocèse de Ernakulam-Angamaly, qui regroupe près de 650.000 fidèles, est sous la menace d’un schisme qui verrait le départ de 400 prêtres. En dépit des interventions du pape dans un message vidéo envoyé le 7 décembre, et d’une conciliation tentée depuis 1999, la rupture, qui tire son origine de querelles liturgiques ancienne, semble inéluctable. 

Une Église antique

Dès le Ier siècle, des missionnaires chrétiens implantèrent le christianisme en Inde. Parmi eux, l’apôtre saint Thomas, d’où le fait que cette église soit souvent nommée « église de saint Thomas ». Les chrétiens reprirent les routes empruntées par Alexandre le Grand et les marchands grecs qui commerçaient avec les territoires indiens depuis plusieurs siècles. La communauté chrétienne se développa dans le sud-ouest de l’Inde, actuel État du Kerala. Étant fondée par des chrétiens orientaux, elle fut placée sous la juridiction d’Antioche et adopta donc le rite syriaque, faisant d’elle une église orientale. Avec les invasions arabes et la rupture des communications provoquée par l’émergence de l’islam, les chrétiens de saint Thomas furent coupés des chrétiens d’Europe, avant d’être redécouverts au XVIesiècle par les explorateurs portugais.  

Nommée syro-malabare, en référence aux origines syriaques et à la situation géographique sur la côte de Malabar, cette Église en Inde témoigne, dans son nom, de son histoire complexe et de son écartèlement géographique. Cette redécouverte signe à la fois le rattachement de l’Église syro-malabare au monde chrétien, après près d’un millénaire d’isolement, et le début de problèmes liturgiques dont le schisme d’aujourd’hui est le dénouement terrible.

Après Vatican II, il fut décidé de remettre en avant l’aspect oriental de la liturgie, afin que les églises syro-malabares puissent servir de pont avec les églises orientales coupées de Rome.

Les Portugais veulent en effet latiniser la liturgie pour la rattacher à Rome, ce qui se fait non sans mal et sans rupture. Les anciens livres liturgiques sont détruits et la liturgie romaine est imposée, ce qui provoque des premiers schismes parmi ceux qui veulent conserver leur rite antique. Dans les années 1930, c’est un mouvement inverse qui s’exerce, dans l’esprit du renouveau liturgique initié en Europe. Il s’agit alors de retrouver les racines orientales du rite malabar et de modifier la liturgie en vigueur, parfaitement latine, pour lui redonner sa patine syriaque. Une nouvelle liturgie est ainsi approuvée par Pie XII en 1957. Après Vatican II, il fut décidé de remettre en avant l’aspect oriental de la liturgie, afin que les églises syro-malabares puissent servir de pont avec les églises orientales coupées de Rome. Des dissensions apparurent entre ceux qui voulaient une liturgie orientale et ceux qui voulaient conserver une liturgie latine. Jean Paul II demanda aux évêques indiens de se réunir en synode et de trancher le débat, ce qui fut fait en 1999. La question porte notamment sur le fait de savoir si certaines parties de la messe doivent être célébrées face à l’assemblée ou non. L’unification adoptée en 1999 devait s’exercer de façon progressive et être totalement appliquée à partir de 2021, ce que refusèrent des prêtres du Ernakulam-Angamaly qui veulent continuer à célébrer au moment de l’offertoire face à l’assemblée et non pas dos à elle. 

Querelles liturgiques

Cette querelle liturgique a quelque chose de dérisoire. Dans le rite latin, il est possible de célébrer l’offertoire face à l’assemblée ou dos à elle, ce qui dépend aussi de la configuration des lieux. Dans le Kerala, cette pratique est fixée en norme comme conséquence de la tradition et de l’histoire liturgique de cette région et elle pourrait bien aboutir au schisme de plusieurs centaines de prêtres, et au-delà à une rupture profonde de l’Église indienne avec Rome et le reste de la chrétienté.  Compte-tenu de la diaspora indienne à travers le monde, et notamment aux États-Unis, le problème du schisme dépasse le strict cadre de l’Inde. 

L’Église syro-malabare a en effet gagné en autonomie au cours des trois dernières décennies. En 1993, elle était élevée au rang d’Église archiépiscopale majeure, ce qui lui permet d’être dirigée par un archevêque majeur, métropolite d’Ernakulam, le cœur de la région où les querelles s’embrasent. En 2001, la diaspora indienne présente aux États-Unis voyait l’érection à Chicago de l’éparchie Saint-Thomas-l’Apôtre, qui suit elle la liturgie définie en 1999. En 2011, l’Église syro-malabare avait obtenu de pouvoir nommer son archevêque majeur, alors que celui-ci était jusqu’à présent nommé par Rome. Ce fut Mgr George Alencherry qui fut élu, puis créé cardinal par Benoît XVI en 2012. Après avoir été confirmé par François, il vient de démissionner face à son impossibilité de trouver une solution à la querelle liturgique. 

Une Église sans tête

Les syro-malabars se retrouvent donc sans tête à leur direction, écartelés entre les fidèles en Inde et ceux des États-Unis et sous la menace d’une rupture dont on voit mal comment elle pourrait se résorber. Dans son message vidéo du 7 décembre dernier, le Pape a eu des mots très forts : “Ne continuez pas à blesser le corps du Christ. Ne vous en séparez plus. Et même s’il y a eu des torts contre vous, pardonnez-les généreusement. Que l’Eucharistie soit le modèle de votre unité. Ne brisez pas le Corps du Christ qu’est l’Église, de peur de manger et de boire votre condamnation.” Reste à voir si cette supplique sera entendue afin que le Noël 2023 ne soit pas le dernier passé en pleine communion avec Rome.

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