C'est une première pour le pape Léon XIV : la publication de sa première exhortation apostolique, intitulée "Dilexi te". Un texte "qui engage d'abord notre relation à Dieu", selon Mgr Éric Bidot. Évêque de Tulle et membre des Frères mineurs capucins, fin connaisseur de saint François d'Assise, grande figure de sainteté liée à la pauvreté, il décrypte pour Aleteia les grands points de ce texte. "Une telle exhortation vient éclairer et nourrir une relation vraie à Jésus-Christ", affirme-t-il.
Aleteia : Que retenez-vous de cette première exhortation apostolique de Léon XIV ?
Mgr Éric Bidot : J’ai été saisi par son titre, d’emblée : "Dilexi te", "Je t’ai aimé". Le pape est augustinien. Cela m’a tout de suite fait penser à cette expression des Confessions : "Bien tard, je t’ai aimé". Elle renvoie à cette proximité relationnelle de Dieu avec nous. Immédiatement, ce titre a révélé la dimension mystique de cette exhortation, qui n’est pas simplement un texte social, mais qui engage d’abord notre relation à Dieu. Je suis frappé aussi par le nombre de références à des figures qui ont marqué l’histoire de l’Église : saint François d’Assise, les Pères de l’Église et tant de femmes et d’hommes qui se sont mis au service des autres. Cela donne une épaisseur à l’histoire de l’Église sur ce thème. Enfin, il y a un rappel important de la doctrine sociale de l’Église, de ces "habitus" en termes de relations sociales, familiales, caritatives, que l’Église propose.
Cette exhortation laisse une grande place à la pauvreté. Quel message le pape cherche-t-il à faire passer ?
Saint François d'Assise est mentionné à plusieurs reprises. Il vient éclairer ce thème de la charité, quasiment omniprésent. À ce sujet, il y a un travers sur lequel le Pape nous met en garde, une forme de relation condescendante avec les pauvres : moi j’ai, et je vais donner à celui qui n’a pas. Saint François s’est converti au contact d’un lépreux, au hasard d’un chemin. La rencontre du pauvre est venue révéler à saint François la pauvreté de son cœur et il en sera transformé. Il y avait sans doute un geste généreux et un peu épique dans sa démarche ; mais il y a une inspiration de l’Esprit saint de s’arrêter, de se mettre au niveau du pauvre et de le prendre dans ses bras, d’égal à égal. Et le miracle, c’est que le pauvre est venu ouvrir le cœur de Saint François à la compassion, c’est-à-dire l’aider à se mettre au diapason du cœur de Dieu.
Cette exhortation est éminemment relationnelle.
Avec cette exhortation, on n’est pas dans une asymétrie mais dans une appartenance à une commune humanité et ceux qui sont les plus fragiles nous révèlent nos propres fragilités et notre vocation commune à être aimés de Dieu. Cette exhortation est éminemment relationnelle. "Les pauvres sont les nôtres", écrit Léon XIV. C’est une invitation à considérer une même famille. "Nous sommes obnubilés par nos propres besoins", met-il aussi en garde. Il reprend également les mots que le pape François avait faits siens : "Les pauvres sont la chair du Christ". Ces expressions disent tout sur la famille, sur le danger de l’égoïsme et sur l’attention portée aux autres.
Certains ne savent pas toujours comment se positionner avec ces textes, qu’ils jugent loin de leurs préoccupations. Concrètement, comment les fidèles peuvent-ils recevoir cette exhortation ?
D’abord, en accueillant avec confiance le magistère du Pape. En ne faisant pas le tri entre ce que l’on aime ou pas. Le Pape s’exprime avec cœur, intelligence et spiritualité. En tant que fidèle, j’ai quelque chose à apprendre. Il faut réintroduire un mot dans la vie de l’Église, celui de l’obéissance, à distinguer d’une obéissance aveugle. Il s’agit d’accueillir avec bienveillance ce qu’un pape estime bon de dire à l’Église universelle et de ne pas le juger d’abord à l’aune du "moi", cette position capricieuse trop présente aujourd’hui, même dans l’Église. Ensuite, en choisissant ce thème, le pape n’est pas à rebours du quotidien des fidèles. Les rapports d’associations engagées auprès des pauvres soulignent des fractures qui se sont aggravées dans les dernières années. Il est heureux que l’Église mette la main à la pâte. L’enjeu, c’est que nos cœurs soient au diapason du cœur de Dieu. Cette exhortation dévoile la recette pour y parvenir.
Un chrétien ne peut pas faire comme si la thématique de la pauvreté n’existait pas.
Une telle exhortation vient éclairer et nourrir une relation vraie à Jésus-Christ. Un chrétien ne peut pas faire comme si la thématique de la pauvreté n’existait pas. Il est invité à porter le même regard, à poser les mêmes gestes, à prononcer les mêmes paroles, que le Christ. Nous devons nous laisser bousculer sur cette thématique. Saint François d’Assise se laissera tellement bousculer par cette rencontre qu’il choisira d’être plus petit que l’autre, systématiquement. Parce que c’est la place du Christ. Cette exhortation est une méthodologie pour la vie chrétienne, dans toutes ses dimensions. C’est un texte stimulant en termes de conversion et d’unité de vie.
