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La tyrannie de la rumeur

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Michel Cool - publié le 23/09/24
De retour de vacances, notre chroniqueur Michel Cool raconte comment il a été happé par le monde de la rumeur numérique et médiatique. Comment résister à cette dérive de l’information qui transforme la réalité en divertissement ?

Je suis frappé d’indigestion ! Pas étonnant, me direz-vous. Vous rentrez de vacances en Italie. Vous avez abusé de charcuterie, de fromages et de bons plats de pâtes en sauce ! C’est vrai, vous avez raison, mon foie a un peu "morflé" durant cette exquise décade passée dans les monts du Bolognais. La gourmandise est le moins grave des sept péchés capitaux, se dit-on pour se rassurer. Peut-être, mais sa rémission est chronophage et pénible. Pourtant cette migraineuse impression d’inconfort qui me tarabuste n’est pas seulement la rançon de mes incartades gastronomiques. 

Cette addiction numérique

Je me suis rendu compte durant ces vacances quel mal de chien j’avais eu pour me déconnecter de toutes mes prothèses cellulaires : téléphone portable, ordinateur, réseaux sociaux, etc. Même les plus beaux paysages de l’Émilie-Romagne ne souffraient pas la concurrence des alertes de mon smartphone qui me servait de compteur kilométrique pendant mes marches en moyenne montagne. Honte à moi qui aspirait à retrouver sur les hauteurs des Apennins, la plénitude du silence intérieur ! Bref, l’intoxication alimentaire au fond la plus contrariante pour moi, ce n’est pas l’excès de mortadelle ou de crescentini, mais cette addiction numérique, ce mal du siècle, cette "dinguerie" qui nous rend malades et serviles.

Quand mon avion a atterri à Paris, j’ai aussitôt été happé, comme par une bouffée de kérosène, par la rumeur générale, permanente et insistante, épiloguant sans fin sur la composition besogneuse du nouveau gouvernement français. Les notifications crépitaient comme du bois vert sur mon écran tactile. On aurait dit un feu de Bengale s’éclatant au creux de ma main. Les messages étaient manifestement à la fête ! Au rythme en effet où se succédaient les annonces et les désannonces des personnalités ministrables, j’avais l’impression d’assister à une partie de tombola ou à un spectacle de magie. Les commentaires que je lisais ou j’entendais sur mon téléphone me rappelaient les discussions entre parieurs PMU quand, enfant, à l’heure de l’apéro dominical, j’allais chercher un paquet de cigarettes pour mon père au bar-tabac d’à-côté. 

Le monde de la rumeur

Cette ambiance de café du commerce, reflétée par la chanson sexagénaire d’Enrico Macias, Les Millionnaires du dimanche, s’est refaite une nouvelle vie sur nos plateaux de chaînes télé tout-info. Pour aguicher l’usager et encaisser toujours plus d’audimat et de publicité, elles jouent frénétiquement la carte du divertissement, de la dérision et de la provocation. Cette déviation de l’information vers la distraction n’est pas la moindre dérive dénoncée par Bruno Patino, le président des États généraux de l’information (EGI). Les premiers à faire les frais de ce rapt de l’information par le divertissement, ce sont les citoyens qu’on traite rien de moins que comme des consommateurs accros d’images non-stop.

Comment résister à cette dérive de l’information qui abreuve nos sillons jusqu’à les faire déborder ? En fermant régulièrement les robinets de ce flux torrentiel d’images et de commentaires. Un geste apparemment tout simple, mais pas si facile à accomplir. Car quels que soient nos motifs de détermination, nous sommes — que nous le voulions on non — parties prenantes et interdépendants de ce buzz informationnel continue qui nous enveloppe et nous enferme même. Max Picard, un médecin, poète et philosophe suisse de langue allemande, avait mis en garde dès 1948, avec une vision très prophétique, contre ce phénomène qu’il appelait le "monde de la rumeur" : 

Dans cette rumeur, écrivait cet ami d’Emmanuel Lévinas, on peut tout dire : une chose n’y est-elle pas supprimée par une autre ? Tout y est supprimé avant que d’avoir été prononcé ; on peut y dire les choses les plus bêtes et les plus sensées, elles s’y compensent ; seul compte le ton général de la rumeur et peu importe que ce ton vienne du bon sens ou de la bêtise, du mal ou du bien. C’est là l’équipement de l’irresponsabilité (Le Monde du silence, éditions La Baconnière.

La fontaine de la liberté intérieure

L’auteur compare encore cette rumeur contemporaine qu’entretient continuellement la sphère médiatique omniprésente à "un grouillement d’insectes d’où vient un bourdonnement qui recouvre tout et nivelle tout" ! La métaphore est effrayante. Le diagnostic n’est pas moins sévère et affolant. Aussi pour échapper à ce grouillement, à ce bourdonnement, à cette tyrannie de la rumeur, on mesure combien il faut puiser de force en soi pour fermer le robinet de ce tout-info en folie et aller reboire à la fontaine de sa liberté intérieure. Cet endroit discret et personnel, d’où nous avons trop tendance à nous égarer, car ce monde nous fait souvent perdre la clé de notre intériorité, est pourtant le havre qui nous est nécessaire pour échapper à la pénombre et à la confusion que charrient les canaux envahissants de la rumeur.

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