Sorti en salles le 1er octobre, le film Sacré-Cœur cumulait le 29 octobre près de 278.000 entrées. Un succès spectaculaire, mal accueilli par les détracteurs de l’Église catholique en France, qui dénoncent un documentaire "prosélyte", porté par "l’extrême droite". Son succès agace. Les petits feux de paille, comme à Marseille, où sa diffusion a bien failli être interdite, ou dans le cadre de cette publicité de la RATP, qui ont tenté de freiner, voire d’interdire sa diffusion, échouent. Au-delà de ces cabales qui n’ont pas lieu d’être, le film Sacré-Cœur vient actualiser la puissance de l’amour du Christ et la dévotion au cœur de Jésus, que la France avait oubliée. Entretien avec le père Étienne Kern, recteur du sanctuaire de Paray-le-Monial, sollicité dans ce documentaire.
Aleteia : Que pensez-vous de l’atmosphère autour de la sortie de Sacré-Cœur, depuis quelques semaines ?
Père Étienne Kern : Contrairement à beaucoup, je pense qu’il suscite des polémiques parce qu’il rencontre un franc succès, et pas l’inverse. C’est parce que les gens ont commencé à aller voir ce film qu’il a attiré l’attention sur lui et que ceux qui ne sont pas contents ont réagi. Mais la question de la polémique n’est pas intéressante. Elle est comme la mousse de la bière : elle prend beaucoup de place, mais dans les faits, il n’y a rien, avec ce risque de passer à côté de l’essentiel. Nous sommes tous surpris par ce succès. Cela fonctionne au-delà de nos espérances. Un faisceau de raisons explique ce succès, un peu plus sérieuses que la polémique, très superficielle.
Le Sacré-Cœur est une réalité très présente en France. Mais en sommeil.
D’abord, ce film a des qualités artistiques bien supérieures aux documentaires que l’on produit habituellement dans le monde catholique. Montage, constitution, bande-son, images… Tout le travail de réalisation donne un produit de bonne qualité. D’autre part, les réalisateurs, le couple Gunnel, ont su saisir quelque chose de la sensibilité contemporaine, ce dont on n’a pas l’habitude dans l’Église catholique. On a généralement du mal à adopter un langage qui touche au-delà de la sphère catholique. Ensuite, il faut écouter ceux qui sont allés voir le film : ils ont été bouleversés par la force, l’authenticité et la sincérité des témoignages et ils ont envie que leurs proches le vivent aussi. Le principe du bouche à oreille fonctionne à merveille. Ajoutons à cela entre 3.000 et 5.000 personnes qui l’ont vu en avant-première cet été à Paray-le-Monial notamment. Autant d’ambassadeurs de ce film qui en ont parlé autour d’eux. Enfin, il y a une justesse dans le propos qui est remarquable. Habituellement, on fait soit quelque chose d’identitaire, soit quelque chose de moralisateur. Nous avons essayé d’éviter ces écueils.
Vous estimez que le contexte autour de la dévotion au Sacré-Cœur a joué sa part dans le succès de ce film…
C’est évident. Il y a un contexte favorable, à la fois lointain et proche. Le Sacré-Cœur est une réalité très présente en France. Mais en sommeil. Nous avons identifié plus de 350 institutions scolaires baptisées ainsi. Combien de Français ont été dans un établissement du Sacré-Cœur ? Combien de paroisses du Sacré-Cœur ? Il est présent partout. Lorsque le Saint Père fait une encyclique sur le Sacré-Cœur, les Français sont abondamment cités. La dévotion au Sacré-Cœur est devenue populaire à la suite des apparitions de Paray-le-Monial. Les Français ont été ses grands propagateurs. Il est donc très présent… mais en sommeil ! Un peu comme des branches mortes sur le sol : elles n’ont pas la vie, mais si l’on met une allumette, elles prennent feu. Ce documentaire vient réveiller ce qui est en sommeil, parce qu’il y a quelque chose de déjà présent dans notre culture.
D’autre part, le Jubilé des 350 ans des apparitions à Paray-le-Monial a été un immense succès. Nous avons reçu des centaines de groupes. Partout, on nous a appelés pour parler du cœur de Jésus. Les gens ont été touchés et ont découvert le Sacré-Cœur. Ce Jubilé a abouti au renouvellement de la consécration de la France au cœur de Jésus, le 27 juin. À mon sens, il y a là comme une bénédiction de Dieu à la suite de cet événement.
Comment expliquer que des non-croyants se déplacent en salle et soient touchés par le Sacré-Cœur ?
Ce que je ne comprends pas, surtout, c’est pourquoi en France le message porté par l’Église a autant de mal à retentir. J’ai vécu dans les favelas du Brésil, où l’Église est très bien perçue parce qu’elle est associée à la défense de la justice, à la charité et que l’annonce du cœur de la foi brûle les cœurs. En France, nous sommes encore sous des considérations culturelles et politiques qui font qu’étonnamment, le message que porte l’Église ne résonne pas. Et qu’en est-il de ce film ? Il résonne. Et il ne fait que résonner le message de l’Évangile. Et dans un contexte aussi anxiogène que le nôtre aujourd’hui, avoir le rappel d’un message de paix, d’amour et de transformation de la vie, ça touche les cœurs, parce que les gens en ont besoin.
Les gens découvrent que le cœur de Jésus est une source.
Ce film a-t-il une portée évangélisatrice ?
C’est quelque chose de pleinement assumé par le couple Gunnel. Le film Sacré-Cœur est un témoignage, tout simplement. Ils viennent rendre compte d’une expérience transformante, de quelque chose de brûlant pour que d’autres puissent la vivre à leur tour. Une femme de 55 ans est venue me voir après avoir visionné le film. Elle ne s’était jamais confessée. Elle a pris sa voiture et est venue à Paray-le-Monial spécialement pour cela. Un petit fioretti parmi d’autres.
Pensez-vous qu’il s’agisse d’un phénomène de société ?
C’est simple : les gens découvrent que le cœur de Jésus est une source. On vient y boire à nouveau et l’on se dit enfin : "Nous sommes assis sur un trésor que l’on ignore complètement et rien ne nous empêche de venir y puiser." Pour nous, qui avons grandi dans des familles catholiques, c’est un cadeau qui nous est fait. En voyant comment cela résonne chez les non-croyants, on reçoit à nouveau ce qui nous a toujours été donné et dont on n’avait peut-être pas pris la mesure. À un moment en France, l’Évangile a été proclamé en vase clos. Et l’on a encore du mal à en sortir. Ils ont besoin de notre témoignage et nous avons besoin du leur. Et ce qui touche dans ce film, c’est la personne du Christ. L’inouï de l’Évangile ne nous émerveille plus, alors que c’est tellement incroyable. On a perdu ce sens de l’admiration. Avec ce film, on redécouvre que tout cela n’est pas évident. Et nous sortons d’une forme de "paganisme pratiquant".










