La bonne posture managériale relève parfois du casse-tête, pointe un récent article des Échos. En réunion, les managers sont souvent confrontés à une kyrielle de « soupirs, regards moqueurs, bâillements, retards, voire absences ». L’exercice de l’autorité managériale devient d’autant plus difficile que la Génération z (13/28 ans) remet plus volontiers en question les ordres et les structures pyramidales.
Le rôle de manager ne fait plus rêver
À tel point qu’une promotion dans le rôle de manager ne fait plus rêver, en France plus qu’ailleurs : "C’est trop de charge mentale", affirme un jeune salarié de 24 ans, interrogé par les Échos. Selon une enquête internationale menée par la Cegos, 56% des salariés français se montrent peu intéressés par le métier de manager, contre 36% ailleurs !
Davantage de travail et de responsabilité pour peu de bénéfice personnel : des conflits à gérer, la pression des supérieurs, un alignement pas toujours évident avec sa propre hiérarchie, telles sont les quelques difficultés souvent invoquées pour justifier le peu de motivation à devenir manager. Mais il existe aussi un paradoxe bien français : la méfiance de l’autorité en même temps que le besoin de hiérarchie. Le comprendre, permet sans doute d’éclairer le désamour des salariés français pour le management.
La phobie du "petit chef"…
On a tous en tête l’inénarrable maréchal des logis Cruchot joué par l’excellent Louis de Funès. Le Gendarme de Saint-Tropez a profondément marqué la culture française en nous proposant l’archétype du "petit chef" : un personnage autoritaire, tatillon, fier de ses galons et inadapté. À la fois colérique et dérisoire, Louis de Funès a immortalisé une figure comique du pouvoir prétentieux. Il a contribué à désacraliser l’autorité par une méfiance ironique envers la hiérarchie, qu’elle soit administrative, politique ou managériale. Derrière la farce populaire se profile une leçon anthropologique : en France, l’exercice du commandement reste marqué par la crainte de paraître un « petit chef » ridicule plutôt que légitime.
La dérision n’est pas dans notre pays le point final de notre rapport à l’autorité. Dans sa célèbre étude sur les cultures organisationnelles (1980), Geert Hofstede considère que les Français consentent bien davantage que dans les pays nordiques à une "distance hiérarchique" : il existerait, chez nous un fort degré d’acceptation des inégalités de pouvoir entre supérieurs et subordonnés. Selon lui, on admettrait implicitement que le supérieur détienne la décision finale et en assume seul la responsabilité. Les collaborateurs attendent de lui qu’il sache et qu’il dise quoi faire, l’autorité est une mission solitaire, plutôt qu’une relation à construire avec les subordonnés.
… mais le besoin de hiérarchie légitime
La hiérarchie est ainsi acceptée et redoutée. Déjà Tocqueville déclarait : "Je ne sais si nous avons vraiment aimé la liberté ; mais nous avons aimé la régularité, la subordination et le gouvernement." Le philosophe Philippe d’Iribarne apporte un éclairage pertinent sur notre rapport à l’autorité, en l’analysant à travers le prisme de l’honneur : chez nous, "l’obéissance n’est pas due à un supérieur en tant que tel, mais à un ordre jugé légitime, incarné par des hommes dignes de leur rang". Il serait donc réducteur de penser que le Français obéit par servilité. S’il obéit, c’est parce qu’il comprend et voit que c’est légitime. Sinon, il ironise ou se révolte volontiers ! Un ordre est jugé légitime quand il est visiblement au service du bien commun. Le paradoxe disparaît ainsi : l’ironie à l’encontre du petit chef et la lourdeur hiérarchique sont pulvérisées par la reconnaissance de celui ou de celle qui incarne la légitimité par sa compétence et son sens du service.
Revaloriser l’image du management
Résoudre concrètement le paradoxe français du management passe par un patient changement d’état d’esprit. Les salariés français accepteraient probablement davantage de responsabilités managériales s’ils étaient convaincus que cela en vaut la peine. Contrairement à ce qu’on dit souvent, ce n’est pas seulement l’intérêt qui motive un tel engagement, mais comme l’a finement analysé Philippe d’Iribarne avec la notion d’honneur, le service de quelque chose de plus grand que soi, un bien commun qui soutient un projet généreux dans un climat de confiance partagée. Cela ne se décrète pas, mais se construit au quotidien sur un temps long.










