Cette histoire commence dans une banlieue ouvrière typique de Londres (maison de briques rouges après maison de briques rouges). Ilford, pour ceux qui ont le souci du détail. Y naît un dénommé Francis. Alors que le bout de chou n’a que 2 ans, son père abandonne sa mère. Francis et son frère aîné poussent comme des herbes sauvages. Il n’y en a même pas dans son quartier de cité minière.
Délaissés par leur mère, les deux ados tournent rebelles, cèdent à la mode des bandes. Ils deviennent skinheads. Francis se lance alors avec toute l’énergie de ses 15 ans dans un master en délinquance, dont les matières n’ont guère changé depuis l’époque : arrêt de l’école, classe découverte drogue, consommation des filles, discipline sportive bagarres en tout genre, initiation aux cuites, introduction aux langues appliquées de la provocation et de la haine… Pour s’acheter leur drogue, les deux frères dévalisent un magasin de chaussures. Leur carrière s’arrête alors net : ils sont pris par la police. Francis écope d’un sursis. Mais son frère, lui, est condamné à la prison et incarcéré. Francis se retrouve alors seul. Il squatte une chambre dans un immeuble abandonné. Pas si seul que cela, si l’on compte l’accompagnement bien fidèle de ses idées noires. Il n’arrête pas de s’interroger sur le sens de sa vie… puis de la vie en général.
Une image pieuse dans une cabine téléphonique
Traînant son désespoir dans les rues d’Ilford, le jeune homme est attiré un jour par un bout de papier coloré perdu dans une cabine téléphonique (pour les plus jeunes, une cabine téléphonique était un espace en bois ou en verre où l’on pouvait passer un coup de fil sur un téléphone à fil, avant l’arrivée du portable. Vous pouvez en retrouver parfois aujourd’hui, transformées en boîte à livres). Toujours est-il que Francis s’avance vers ledit bout de papier, qui s’avère être une image. Sans doute tombée d’un portefeuille, elle représente un homme au visage pâle et doux, aux cheveux longs et blonds. Détail surprenant, il lève la main vers le ciel. Et encore plus surprenant, son cœur rouge sang est apparent sur une tunique bleu ciel, et des rayons d’or en jaillissent. «Trop dark!» (Commentaire positif, à l’époque, dans l’esprit de Francis.)
Au bas de la surprenante image, il lit cette inscription: «Christ, Infinie Miséricorde. Jésus, j’ai confiance en toi.» Francis ne comprend pas. Il ne comprend rien à la phrase mais surtout, il ne comprend pas pourquoi ce type le touche. Parce qu’il est clair que ce hippie lumineux le rejoint quelque part. Le skin glisse le portrait dans sa poche de blouson. Les jours qui suivent, il le regarde régulièrement et ressent à chaque fois une mystérieuse émotion. Après son master en délinquance, il commence une thèse de quête existentielle : il étudie le New Age, essaie l’hypnose, les pendules, consulte des voyants, puis des médiums (car apparemment, oui, il y a une différence)… bref, il cherche. Il ne sait pas quoi, mais il cherche. Et ne trouve pas, au vu de son insatisfaction.
Dans cette quête pourtant, persiste une constante : l’image du hippie de «l’Infinie Miséricorde » continue de le fasciner. Plus il la regarde, plus cette image le console. Oui, carrément: le console. Désormais, il la porte en permanence sur lui, comme un talisman. Quelle n’est donc pas sa surprise lorsqu’un jour, il voit dans une vitrine une reproduction taille poster de son image ! Aimanté, il découvre alors qu’il s’agit d’une librairie catholique. Il ne connaissait même pas le concept. Qu’importe, le hippie l’appelle. C’est trop fort. Voilà donc Francis le skinhead qui entre dans la pieuse librairie. Tel qu’il est, avec son jean en morceaux, son cuir, ses chaînes et ses clous, ses santiags poussiéreuses, trois boucles à l’oreille. De quoi faire sursauter la commerçante, Cathy de son prénom.
– C’est qui, lui ? demande ce jeune homme à l’aspect peu rassurant, et même menaçant.
Pourtant, oui, il montre bien le poster de la vitrine et pose une question simple. Autant lui répondre, même si l’on n’est guère rassurée:
– Euh… le Sacré Cœur, c’est-à-dire Jésus notre Sauveur, répond la libraire.
– Vous pouvez m’en dire plus sur ce type, Jésus notre Sauveur?
– Heu, bien sûr… Jésus est le fils de Dieu. Il a été envoyé par son Père pour sauver les hommes, chacun des hommes, et pour donner sa vie pour eux.
– Et pourquoi? Vous pouvez me dire pourquoi?
– Mais, par amour, Monsieur, par amour. Dieu nous aime d’un amour fou. C’est d’ailleurs ce que représente la gravure: de son cœur transpercé, symbole de l’Amour, s’écoule la Vie…
– Le cœur transpercé?
– Oui, transpercé par le coup d’une lance d’un soldat, après sa mort sur la Croix. Il en est sorti du sang et de l’eau…
– Hum…
Francis est pensif. Beaucoup trop de mots inconnus, et beaucoup trop d’amour. Silencieux, il fait le tour du magasin. La libraire reprend du poil de la bête, ayant bien vu que Francis n’était pas dangereux. Elle ose donc poursuivre les présentations. Et voilà qu’elle évoque le Christ, l’Église, la Vierge Marie, le mystère de l’Eucharistie, les Évangiles… Très énigmatiques, ces mots n’en attirent pas moins Francis.
Notre skinhead repart de chez Cathy avec des images pieuses qu’elle lui a offertes. Lorsqu’il parle avec enthousiasme de Jésus Sauveur à ses copains de bande, ceux-ci se moquent bien correctement de lui et de ses bigoteries ringardes. Décidément, Francis se sent seul.
Pèlerinage à Fatima
Petit à petit, en revenant régulièrement à la librairie, il rencontre des catholiques, clients. Après de nombreux échanges, l’un d’eux lui propose un jour de lui offrir un pèlerinage à Fatima. Gros cadeau dont Francis ne revient pas! Pour la première fois, il quitte sa banlieue grise. Direction le Portugal. Il résumera ainsi ce voyage exceptionnel: "J’ai passé quatre jours à pleurer et à prier: je venais de découvrir que j’avais une Mère et qu’elle m’aimait tendrement."
Quelque temps plus tard, un autre mécène lui paie le billet pour se rendre à un rassemblement de jeunes. Deux jours de «retraite ». L’un des intervenants parle avec un feu brûlant de l’Eucharistie. C’est un jeune franciscain américain dénommé Stan Fortuna. Par le mystère de la foi, Francis reconnaît dans la minuscule hostie blanche ce Christ de l’image pieuse de la cabine téléphonique. « Secrètement, c’est lui que j’attendais depuis des années. C’est la rencontre que je désirais de toute mon âme…» Francis demande alors le baptême.
Quelque temps après, la vie religieuse l’interroge. Il repense au franciscain du rassemblement de jeunes. «Durant des années, j’ai voulu donner ma vie. Quand j’ai su à qui, il m’a été facile de tout quitter.» Il entre alors chez les franciscains du Bronx. Mais cette histoire, déjà magnifique, ne s’arrête pas là.
Bien des années plus tard, Francis apprend que l’image du Sacré Cœur, cette image qui a changé sa vie, a été déposée dans la cabine téléphonique par un Irlandais dénommé Fergus. Par la Providence, qui passe ici par Cathy, il peut le rencontrer! Moment unique, chargé de grâce et d’émotion pour les deux hommes. Le vieil homme lui raconte les coulisses: depuis sa retraite, il récite chaque jour le rosaire, puis se rend à la messe, et, après cela, il prend une heure de marche, ralentie par la maladie, en offrant tout cela pour la conversion des jeunes d’Ilford. Puis, telles des étapes du chemin de croix, il visite une à une les cabines téléphoniques de la ville pour y abandonner ses images pieuses.
Pratique










