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Singulière histoire, typiquement bretonne, que celle de Jean le déchaux, saint authentique aux yeux de l’Église, qui demeure l’une des plus jolies figures catholiques de Cornouaille. Il naît en 1280, les uns disent dans le diocèse de Rennes, d’autres dans la paroisse de Saint-Vougay en Léon, et sans doute ont-ils raison car Yann est bretonnant. Sa famille, dont on a oublié le patronyme, mais à l’époque, ils ne sont pas fixés, est à l’abri du besoin sans être riche. Cela n’empêche pas le malheur. Le garçon et son frère entrent à peine dans l’adolescence qu’ils se retrouvent orphelins, et démunis puisque seul le travail du père assurait le pain quotidien. Un cousin qui tient atelier de maçonnerie et menuiserie, fortuné car l’on construit beaucoup en Bretagne où l’économie est alors florissante, recueille les gamins, moins par charité que parce qu’il voit là l’occasion de se procurer deux apprentis, et futurs employés, à bas coût.
Les deux frères apprennent le métier, serviables et corvéables, chose ordinaire, mais ne sont pas heureux. Non de la rudesse de leur existence, c’est le sort commun, mais du cœur sec de leur parent et de son amour de l’argent qui le conduit à gonfler les factures tout comme à refuser l’aumône aux mendiants. Pieux et charitables, Yann et son frère souffrent de cet état de choses. Tous deux nourrissent un rêve secret : le sacerdoce. Ils ont reçu jadis de l’éducation et, un matin, ils ont 20 ans et sont donc des hommes faits, ils donnent congé à leur avaricieux cousin et s’en vont vers Rennes s’y inscrire à la faculté de théologie. Il faut qu’ils fassent bonne impression car l’évêque les reçoit et, pour leur assurer de quoi vivre tout en étudiant, les met au nombre de ses "familiers", statut qui, échange de services rendus à l’hôtel épiscopal et à la curie diocésaine, leur permet d’arriver à la prêtrise. Yann reçoit les saints ordres le 19 mai 1303, jour où, à Tréguier, Erwan Hélory de Saint-Martin, le grand Monsieur saint Yves, s’envole vers le paradis. Yann n’ose rêver de le suivre vers la sainteté d’autant qu’à son vif embarras, l’évêque, qui l’a pris en affection et constaté ses capacités, le nomme d’emblée à l’une des cures les plus enviées de Rennes, celle de Saint-Grégoire, qui donne à son titulaire rang et bénéfices de chanoine.
Tertiaire franciscain pour se garder des tentations
Yann en est si embarrassé, si inquiet que, pour se prémunir de l’ambition et des calculs trop terrestres, il se fait recevoir comme tertiaire franciscain, convaincu que saint François le gardera des tentations. Prenant la règle des frères mineurs comme s’il était entré dans l’ordre, il en suit scrupuleusement les abstinences et pénitences, ce qui est à l’opposé de la vie de chanoine, à l’édification du bon peuple rennais. Ce n’est pas encore assez ; Yann s’impose chaque jour de nouvelles privations alimentaires, ne mangeant jamais de viande, ne buvant jamais de vin, faisant huit carêmes par an. Enfin, l’idée lui vient de renoncer à ses bons brodequins, si utiles sous la pluie bretonne et dans les frimas des "mois noirs", pour aller désormais pieds nus. Il ne remettra plus de souliers. Ses confrères le surnomment "discalceat", le déchaussé en latin, qui deviendra divotou en breton, va nu-pieds.
Ces fantaisies finissent-elles par déranger le clergé qui craint ce donneur de leçons indirectes ou Yann a-t-il envie d’une autre vie ?
Ces fantaisies finissent-elles par déranger le clergé qui craint ce donneur de leçons indirectes ou Yann a-t-il envie d’une autre vie ? En 1316, il résilie ses fonctions en faveur de son frère, prêtre lui aussi puis entre chez les Cordeliers, l’une des branches franciscaines. L’évêque de Rennes le laisse partir à regret et le déchaux entre comme simple novice au couvent de Quimper où sa pratique du breton est appréciée. Les rigueurs conventuelles lui semblent faibles ; on lui permet de continuer les siennes, et rajouter maints offices et prières, sans parler des pénitences corporelles dont il change souvent car il lui semble qu’il s’y habitue trop vite et n’en souffre plus. Les tentations démoniaques l’assaillent, effrayantes : il redouble de jeûnes et mortifications, se laisse dévorer par la vermine, ce qui lui coûte affreusement, mais obtenant que ses puces et poux n’aillent jamais voir chez ses frères ni chez ses ouailles.
Yann prédit tout et ne peut rien empêcher
Très vite, des charismes de guérison lui sont attribués, et un don de prophétie particulier : Yann voit l’avenir, mais uniquement les désastres et catastrophes. Il en avertit en vain car Dieu ne lui permet pas d’éviter ces drames. Et, avec le début de la guerre de succession de Bretagne, ils vont se multiplier… Siège de Quimper en 1344, famines, dévastations de soudards, épidémies, défaites … Yann prédit tout et ne peut rien empêcher, ni même abréger. Quand la grande peste, qui tue le tiers de la population européenne, s’abat sur Quimper, frère Jean ne bronche pas. Pendant cinq mois, ce religieux septuagénaire, un vieillard donc, se dévoue au chevet des malades que tous abandonnent. On commence à le croire invulnérable quand, début décembre 1349, il contracte le mal, et en meurt, le 14 décembre, unanimement tenu pour un saint. D’ailleurs, les miracles se multiplient sur sa tombe au couvent des Cordeliers. Trois siècles plus tard, le bref d’Urbain VIII sur les procédures de canonisation ne change rien puisque le pape prévoit que tout culte local vieux de plus d’un siècle, "immémorial", est maintenu et celui qu’il honore toujours regardé comme saint. Les Quimpérois n’en doutent pas.
En 1771, une réforme supprime les Cordeliers qui se confondent avec les Conventuels. Ceux-ci sont en noir, non en gris. Quelqu’un a l’idée saugrenue de mettre saint Jean Discalceat à l’heure de la réforme et l’on repeint sa statue en noir ! Il y gagne un nouveau surnom : ar santig du, le petit saint noir. Statue et reliques sont transférées à la cathédrale lors de la fermeture du couvent pendant la Révolution, puis, au début de la Terreur, sauvées par la piété des Quimpérois qui les cachent. Elles regagneront la cathédrale en 1803 tandis que reprend la charitable coutume de déposer du pain sur sa tombe à l’intention des pauvres. L’ordre franciscain a voulu faire reconnaître dans les formes la sainteté, incontestable, de Yann. Le dossier dort à Rome depuis des décennies, et l’on n’ose plus, de ce fait, oubliant le décret d’Urbain VIII, parler encore de saint Jean le déchaussé. Dommage !