Maurille, devenu évêque d’Angers en 423, est l’archétype de ce que l’on appellera la réforme martinienne, cette reprise en main, sous la direction de saint Martin de Tours, d’un clergé et d’un épiscopat gallo-romains installés dans le confort d’une vie de hauts fonctionnaires au détriment de l’évangile et de leurs devoirs de pasteurs. Pour christianiser la Gaule, il faut des saints, tout donnés à Dieu et à leur mission, dédaigneux des avantages mondains car formés à la rude école monastique que l’archevêque de Tours a installée à Marmoutier, séjour qu’il préfère à sa résidence épiscopale. Il y forme des religieux à son image qui fourniront une pleine génération de saints évêques. Maurille est l’un d’eux. Si sa biographie, telle qu’elle nous a été transmise et longtemps admise, est à prendre avec précaution, certains éléments en sont fiables.
L’audace missionnaire
Maurille est né en 363 à Milan, dans une famille de l’aristocratie restée catholique malgré la contre-réaction païenne de l’époque et l’expansion de l’hérésie arienne, négatrice de la divinité du Christ, très bien implantée à Milan, capitale de l’empire d’Occident. Il se peut que Martin, chassé de Poitiers après l’exil de saint Hilaire, ait rencontré les parents de Maurille lors des séjours qu’il fit à Milan à peu près à l’époque de la naissance de leur fils. Il est possible qu’ils soient restés en relation car les liens de Martin avec l’évêque Ambroise et ses proches sont demeurés solides. Assez pour que Maurille, adolescent, abandonne sa Cisalpine pour et se rende à Tours se placer sous la tutelle de Martin, dont la sainteté est unanimement reconnue mais qui est aussi l’une des personnalités politiques et religieuses occidentales les plus influentes.
Toujours fidèle à l’esprit de Martin, il sait que ses tâches épiscopales porteront du fruit s’il sait se ressourcer dans la prière et la solitude.
Sans doute après la mort de Martin, en 396, Maurille quitte Marmoutier et part, comme le faisait son maître, porter l’évangile dans ces campagnes de l’ouest encore fermées au christianisme. Comme Martin, confiant en la puissance divine, il ne craint pas de provoquer la colère des dieux païens en s’attaquant à leurs sanctuaires, tel le temple de Calonna, l’actuelle Chalonnes dans le Maine-et-Loire, sur lequel il appelle la foudre, qui tombe et incendie le bâtiment. Celui-ci, reconstruit, sera placé sous la protection de Notre-Dame. Peu à peu, l’audace du missionnaire paie, et le futur Anjou embrasse le catholicisme. Devant ce succès, Maurille est appelé à l’épiscopat et s’installe à Angers où il bâtit la cathédrale Saint-Maurice, car elle accueille des reliques du tribun martyr de la Légion thébaine, offertes par Martin qui les avaient obtenues à Agaune en Suisse où reposent ces soldats chrétiens. Joli renversement quand on pense qu’autrefois, le clergé d’Angers a été l’ennemi acharné de la réforme que Maurille incarne !
Une nouvelle fête mariale
Toujours fidèle à l’esprit de Martin, il sait que ses tâches épiscopales porteront du fruit s’il sait se ressourcer dans la prière et la solitude. Aussi se retire-t-il régulièrement dans l’ermitage du Mont Glonne, qui domine la Loire, où s’élève aujourd’hui le bourg de Saint-Florent-le Vieil. C’est là qu’un jour, en 430 ou 431, Notre-Dame lui apparaît au lieu-dit la Croix Pichon, et lui révèle que Dieu veut que soit instituée une fête en l’honneur de sa naissance, à la date du 8 septembre. Maurille, grand dévot marial, obtempère et introduit cette célébration qui gardera longtemps le nom de Notre-Dame l’Angevine, et se répandra dans toute la catholicité.
Sur la lancée, toujours poussé par l’amour de Marie, Maurille va encore jeter les bases de ce qui deviendra les deux grands sanctuaires angevins de la Vierge, le Marillais et Béhuard.
Pas question de mettre en doute cette apparition mais il est intéressant de la replacer dans son contexte. La date, déjà, n’est pas neutre. 430-431, c’est l’époque où se réunit en Orient le concile d’Éphèse qui proclamera la maternité divine de Marie, lui donnant le titre de Théotokos, Mère de Dieu. L’année aussi où, selon la Tradition, Notre-Dame serait apparue près d’un dolmen à Anicium, le Puy-en-Velay, pour réclamer un sanctuaire en son honneur. Le moment est parfaitement choisi pour l’instauration d’une nouvelle fête mariale. Pas inédite, d’ailleurs, et Maurille le sait car la Nativité de Notre-Dame se célèbre depuis longtemps chez lui, à Milan, et en Orient, d’abord à Jérusalem, ville natale de Marie. D’ailleurs, cette date du 8 septembre en vient puisque c’est celle de la dédicace de la basilique Sainte-Anne, construite à l’emplacement supposé de la maison de Joachim et de son épouse où la Vierge serait venue au monde. Tout cela explique la facilité avec laquelle cet anniversaire de Notre-Dame, le seul avec ceux du Christ et du Baptiste célébré par l’Église, s’est imposé et a été admis par Rome. Sur la lancée, toujours poussé par l’amour de Marie, Maurille va encore jeter les bases de ce qui deviendra les deux grands sanctuaires angevins de la Vierge, le Marillais et Béhuard.
Patron des pêcheurs
Toute une légende dorée, qui relève du roman, imaginera que Maurille, s’estimant coupable d’avoir laissé mourir sans confirmation un jeune garçon, aurait abandonné son siège épiscopal et se serait exilé en Grande-Bretagne afin d’y faire pénitence. Au cours de la traversée, jouant de malchance, il laisse tomber à l’eau les clefs de la cathédrale et les relique emportées par distraction… jure qu’il ne retournera pas à Angers sans les avoir récupérées. Alors, un poisson jaillit des profondeurs de la Manche et lui rapporte les objets qu’il pensait engloutis par la mer. Cela explique pourquoi Maurille est représenté tenant un poisson et pourquoi il est l’un des patrons des pêcheurs. On le montre aussi avec une bêche car, pendant son exil, il se serait embauché comme jardinier, profession qu’il patronne, comme saint Fiacre. De retour à Angers, Maurille fait ouvrir la tombe de l’adolescent qu’il n’avait pas confirmé, lui donne le sacrement et le jeune homme ressuscite, gagnant le surnom de René. Il lui succèdera sur le siège épiscopal.
Tout cela relève de la pure invention, il faut le dire. En réalité, tout laisse supposer que Maurille, durant les trente années de son épiscopat, ne quitta guère Angers et les rives de la Loire. C’est là qu’il est mort, à son poste, en 453. L’instauration de la fête de la Nativité de Notre-Dame reste à jamais attachée à son nom.