Au milieu de la tempête qui agite actuellement les milieux politiques français, il existait un roc insubmersible, un visage auquel se raccrocher, un symbole, enfin, de durée. Ce rocher, c’était Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition Écologique. Celle qui avait survécu aux gouvernements Michel Barnier et François Bayrou — un record de longévité en ces temps troublés — annonce pourtant ce vendredi qu’elle ne sera pas candidate à sa propre succession. Décidément, même le développement "durable" n’échappe pas à l’accélération vertigineuse du jeu politique, où les ministres semblent sitôt nommés, déjà périmés ! Difficile, dans une telle ambiance, de prendre le temps d’agir sur le long terme des processus naturels pourtant irréversibles qui menacent notre planète...
La catastrophe climatique poursuit son cours
Il faut rappeler ainsi qu’en parallèle du bal des fantômes qui s’est déroulé sous nos yeux cette semaine, la catastrophe climatique poursuit tranquillement son cours. Le jour suivant la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, un incendie ravageait la région de Bastia et le parc naturel d’Etosha en Namibie — première réserve naturelle du pays —, tandis que, le surlendemain jeudi, le typhon Matmo dévastait le nord du Vietnam et le sud de la Chine. Quelques jours auparavant, le 29 septembre, l’Agence européenne de l’environnement publiait un rapport alarmant sur l’état de nos écosystèmes, soulignant le fait que le Vieux Continent se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. 30% des forêts européennes ont disparu en dix ans, 70% des sols sont durablement dégradés, 30% du territoire est en état de stress hydrique : pas sûr, concluent les auteurs, que nos "modes de vie européens" puissent survivre à cette catastrophe.
Notre époque est prise dans une curieuse schizophrénie temporelle : "tik-tokisation" de l’actualité politique d’une part, prise de conscience progressive de notre impact sur le temps long des écosystèmes d’autre part.
Pendant ce temps, dans l’indifférence générale, le mois de septembre 2025 aura été également marqué par le dépassement de la septième des neuf limites planétaires définies par l’équipe du professeur Johan Rockström en 2009 : désormais, le seuil d’acidification des océans a été définitivement franchi, avec des conséquences tragiques sur la biodiversité sous-marine, mais également sur le secteur de la pêche et les populations qui en dépendent.
Paralysie de l’intelligence
Notre époque est prise dans une curieuse schizophrénie temporelle : "tik-tokisation" de l’actualité politique d’une part, prise de conscience progressive de notre impact sur le temps long des écosystèmes d’autre part. Plus la politique s’accélère, plus les conséquences à long terme se révèlent irréversibles. Plus les responsables politiques défilent, moins ils peuvent rendre des comptes de leur inaction. Plus nous sommes suspendus aux rebondissements quotidiens de l’arène, moins nous sommes capables de comprendre les dynamiques complexes qui régissent l’avenir de notre planète. Pourtant, cette contradiction n’est qu’apparente. Si les politiques démissionnent, c’est devant la complexité d’un monde qu’ils ont eux-mêmes créé et qui leur échappe. Si nous prenons conscience des conséquences durables de l’activité humaine sur les équilibres naturels, c’est pour mieux percevoir leur fragilité. Les deux phénomènes — accélération du temps politique, ampleur quasi-géologique de la catastrophe écologique — aboutissent à une même paralysie de l’intelligence et de la volonté. Devant la valse des déclarations politiques et l’accumulation des rapports scientifiques, nous nous sentons largués.
Le temps de vivre
C’est pourquoi, choisir la vie, c’est peut-être ici choisir de vivre dans une temporalité qui permet l’action individuelle, choisir de vivre, plutôt que de rester un spectateur passif et atterré. Le temps de la vie et de l’agir, ce n’est ni celui, effréné, des publications Twitter, ni celui, inhumain, des dégradations géophysiques. Le temps de la vie, c’est d’abord celui de la nôtre, celui dans lequel nous choisissons de débrancher notre smartphone pour descendre au potager, prendre notre vélo, ou parler à nos voisins. Ce temps, dont nous dépossède l’accélération du monde. Ce temps, que nous sacrifions trop souvent dans notre course à la performance, qui nous envoie dans le mur. Henri Bergson opposait le temps mécanique des horloges, avec leur tic-tac angoissant qui prend aujourd’hui des airs de bombe à retardement, et la durée vivante des consciences et des mémoires, qui seule peut créer du nouveau, voire accueillir une transcendance. Alors, en ces temps troublés, prenons de la hauteur et rappelons-nous la parole de saint Pierre (2P 3, 8) : "Devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, mille ans sont comme un jour." Choisir la vie, c’est choisir ce qui dure, dans un monde où tout, même les ministres, semble marqué de péremption.










