Par peur d’oublier ou par simple paresse, les gens confient tous les jours à leur téléphone leurs souvenirs, leurs savoirs et leurs réflexes. Et si cette externalisation progressive n’était pas neutre et pouvait porter atteinte à la mémoire ? C’est la question que se posent Marc Tadié, neurochirurgien, et Thierry Derez, avocat de formation et dirigeant d’un groupe d’assurance, dans leur ouvrage Le cerveau sans mémoire. Loin d’être un énième livre sur la déconnexion ou l’addiction aux écrans, cet essai, documenté par les dernières recherches en neuroimagerie, explore les conséquences neurologiques, sociales et philosophiques d’un usage de plus en plus massif des smartphones. Entretien avec Marc Tadié pour mieux comprendre l’impact que jouent les écrans sur notre mémoire.
Aleteia : Comment le numérique affecte-t-il concrètement notre mémoire ?
Marc Tadié : Notre cerveau est comme un muscle. Si on ne s’en sert pas, il s’atrophie. Les études montrent que les centres de la mémoire ont tendance à s'atrophier chez les gens qui utilisent trop les outils digitaux à qui ont l’habitude de leur déléguer beaucoup de choses. Par exemple, l'hippocampe (une structure du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire) des chauffeurs de taxi londoniens était hypertrophié avant. Mais depuis l’apparition du GPS, leur cerveau s’atrophie car il ne mémorise plus aucun itinéraire. À force de tout déléguer à l'outil digital, les circuits de notre mémoire dédiés aux souvenirs ne sont plus sollicités. Cela entraîne l’atrophie de notre cerveau, la perte de mémoire et le risque de développer la maladie d'Alzheimer précoce.
Dans votre ouvrage, vous évoquez aussi des conséquences sur notre personnalité et notre rapport aux autres...
C’est la mémoire qui fait l'homme. On le voit avec la maladie d'Alzheimer. Si nous perdons la mémoire, nous perdons la reconnaissance de nos amis, de notre famille et enfin de nous-mêmes. En moyenne, actuellement, un ado passe 6 heures par jour devant son écran, pour téléphoner, échanger des SMS et surfer sur les réseaux sociaux. Le téléphone nous propose aussi des choses : des marques de vêtements, des voyages, des albums photos… C’est pratique, mais peu à peu, il risque de nous imposer ce qu’il pense être bon pour nous et nous entraîner ainsi jusqu'à l'addiction. Donc en plus du risque de perte de mémoire, on risque de perdre notre personnalité.
À force de tout déléguer à l'outil digital, les circuits de notre mémoire dédiés aux souvenirs ne sont plus sollicités. Cela entraîne l’atrophie de notre cerveau, la perte de mémoire et le risque de développer la maladie d'Alzheimer précoce.
À cette perte d’identité s’ajoute la perte d’amis car l’amitié est fondée sur une relation humaine. Certes, grâce aux outils numériques, nous avons accès au monde entier, donc notre champ de communication est plus large mais nous avons pourtant perdu en relation humaine en présentiel avec tout ce qu'elle comporte en ressentis et souvenirs. Il est intéressant de noter que chez les personnes âgées ou les personnes handicapées, le smartphone s'avère un outil très utile car il leur ouvre la voie à un univers auquel il n’aurait pas forcément accès. Il permet de se sentir moins seul et moins déprimé. D’ailleurs, si chez les jeunes l’utilisation excessive des outils numériques peut provoquer l'Alzheimer précoce, chez les personnes âgées, au contraire, il peut le retarder.
Mais alors que faire ? Ne plus utiliser les smartphones ?
Il est très difficile de donner des règles d'utilisation d’un smartphone, mais il est important que chacun s'astreigne tous les jours à faire des actes de mémoire, trois ou quatre exercices comme on en fait pour maintenir son corps en bonne forme. Par exemple, retenir l’emplacement de sa voiture sur un parking au lieu de le prendre en photo, ne pas noter toutes les tâches à effectuer dans la journée mais les mémoriser, se souvenir des itinéraires à emprunter au lieu de consulter le GPS à chaque fois - cela permet d’ailleurs de profiter des paysages qui nous entourent ! Et surtout, il faut lire. Des études ont montré que, parmi différentes activités intellectuelles, c’est la lecture qui suscite le plus d’activité cérébrale. Elle favorise le développement des connexions neuronales, développe l’imagination et la mémoire, nourrit la personnalité.
Le smartphone doit rester un outil, il ne doit pas nous tenir en laisse.
Il faut également déconnecter. Bien sûr, c’est mieux d’assister à la messe ou à un pèlerinage en ligne que de ne pas y aller du tout, mais aller à Lourdes ou à Chartres n’aura rien en commun avec ce que vous vivrez à travers un écran. Il ne faut pas oublier que la vision des autres et des paysages bonifie le cerveau. Le smartphone est un outil merveilleux mais il faut savoir l’utiliser. Le smartphone doit rester un outil, il ne doit pas nous tenir en laisse.
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