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Vivre après l’Afghanistan : la foi retrouvée d’un para écorché

Les yeux dans le vide, Mayeul trois jours après l'embuscade d'Uzbin.

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Cécile Séveirac - publié le 12/10/25
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Mayeul, ancien parachutiste au 8e Régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa), fait partie des rescapés de l'embuscade meurtrière d'Uzbin où dix soldats français ont perdu la vie le 18 août 2008 en Afghanistan. Âgé de 40 ans, il revient pour Aleteia sur son expérience traumatisante de la guerre et de la souffrance, qui a fini par transformer sa vie de foi. "La foi n’a pas effacé mes souffrances, elle m’a donné la force de rebondir", confie-t-il.

"Comment Dieu peut-Il accepter cela ?" Cette question, combien se la posent au cours de leur vie, face à la souffrance et à la mort : ceux qui ne croient en rien, ceux qui cherchent, ceux qui ont reçu la foi. Mayeul se l’est posée le 18 août 2008. 

Uzbin, Afghanistan. Sous un déluge de feu, le tout jeune caporal de 22 ans échappe de justesse à la mort. Ses camarades n’ont pas cette chance : dix d’entre eux périssent dans un combat acharné contre les Talibans. Certains n’avaient pas vingt ans. Mayeul, quant à lui, meurt de l’intérieur. "J’ai perdu la foi à cause d’Uzbin. Mais je l’ai regagnée plus forte que jamais grâce à Uzbin", confie cet ancien parachutiste, aujourd’hui âgé de 40 ans, à Aleteia. 

Mayeul naît à Saumur, ville de garnison, troisième d’une fratrie de six. Chez lui, pas de militaire : sa mère est au foyer, son père journaliste. Son amour pour la nature et son désir de servir son pays le partagent : il hésite entre l’Office National des Forêts et l’armée française. Mais c’est finalement cette dernière qu’il choisit. Le 1er février 2005, à 19 ans, il signe pour cinq ans au 8e Régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa) de Castres, en tant que militaire du rang. Le voilà entré chez les bérets rouges, dans l’un des régiments d’élite de l’armée de Terre. Après avoir fait ses classes, les premières missions s’enchaînent. Mayeul est envoyé plusieurs fois en Afrique. Gabon, République démocratique du Congo (RDC), Sahel… Rien n’égale ce qui l’attend dans cette vallée d’Uzbin, au cœur des montagnes sèches d’Afghanistan. "Entre l’Afrique et l’Afgha, c’est le grand écart. On passe de missions de maintien de la paix à des missions de guerre", explique Mayeul à Aleteia. "Là-bas,on savait que des camarades tombaient au combat". 

Mayeul en Afghanistan, 2008.

À 22 ans, Mayeul est comme ses jeunes camarades : tout feu tout flamme. "On allait jouer dans la cour des grands. L’adrénaline prenait le pas sur l’appréhension." L’euphorie retombe lorsque, avant de quitter la France, le jeune homme doit rédiger son testament. "Ce n’est pas trop dans l’ordre des choses, de rédiger ses dernières volontés à 22 ans. Il y avait quelque chose de très déstabilisant, mais c’était nécessaire", confie Mayeul. Ses chefs le préparent ainsi à la dure réalité, inhérente à la vocation du militaire : la mort est une option. "Après une préparation très intense à Castres, au moment du départ, le chef de corps nous a rassemblés au régiment. Il nous a dit : "Je ferai tout ce que je peux, mais je ne peux pas vous promettre de tous vous ramener vivants"."  Mayeul embarque pour Kaboul. La France intervient en Afghanistan dans le cadre de l’opération Pamir pour soutenir l’OTAN et sécuriser la population autour de Kaboul face à l’insurrection talibane. Sur le terrain, le 8e RPIMA mène des patrouilles, protège les bases et les convois, et accompagne l’armée afghane. Les combats sont fréquents et asymétriques, avec embuscades, tirs indirects et engins explosifs improvisés. Mayeul est l’opérateur radio de sa section. Le début de son opération extérieure (OPEX) se déroule sans accrochage particulier. 

La mort en face

Le 18 août 2008, tout bascule : la section Carmin 2 du 8e RPIMa est prise en embuscade alors qu'elle tente de sécuriser un col situé dans la vallée de l'Uzbin, dans le district de Surobi, à l'est de Kaboul. La section Carmin 3, celle de Mayeul, reste à la base arrière pour rencontrer un général américain et faire office de QRF (Quick Reaction Force) : prêts à partir en premier en cas de problème. Mayeul prend un peu de repos, avant d’être réveillé par son lieutenant. "Carmin 2 est sous feu, on part." Dans le VAB, (Véhicule de l'Avant Blindé, NDLR), Mayeul reçoit des messages tous plus inquiétants les uns que les autres. "On commence un massage cardiaque", "le caporal (...) est mort". "C’est un moment très violent : dans le VAB, on est dix, tout le monde entend ce qui se dit. Certains fument, d’autres vomissent, on vérifie notre équipement. L’adrénaline monte."

Cérémonie d'hommage à Kaboul, trois jours après l'embuscade.

Quelques centaines de mètres avant la zone cible, un déluge de feu s’abat sur la cohorte. Les hommes sortent des véhicules avant qu’ils ne deviennent leur cercueil. "On passe à découvert — c’est le début de la guerre pour nous. Ça tire sans répit, de 13 heures à 21 heures", se souvient Mayeul. Comble de la situation, l’armée afghane abandonne la position, laissant les Français seuls face aux Talibans. “Nous étions soixante au départ, nous nous retrouvons une trentaine, fixés derrière des rochers toute la journée à cause de l’intensité du feu”, poursuit Mayeul. Très vite, le commandement demande aux hommes de ménager leurs tirs, privés de ravitaillement. Mayeul prend une balle dans le sac à dos, à dix centimètres de la colonne vertébrale. Une roquette tombe à cinq mètres de sa position. Les paras ne lâchent rien, malgré les 42 degrés à l’ombre et les 30 kilos qui pèsent sur leur dos, le manque de munitions et d’eau. "Durant les combats, je conservais mon chapelet dans ma poche", écrit Mayeul dans son livre La voie du soldat. "En remontant le col durant la nuit, je le serrais parfois dans ma main".

Choc post traumatique

Le bilan humain est dramatique : 10 morts, 21 blessés côté français. C’est le début du choc post-traumatique pour Mayeul et beaucoup d’autres de ses camarades. "Voir les premiers corps, parfois atrocement mutilés, c’était l’horreur. On est préparés à combattre. Pas à ramasser les corps de ses potes", lâche Mayeul. Ces morts ne sont pas seulement des camarades, mais des amis. Des frères d’armes. "À chaque fois que nous retrouvions l’un de nos camarades tombés au combat, une blessure s’ouvrait en nous. Je connaissais très bien chacun d’eux. (...) Nous vivions ensemble au quotidien", écrit Mayeul. Parmi les premiers corps, celui de Julien Lepin. Mayeul, qui parvenait jusqu’ici à garder son sang froid, sent une immense douleur l’envahir. La veille, avec Julien, il a servi la messe dite par l’évêque aux armées à la base. “Il m’avait dit qu’il ne savait pas s’il était prêt à mourir. Le lendemain, il est mort, il avait pris une balle dans la tête et dans la jambe. Je me suis dit qu’au moins, il avait eu une messe avant de mourir”, souffle Mayeul.

Dans la vallée de Surrobi à l'est de Kaboul.

Les survivants se ravitaillent en munitions sur les corps de leurs camarades. Au petit matin, à une trentaine, ils prennent enfin le col. Avec cinq autres hommes de sa section, Mayeul redescend chercher les corps des morts au combat. Sans brancards, le déplacement se fait à la force des bras. Mayeul hisse sur son dos la dépouille de Julien. Le souvenir du sang de son ami coulant sur son bras le glace encore. Les corps sont placés sur la ligne de crête, dans des housses mortuaires, avant d’être transportés en hélicoptères à Kaboul. "On a regardé l’appareil partir. ‘Salut les potes, on se reverra là-haut’. Comme nous disons chez les parachutistes : un para ne meurt jamais, il effectue seulement son dernier saut."

Nuits sans sommeil, nuit de l’âme 

Une fois rapatriés à la base opérationnelle, Mayeul sombre. "J’ai peu de souvenirs des jours qui ont suivi. C’est le trou noir. Nous avons tous été suivis par un psychiatre militaire", explique Mayeul. La descente aux enfer se poursuit : tremblements, peur du noir, cauchemars, sursaut au moindre bruit, hyper vigilance… Une fois rentré en France, Mayeul se coupe de ses proches. "Je me suis renfermé sur moi-même. Et c’est là que j’ai perdu la foi en Dieu. J’étais complètement révolté, incapable de croire que Dieu existait avec ce qu’il s’était passé", confie-t-il. C’est finalement au cours d’une retraite suggérée par son père à l’abbaye bénédictine Sainte-Marie de la Garde, près d'Agen, que Mayeul renoue avec Dieu. Au début, Mayeul résiste. "À quoi bon ? Dieu nous a laissés tomber en Afghanistan", se dit Mayeul. Pourtant, l'idée fait son chemin. "Peut-être était-ce moi qui L'avais abandonné là-bas, au milieu des cendres et du sang..." Il rencontre un moine, lui-même ancien militaire. Ensemble, ils marchent et échangent longuement. "Il était d'une sérénité désarmante, comme si rien ne pouvait l'ébranler. Il n'a pas cherché à me convaincre, il ne m'a pas accablé de réponses toutes faites", se souvient Mayeul. "Je lui ai dit ma colère, que je comprenais pas pourquoi Dieu avait laissé faire ça." Le moine lui répond simplement : Dieu ne manipule pas l’homme, Il le laisse libre — et cette liberté implique aussi la possibilité du mal. Mayeul retrouve doucement une sensation d'apaisement. "Pour la première fois, j'ai cessé de me débattre contre ce vide". En rentrant à Castres, le para renoue avec la prière. "Ça a été lent, mais c’est comme ça que j’ai renoué avec ma foi."

Cérémonie d'hommage à Kaboul, trois jours après l'embuscade.

Déterminé à clore son engagement militaire, il choisit de terminer son contrat. "C’était important pour moi d’aller au bout, de remettre le treillis et le béret une dernière fois." En 2010, il quitte l’armée et se reconvertit dans la sécurité privée à l’étranger, notamment dans la lutte contre la piraterie maritime. En 2019, il intègre la police nationale. "J’ai travaillé six ans à Paris, à la BRAV-M. Aujourd’hui, je suis en mission à Mayotte." Le passage à la vie civile n’a pourtant pas effacé les cicatrices. "La guérison a pris des années. Le psy, ma famille, mes amis et la foi — c’est tout ça qui m’a aidé à rebondir. La foi n’a pas supprimé la souffrance, elle m’a donné la force de me relever." Pour lui, l’expérience du feu n’a pas détruit ce qu’il était : elle l’a façonné. "L’armée m’a inculqué des valeurs essentielles : courage, loyauté, fidélité. J’ai pu les vivre dans ma chair. Ce chemin de guérison, à la fois psychologique et spirituel, m’a renforcé." Ce qu’il appelle aujourd’hui sa “renaissance spirituelle” s’est construite lentement, à travers les doutes et les nuits sans sommeil. "Avant, ma foi était plus routinière. Après l’Afghanistan, elle est devenue plus incarnée. Elle n’a pas effacé mes souffrances, elle m’a donné la force de rebondir. J’ai compris que Dieu n’empêche pas le mal, mais qu’Il nous aide à le traverser. C’est là que réside Sa puissance."

Pratique :

La voie du soldat, Mayeul, Mareuil, mai 2025, 21 euros.
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