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Plaidoyer en faveur des râleurs

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Edifa - publié le 26/04/20

Dans la vie de tous les jours, et encore plus durant le confinement, les gens n’arrêtent pas de se plaindre et d’écouter les plaintes des autres. Si à la longue, ces lamentations peuvent devenir difficiles et fatigantes à vivre, elles ont pourtant des vertus psychologiques, voire spirituelles.

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Il paraît que nous avons tous en nous quelque chose de Calimero. Les enfants se plaignent de leurs parents, les parents de leurs collègues, les collègues de leur patron. Et quand nous n’avons pas de raison de nous lamenter sur notre sort particulier, c’est sur le train du monde que nous nous lamentons. Le psychanalyste Saverio Tomasella a analysé les causes et les symptômes de ce mal si répandu. Il l’incarne dans la figure du pauvre poussin de dessin animé, à peine sorti de son œuf, qui trouve la vie « vraiment trop injuste ». Pour savoir comment réagir face à ces personnalités à la fois agaçantes et émouvantes, ou sortir nous-mêmes de cette habitude, le spécialiste livre des pistes tirées de son expérience professionnelle.

D’où viennent les Calimero ?

La figure du plaintif n’a pas bonne presse, et à juste titre. Calimero est l’auteur d’« une plainte insistante, voire incessante » et se comporte comme « une personne centrée sur elle-même, exigeant de son entourage une attention continuelle », estime Saverio Tomasella. Le spécialiste constate que sa plainte est souvent ridicule, ses lamentations infantiles, et que ses revendications victimaires trahissent une intolérance immature à la frustration. Dans son cabinet, il voit défiler des patients touchés par ce symptôme caractéristique de notre époque. « La plainte pour un oui pour un non, souvent pour peu de chose, présente un puissant effet d’entraînement qui servirait presque de justification aux comportements infantiles qui la caractérisent », indique-t-il. Plus les patients se plaignent, moins ils sont à même de devenir des sujets adultes et responsables, capables d’œuvrer pour leur bonheur.


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Le diagnostic est cruel et devrait nous inviter à cesser nos plaintes, mais contre toute attente, Saverio Tomasella réhabilite Calimero. Au lieu de nous culpabiliser de cette tendance à nous apitoyer sur notre sort, il nous propose d’admettre que la plainte est non seulement légitime, mais encore bénéfique. Pour le psychanalyste, les lamentations, même dérisoires, méritent toutes d’être écoutées, ne serait-ce que pour la blessure intime qu’elles expriment de façon détournée. Solitude, abandon, maltraitance, sentiment d’injustice : les Calimero auraient tous vécu dans leur enfance des situations de grande détresse. C’est souvent l’enfant blessé, en manque d’amour, qui resurgit dans les plaintes inconsolables. « Le sentiment d’injustice est la manifestation intérieure de cette expérience première d’impuissance absolue. Comme pour Calimero, ce sentiment survient lorsque nous faisons face à une défaillance tutélaire : personne n’est là pour nous aider, nous protéger, nous secourir… », précise Saverio Tomasella. Face à Calimero, il est contre-productif de prêcher le stoïcisme. Cela ne fait que refouler une souffrance qui, loin de s’apaiser, empoisonne la personne.

La tyrannie de la bonne humeur mène à l’égoïsme

La dénonciation de la plainte peut même devenir, pour le psychanalyste, le vêtement sournois de l’égoïsme. La tyrannie de la bonne humeur, l’injonction à « positiver » et à « vivre l’instant présent », l’intolérance à la plainte d’autrui et aux « personnes négatives » que certains magazines féminins nous invitent à éviter cachent un égoïsme d’autant plus féroce qu’il se drape dans la vertu du stoïcisme.

Ces discours autorisent à fermer son cœur devant celui qui affirme qu’il souffre. Ils permettent de garder un cœur sec et néanmoins plein de bonne conscience. Et loin d’empêcher la plainte, ils la développent sous d’autres formes ! « La prohibition des lamentations génère et entretient la critique, le reproche et le mépris, autant que la moquerie », constate le spécialiste chez des patients qui ne cessent de se plaindre d’autrui. Entre complaisance et refoulement, sortir de la posture de la lamentation n’est pas chose aisée.

Les vertus spirituelles des plaintes

Quelle attitude adopter face à « la catastrophe » ? Comment faire pour que la lucidité n’aboutisse pas en plainte stérile, en posture victimaire ou en repli excessivement nostalgique sur soi ? « La première étape, c’est d’abord de regarder le malheur en face, propose le dominicain Adrien Candiard. D’aller jusqu’au bout de la parole du Christ : ‘’Mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ?’’ ».

Mais loin d’inviter à une posture plaintive qui se nourrit de nostalgie, il nous encourage plutôt à « nettoyer nos illusions » et à relire l’histoire du prophète Jérémie. De ce récit, Adrien Candiard tire un enseignement capital : il est sans doute légitime d’exprimer sa souffrance devant la catastrophe, comme il est légitime de clamer sa souffrance devant Jérusalem détruite et livrée à la désolation. Mais face à la catastrophe, nous « ne devons placer notre espérance qu’en Dieu », donc renoncer à nos petites idées sur ce qui peut nous consoler, fût-ce la reconstruction de Jérusalem.

Ne pas oublier de regarder en avant

De son côté, sœur Solange Navarro précise que la Bible offre de multiples exemples de cette plainte mortifère car tournée exclusivement vers le passé. Les Hébreux, au désert, regrettent l’Égypte dont Dieu les a libérés. « Ils ont une mémoire déformée du passé qu’ils idéalisent, alors que la route de l’Exode est la route de la libération », glisse-telle. Résultat, ils tournent en rond dans le désert pendant quarante ans, et ceux qui se plaignent n’entreront pas dans la Terre promise. Métaphore étonnante de la rumination stérile ! L’observation clinique vient confirmer son analyse : Saverio Tomesalla souligne également que la plainte improductive est « une fixation hors du temps », une « déploration autour d’un mausolée », un « refus du temps qui passe ». Sortir de la plainte qui tourne en rond signifie accepter de regarder en avant.


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Le personnage biblique qui incarne le mieux la plainte est Job. Après avoir perdu brutalement ses biens et ses enfants, il demeure d’abord impassible et récite une formule de piété machinale. Puis, il se plaint avec virulence de son sort à Dieu. Ses amis, scandalisés, ne supportent pas ses récriminations proches du blasphème, selon sœur Solange Navarro. Outrés, ils l’abandonnent. Pourtant, Job est le seul personnage dans la Bible dont Dieu a dit : « Il a bien parlé de moi ». Mais, pour cela, il a fallu que le malheur entre en lui, puis qu’il s’effondre.

Job nous apprend que pour espérer en finir avec la plainte, la seule solution est d’aller au bout, sans concession, sans fausse consolation, sans discours apaisant et trompeur. « La plainte ne s’épuisera qu’avec la plainte. Aussi curieux que cela puisse paraître, il arrive que le poison soit l’antidote », déclare la théologienne protestante Marion Muller-Colard. Accepter de regarder le malheur en face, dans toute son étendue, c’est accepter, comme Job, que Dieu ne soit pas la figure protectrice qu’il avait imaginée, qui récompense les bons et punit les méchants.

Il faut parfois une parole d’autorité pour arrêter de se plaindre

Alors, faut-il se résigner au malheur ? Faut-il considérer la vie comme une « vallée de larmes » et attendre des jours meilleurs au paradis ? C’est oublier que Job connaît la consolation de son vivant, et que Jérémie, connu pour ses « jérémiades » et ses plaintes contre un Dieu qui l’envoie prédire des catastrophes à un peuple qui le reçoit très mal, est une figure importante de l’espérance. Jérémie, en effet, annonce la Nouvelle Alliance et au plus terrible de la catastrophe achète un champ pour symboliser son espérance dans des jours meilleurs. Dieu lui promet : « Je serai avec toi ».

Job reçoit la consolation parce qu’il est capable d’instaurer un dialogue avec Dieu. Il ne reste pas seul dans sa douleur. Sa plainte n’est pas une rumination solitaire mais se veut fondamentalement adressée à quelqu’un. Accepter de se plaindre, pour Job, c’est oser parler à Dieu librement, sans formules pieuses. C’est aussi, à un moment donné, mettre fin à ses récriminations. Dans le livre de Job, Dieu répond à son serviteur en lui mettant devant les yeux la perfection et la beauté de la Création : « Où étais-tu quand j’ai fondé la Terre ? » (Jb 38, 4). Ce rappel met un coup d’arrêt à sa plainte.

« Il faut parfois une parole d’autorité pour nous extraire de la plainte. Comme un enfant qui s’abandonne au “Ça suffit !” de son père et se souvient alors qu’il n’est pas seul et qu’il est rassurant de savoir que le monde ne tourne pas autour de lui », note Marion Muller-Colard. C’est à la même posture que nous invite frère Adrien Candiard quand il propose de refuser les fausses espérances et de sortir de la plainte stérile pour essayer de faire de nos épreuves « une occasion d’aimer aujourd’hui ». Une invitation à vivre dès maintenant dans l’éternité !

Pauline Quillon

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