La condamnation de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy par le tribunal correctionnel de Paris le 25 septembre 2025 sonne comme un coup de tonnerre judiciaire dans un ciel politique déjà chargé. Il est nécessaire de rappeler exactement en premier lieu les termes du jugement car le juriste analyse des faits, des textes et des raisonnements juridiques sans quoi l’appréciation ne peut être que faussée. Il faut ensuite apprécier les effets de ce jugement, pour l’intéressé et plus généralement pour la société. Enfin, il est essentiel de réfléchir aux tentations auxquelles il serait bon de ne pas céder.
Les jugements du tribunal correctionnel de Paris du 25 septembre 2025
Rappelons d’abord les termes du jugement du tribunal correctionnel condamnant Nicolas Sarkozy. C’est un peu long mais c’est nécessaire :
"L’association de malfaiteurs qu’il [Nicolas Sarkozy] a constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution et garant de l’indépendance nationale. Cette association a ainsi porté sur l’agrément d’un financement en provenance d’un État étranger en contrepartie du suivi du dossier pénal d’un homme condamné pour terrorisme et du maintien des relations avec la Libye."
"Nicolas Sarkozy, reprenant par là-même l’un des critères de mise en œuvre de la loi d’amnistie du 20 juillet 1988, a rappelé à plusieurs reprises que l’enquête n’avait pas démontré d’enrichissement de lui-même ou de ses proches. S’il est exact qu’il n’y a pas eu d’accroissement direct et immédiat de son patrimoine, l’association de malfaiteurs avait pour but de lui procurer un avantage dans la campagne électorale et de lui permettre d’accéder à la plus haute fonction et de l’exercer pendant cinq années."
"Il s’agit donc de faits d’une gravité exceptionnelle, de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent et sont censés agir dans le sens de l’intérêt général, mais aussi dans les institutions de la République."
"Ces éléments rendent nécessaires le prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis, toute autre sanction étant inadéquate. Il sera toutefois tenu compte de l’absence d’antécédents au moment des faits, de l’ancienneté des faits et de l’absence de mise en œuvre effective du pacte corruptif, pour en fixer le quantum à cinq ans."
"L’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé rendent nécessaire le prononcé d’un mandat de dépôt. Étant observé que M. Sarkozy ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal, il sera tenu compte de la nécessité pour organiser sa vie professionnelle pour prononcer ce titre sous la forme d’un mandat de dépôt à effet différé. Il sera néanmoins assorti de l’exécution provisoire, mesure indispensable pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction. Il appartiendra donc au condamné de répondre à la convocation du parquet national financier pour fixer la date de son incarcération."
"En outre, le prononcé d’une amende de 100.000 euros est proportionné à la gravité des faits et au patrimoine, revenus et charges dont le condamné a justifié."
"Il y a également lieu de prononcer les peines d’interdiction de toute fonction publique pendant cinq ans, et de privation des droits civils, civiques et de famille limitée au droit d’éligibilité pendant cinq ans, avec exécution provisoire. Il est en effet nécessaire, au regard tant des conditions de déroulement des faits commis par un candidat à la fonction suprême, que de l’altération que l’infraction a occasionnée à la confiance dans les institutions, de faire interdiction à Nicolas Sarkozy de se présenter à une élection et d’exercer une fonction publique."
"Il convient également d’assortir ces interdictions de l’exécution provisoire afin, d’une part, d’en assurer l’effectivité, et, d’autre part en considération du trouble exceptionnel à l’ordre public causé par l’infraction, d’assurer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus."
Relaxé de l’essentiel des faits reprochés
Le lecteur a ici l’essentiel de la décision judiciaire qui fait en réalité près de 400 pages, par le rappel des faits et de la procédure. En clair, ce jugement condamne Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs à cinq ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt à effet différé, assorti de l’exécution provisoire, à 100.000 euros d’amende et à la privation des droits civils et civiques dans l’affaire de ce que l’on a appelé le "financement libyen" de sa campagne présidentielle de 2007.
Notons qu’il est relaxé des chefs de corruption passive, de détournement de fonds publics et de financement illicite de sa campagne électorale. Il est important de le souligner car c’était l’essentiel des reproches faits à l’ancien président de la République. Précisons enfin que ces faits et cette condamnation ne concernent aucunement l’action de Nicolas Sarkozy comme président de la République puisqu’ils concernent des faits antérieurs à son élection.
Une décision judiciaire sans précédent
Cette décision judiciaire est sans précédent non seulement parce qu’elle concerne une personnalité majeure de la vie politique française mais surtout parce qu’elle produit des effets immédiats par un emprisonnement ferme à venir pour Nicolas Sarkozy, nonobstant toute procédure d’appel. La sévérité du jugement et son effet imminent resteront dans l’histoire des relations entre la magistrature et la classe politique comme un tournant et peut-être une rupture. Les Français en sont les témoins désolés ou satisfaits.
Comment analyser cette décision, en essayant de prendre du recul ? La condamnation pour "association de malfaiteurs" "avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution et garant de l’indépendance nationale". Et le jugement ajoute : "L’association de malfaiteurs avait pour but de lui procurer un avantage dans la campagne électorale et de lui permettre d’accéder à la plus haute fonction et de l’exercer pendant cinq années." Rappelons que, selon l’article 450-1 du Code pénal, "constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement". On peut s’interroger sur l’existence ou la réalité de ces "faits matériels" dans la mesure où justement les autres chefs d’accusation ont été abandonnés par le tribunal, même si les réunions entre Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine sont bien prouvées. Mais cela suffit-il à caractériser nettement une "association de malfaiteurs" ?
Atteinte au droit au recours juridictionnel
On veut insister sur les conséquences de ce jugement. Outre la privation des droits civiques, civils et de famille et une inéligibilité de cinq ans, ce sont surtout les cinq années de prison ferme avec un « mandat de dépôt à effet différé, assorti d’une exécution provisoire" qui interroge. On constate une volonté du tribunal correctionnel de faire passer l’ancien président de la République par la "case prison" puisque la conjonction de ces éléments ne lui permet pas de l’éviter, y compris en faisant appel de la décision juridictionnelle, du fait de l’exécution provisoire décidée par les juges. Même si cet effet a été voulu par la loi, il porte objectivement atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui est un droit fondamental pour tout justiciable. On ne peut que le regretter.
La signification de l’exécution provisoire à l’égard d’une personnalité politique fait résonner un autre jugement, celui du 31 mars 2025 concernant Marine Le Pen. Mais, bien plus, c’est à une décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025 qu’il faut se référer et qui explique la sévérité des juges à l’égard des politiques. Le Conseil constitutionnel avait statué sur le thème de l’exécution provisoire d’une inéligibilité en considérant que l’objectif poursuivi est "d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive", ce qui contribue à "renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants", mettant ainsi en œuvre "l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public". Ces exigences fortes et multiples ne sont pas nouvelles dans la jurisprudence constitutionnelle, mais elles prennent un relief particulier avec les condamnations de figures majeures de la vie politique française.
Humilier la personne et toucher la fonction
En l’espèce, le jugement considère que l’association de malfaiteurs devait lui procurer un avantage dans la campagne électorale lui permettant d’accéder à la fonction suprême de l’État. Mais on s’interroge encore puisque les faits de corruption, de détournement de fonds et de financement illégal de campagne électorale ne sont pas établis. L’objectif condamnable poursuivi mais non réalisé suffit à condamner la personne. Et le jugement considère comme une sorte de facteur aggravant le fait que cela soit commis par une personnalité publique… qui n’était pas encore président de la République. Mais "l’objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu président de la République" suffit à condamner Nicolas Sarkozy. On doute fortement de la justesse de cette motivation parce qu’elle rend la commission d’infractions futures et potestatives fondatrices de la faute pénale. Pourtant, le tribunal constate "l’absence de mise en œuvre effective du pacte corruptif", ce qui interroge même sur la réalité des faits reprochés.
"L’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé (cinq ans) rendent nécessaire le mandat de dépôt" dit le tribunal, c’est-à-dire l’incarcération du condamné, avec exécution provisoire. Là encore, on rappelle que l’exécution provisoire est destinée en principe à éviter la récidive, ce qui dans le cas de l’affaire du financement libyen, laisse plus que songeur… Mais, pour le tribunal, cette mesure est "indispensable pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction." On s’interroge à nouveau sur le caractère "indispensable" de cette exécution provisoire. On peut la comprendre comme la nécessité de rappeler l’exemplarité nécessaire des élus ou de ceux qui se présentent à une élection. Mais fallait-il pour cela obliger à l’incarcération dans un court délai d’un ancien président de la République ? C’est vouloir toucher la fonction autant que l’homme qui l’a exercée. On y voit une volonté d’humilier et de déconsidérer la personne. La fonction présidentielle ne peut qu’en être abîmée.
Après le jugement, se garder des tentations de la colère
Comment le chrétien peut-il comprendre et interpréter un tel jugement dans sa sévérité ? Il faut se garder de plusieurs tentations. La première est celle de juger le jugement sans l’avoir analysé. On espère avoir fait œuvre d’explication et d’analyse pour éclairer objectivement le lecteur. Mais chacun doit faire l’effort de revenir aux textes : du jugement, des lois applicables, de la jurisprudence déjà énoncée dans des cas comparables. Une saine distance par rapport à l’événement permettra une appréciation plus juste.
La deuxième tentation est de critiquer les magistrats autant que le jugement : partialité, engagement politique contestable des juges, personnalité clivante… Qu’en savons-nous vraiment ? Le juge doit être protégé pour continuer à juger sereinement. Très vite, on en vient au "gouvernement des juges" et aux conclusions péremptoires. Oui, les juges sont aujourd’hui un pouvoir. Il appartient donc aux politiques de leur fixer des limites, y compris par la Constitution. C’est un grand débat démocratique qui doit être engagé. Les échéances électorales devront le faire. La troisième tentation est encore plus générale et catégorique : "Ils sont tous pourris, juges et politiques et nous sommes les jouets de forces obscures." Raisonnons en conscience et choisissons ceux qui sauront nous représenter et voter des lois justes et efficaces. La conscience des citoyens est la mesure d’un État responsable. La Justice est une vertu autant qu’une fonction sociale majeure. Sachons la respecter.










