Chef d’état‑major de l’armée de Terre depuis 2021, le général Pierre Schill publie aux éditions du Cerf son ouvrage Le sens du commandement, dans lequel il propose une réflexion sur l’autorité et le rôle du chef dans un monde en mutation. Saint-cyrien de formation et issu des troupes de marine, son approche du commandement met l’accent sur l’intention, la responsabilité et la liberté d’initiative, loin d’une vision autoritaire ou hiérarchique stricte. À travers sa riche expérience, le général Schill invite à repenser ce que signifie commander aujourd’hui, tant pour les militaires que pour tous ceux qui exercent des responsabilités dans le monde civil. Entretien.
Aleteia : Dans une société qui se méfie de l’autorité, que signifie encore “commander” ?
Général d’armée Pierre Schill : Le mot “commander” peut paraître daté ou trop militaire, mais il renvoie à une réalité essentielle : celle de l’action organisée en vue d’un but. Commander, c’est orienter une équipe, une institution, une communauté vers un objectif commun. Dans le monde civil, on parlerait de management ou de direction, mais le fond reste le même : il s’agit de viser l’efficacité au service d’une finalité.
Commander, ce n’est pas tout prévoir ni tout contrôler : c’est donner du sens, un cadre, une direction.
Vous parlez dans votre livre d’un “commandement par l’intention”. Qu’entendez-vous par là ?
L’idée centrale, c’est de replacer l’intention au cœur du commandement. Commander, ce n’est pas tout prévoir ni tout contrôler : c’est donner du sens, un cadre, une direction. Cela suppose de faire confiance, de responsabiliser. Le chef fixe l’objectif et les limites, puis libère l’initiative de ses subordonnés. C'est une méthode qui s'appuie sur la subsidiarité. Le rôle du chef n’est pas d’éteindre l’intelligence autour de lui, mais au contraire de la faire grandir.
Ce “commandement par l’intention” dépasse-t-il le cadre militaire ? Peut-il inspirer les dirigeants civils ?
Oui, sans aucun doute. Même si j’ai d’abord écrit ce livre pour les militaires, il s’adresse à tous ceux qui exercent une responsabilité. Nous vivons un moment de bascule : le monde change à grande vitesse sur les plans stratégique, technologique et culturel. Face à cela, nous avons besoin de retrouver une tradition du commandement qui allie exigence et humanité, fidélité et modernité. C’est un style très français : faire primer les finalités sur les modalités. Donner du sens, c’est donner un cadre où chacun peut agir librement. Chercher la “culture du résultat” en multipliant les détails est une illusion : cela crée de la rigidité et tue l’initiative; d'autant qu'il est tout simplement impossible de prévoir et d'anticiper absolument tout. L'incertitude sera toujours présente. Au contraire, la tradition française du commandement laisse une place à l’intelligence de chacun. C’est profondément moderne.
Le bon chef est celui qui sait adapter le degré de liberté à la maturité de ses subordonnés.
Qu’est-ce qui distingue un bon chef d’un mauvais chef ?
Le bon chef, c’est celui qui obtient le résultat désiré tout en donnant à ses subordonnés l’initiative nécessaire pour agir. Il exprime clairement son intention, écoute la manière dont ses équipes comptent l’exécuter, et assume pleinement la responsabilité finale. Le mauvais chef, lui, fixe des règles excessives ou, à l’inverse, abandonne toute direction. Finalement, le bon chef est celui qui sait adapter le degré de liberté à la maturité de ses subordonnés. On pourrait résumer cela en trois qualités : donner du sens, exprimer clairement l’objectif, et confier une mission adaptée aux moyens de chacun. Ces trois qualités peuvent se résumer en un mot : l’intelligence.
Y a-t-il des figures de chefs qui vous inspirent ?
Oui, plusieurs. J’aime citer le maréchal Leclerc : lors de la Libération de Paris, son ordre à la 2e Division blindée tenait en une demi-page. C’est un exemple parfait du commandement par l’intention : un objectif clair, sans détails superflus. Autre exemple, le maréchal de Lattre, arrivant en Indochine, déclare simplement : "À partir de maintenant, aucun poste ne doit être abandonné." C’est la quintessence du commandement par l’intention : il ne donne pas les modalités, ne se perd pas dans le détail, il donne simplement le sens de la démarche.
Enfin, que diriez-vous à un jeune officier — ou à un jeune citoyen — qui veut apprendre à “servir” ?
Je lui dirais trois choses : d’abord, d'être volontaire — c'est-à-dire d'avoir l'élan pour choisir d'agir. Ensuite, d'être intelligent — comprendre le sens de son action et la relier à un but. Enfin, être efficace — parce qu’un chef n’est crédible que s’il obtient des résultats. Fixez-vous des ambitions raisonnables pour avancer, toujours atteignables.
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