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Le mépris de l’Infini et la quête de Dieu

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"Diogène demandant l'aumône aux statues" de Jean Bernard Restout, Toulouse, musée des Augustins.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 16/10/25
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Celui qui prétend ne plus avoir besoin de chercher car il aurait trouvé, ou bien que toute recherche est vaine, celui-là s’enferme soit dans l’orgueil, soit dans la désespérance ou le scepticisme.

La lecture de l’habile et tortueux Voltaire fait toujours apparaître ce travers essentiel, qui gâche l’élégance du style : le mépris de l’Infini. En cela, il est à l’opposé de Rousseau. Ce dernier s’est également éloigné de la foi, mais il a conservé une certaine conscience de son malheur et il pleure. Voltaire, désespéré lui aussi, se cache derrière le rire de la dérision en détruisant l’un après l’autre tous les piliers divins et humains, se persuadant qu’il peut danser sur les cadavres qu’il croit avoir ainsi entassés. 

La tristesse de l’orgueilleux

Ernest Hello, dans un texte profond intitulé "Les Sables mouvants", relève la tristesse de l’homme qui a renoncé à la joie par orgueil : "L’homme qui a perdu la foi la regrette souvent, la regrette quelque temps ; puis, s’il descend dans l’abîme, ses regrets baissent comme ses désirs ; puis, quand il touche le fond, il méprise l’Infini" (Les Plateaux de la balance). Salomon note : "L’impie, lorsqu’il est venu au fond des péchés, méprise ; mais l’ignominie le suit ainsi que l’opprobre" (Proverbes, 28, 3). Le rire du désespéré qui s’abrite derrière l’ironie blessante se termine dans le sang, celui des révolutions, des épurations, des déportations, ou bien son propre sang, celui du romantique pulmonaire, du poète maudit qui se suicide. C’est le constat de Petit-Jean, au début de la pièce Les Plaideurs de Jean Racine : "Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera" (Acte I, scène 1). Rire de la mort de Dieu au Grand Vendredi conduit à pleurer au matin de la Résurrection.

Le religieux et le sociologue

Même sans céder à ce penchant, l’indifférentisme religieux n’est pas plus satisfaisant. Certes, dans ce cas, le christianisme n’est plus directement tourné en dérision, mais il est regardé comme une forme du passé, une forme vide substance, de sève vive, une forme esthétiquement attrayante ou effrayante — comme l’exuvie de la cigale, fascinante et terrifiante. Lorsque les vérités éternelles ne sont plus que tolérées, ou bien réduites à des vestiges culturels, elles ne sont plus respectées, et certainement pas aimées pour ce qu’elles sont vraiment. Sinon, beaucoup s’intéressent à la "religion", sociologiquement, artistiquement, comme composante d’une identité nationale, sans pour autant s’intéresser au "religieux". 

Rémi Brague parle de cette dichotomie : "Un religieux ne s’intéresse pas à la religion, mais à son objet, à savoir Dieu. Ceux qui s’intéressent à la religion, ce sont les historiens, les sociologues, les psychologues, etc." (La Profondeur du présent, Une histoire de (la) pensée). L’homme religieux, lui, est engagé dans ce que chante le psalmiste : "Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté un regard sur les fils des hommes, pourvoir s’il en est un qui ait de l’intelligence, et qui cherche Dieu" (Ps 14, 2). Le contraire du mépris de l’Infini est de "chercher Dieu", quaerere Deum. Telle était la devise de saint Anselme de Canterbury : Fides quaerens intellectum - "La foi cherchant la compréhension", écrivant dans son Proslogion cette confession spirituelle et intellectuelle magnifique : "Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, mais je crois afin de comprendre. Car je crois ceci — à moins que je ne croie, je ne comprendrai pas. "

Ne jamais se lasser de chercher

Avoir la foi, comme on dit, ne signifie pas s’installer confortablement dans une propriété et profiter de ses avantages, comme si cela permettait de faire l’économie de la recherche. Pour nourrir la foi, il faut garder les yeux fixés sur le moindre détail, comme lorsque nous partons à la cueillette des champignons ou au ramassage des châtaignes. Il faut sans cesse reprendre les paroles enflammées de saint Augustin qui ne se lassa jamais de chercher, même après avoir trouvé : 

Bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans de moi, et moi au-dehors de moi-même et c’est là que je te cherchais… Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi… Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité, tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité, tu as répandu ton parfum, je l’ai respiré et haletant j’aspire à toi, je t’ai goûtée, et j’ai faim et j’ai soif ; tu m’as touché et je me suis enflammé pour ta paix . (Confessions, X, 27). 

Et il écrit ailleurs : "Cherchons pour trouver, et cherchons une fois qu’on l’aura trouvé. Pour qu’on le cherche pour le trouver, il est caché ; pour qu’on le cherche une fois trouvé, il est infini" (Commentaire de l’Évangile selon saint Jean, 124). Un chrétien n’est pas un cynique qui, à l’image de Diogène, parcourrait les rues d’Athènes en plein jour avec une lanterne allumée et prétendant qu’il cherche en vain un homme, désespérément invisible et inexistant. Celui qui prétend ne plus avoir besoin de chercher car il aurait trouvé, ou bien que toute recherche est vaine, celui-là s’enferme soit dans l’orgueil, soit dans la désespérance ou le scepticisme. Celui qui cherche parce qu’il a trouvé, en tout ou en partie, échappe à l’esprit du mal qui fait croire qu’on peut un jour se contenter d’une seule réponse, que tout est contenu dans une infime partie. Le Malin désire mettre des limites à Dieu et il souffle à notre oreille que nous pouvons faire le tour de la puissance de Dieu, puis se reposer sur nos lauriers. Il aime ceux qui sont immobiles, qui se figent dans la paresse, l’habitude, qui s’enferment dans leur petit monde et leur chapelle exigüe. 

Sur ce qui est reçu comme certain

Cette recherche incessante n’est pas la porte ouverte au relativisme, à l’hésitation, à l’instabilité. C’est au contraire sur les fondations de ce qui a été trouvé, de ce qui est reçu comme certain, que la quête se poursuit, s’enrichit. Les grands explorateurs ne s’arrêtent jamais et meurent généralement toujours hantés par leurs rêves de découverte. Tel fut Christophe Colomb. Il n’a pas rejeté ce qu’il avait trouvé providentiellement après tant d’efforts et de sacrifices humains, mais il n’a jamais considéré qu’il avait exploré tout le monde créé. Son humilité l’a poussé à ne jamais être satisfait pleinement et à poursuivre avec enthousiasme, entêtement. Léon Bloy le nomme : révélateur du globe. Il ne s’est pas attaché étroitement à ce qu’il avait trouvé et s’est projeté vers ce qu’il devait encore découvrir. 

Telle est la démarche de foi qui s’oppose au mépris de l’Infini et à l’indifférentisme esthétique. Personne ne peut reprocher à un disciple du Christ qui cherche, trouve et cherche, d’être enfermé entre ses murs, de se contenter de peu, de cultiver à moindre frais des certitudes qui ne sont pas forcément les siennes. L’ami du Christ est celui qui est solidement planté les deux pieds dans la foi et qui, ainsi chaussé, poursuit son pèlerinage intellectuel et spirituel, sans jamais poser son bourdon ou refermer le livre en soupirant d’aise ou de découragement. La foi n’est pas un article de seconde main, au rabais, en solde. Elle se construit patiemment, avançant pas à pas vers l’Infini de Dieu.

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